Ce texte est un « article presslib’ » (*)
A leur rythme et selon leur logique, les deux crises de la dette publique et
privée se poursuivent en s’alimentant mutuellement. Telle une
contagion croisée désormais durablement inscrite dans le
paysage. Les issues de chacune d’entre elles sont bien
recherchées, mais elles restent introuvables.
La
réduction des déficits publics ne va pas aller sans
accroître le mal existant, suscitant des effets secondaires très
indésirables, tandis que le lent rétablissement par
lui-même du système financier, toujours incapable de fonctionner
sans le soutien massif des banques centrales, vient de trébucher en
Europe à nouveau.
Echappée
quelque temps, l’Europe est en passe d’être rejointe par le
Japon, qui met à son tour l’accent sur la réduction prioritaire
de son déficit public, tandis que les Américains continuent,
mais ce ne peut être que provisoire, de temporiser. Devant le
parlement, Naoto Kan, le nouveau premier ministre
japonais, a placé son entrée en fonction sous le signe du
« risque d’effondrement financier » qui
résulterait à terme, selon lui, de la colossale dette du Japon,
car « nos finances sont les pires des pays
développés » (la dette y atteint 200% du PIB).
Toujours
reculées, des mesures fiscales sont à l’étude,
notamment une augmentation de la TVA. Elles pèseront sur la
consommation intérieure et rendront le pays encore plus
dépendant pour sa croissance de son commerce extérieur. Tout le
contraire de ce qui est préconisé par les organisations
internationales, au nom de la lutte contre un déséquilibre
global qui au contraire s’amplifie. Les récentes
statistiques américaines montrent que le déficit commercial
avec la Chine continue de croître.
Si le
déficit public augmente moins vite que prévu aux Etats-Unis
– pour utiliser la formule désormais employée à
tout propos pour agrémenter la poursuite de la
détérioration de tel ou tel taux – Timothy Geithner, secrétaire d’Etat au
Trésor, vient à nouveau d’admettre qu’un plan de
réduction de celui-ci devait être rapidement défini,
précisant qu’il serait appliqué à moyen terme.
Ben
Bernanke, le président de la Fed, tout en
regrettant la persistance de son absence, a de son côté
précisé ce qu’il fallait entendre par moyen terme :
le début de l’exercice 2013 (soit octobre 2012 pour les
Etats-Unis). Avant cette échéance, il n’est selon lui ni
possible ni souhaitable d’entamer une forte décrue des
dépenses publiques. Elle briserait le rétablissement de
l’économie, après qu’elle ait connu la plus longue
récession enregistrée depuis les années 30.
Alors
que les analystes attentifs font état de la fragilité de
l’actuelle croissance américaine, tirée par le
dépense publique, Ben Bernanke a cru pouvoir
affirmer, mais sans les identifier, qu’« Il y a plusieurs
signes indiquant que le secteur privé est en train de tirer
l’économie », de « prendre le
relais » de la dépense publique, tout en reconnaissant que
la croissance limitée qui pouvait être attendue ne diminuerait
pas le chômage.
Dans
ce contexte, la remarque selon laquelle les consommateurs américains
ne devaient pas renoncer à emprunter pour financer leurs achats,
prononcée par l’un des gouverneurs de la Fed, Elizabeth Duke,
semble devoir être rangée sur l’étagère des
incantations. Elle a pour origine le fait que 25% de cette consommation
– elle-même moteur de la croissance américaine pour 70% de
cette dernière – était dans les beaux jours
financée par le crédit.
L’administration
Obama tient un discours opposé, bien connu
en Europe, selon lequel il faut vivre selon ses moyens. Car elle
s’efforce de respecter sa propre feuille de route et de réduire
la plus importante dette en volume du monde occidental : 13.000
milliards de dollars à fin juin de cette année. Sans inclure
dans son calcul la dette des organismes de refinancement hypothécaires
Fannie Mae et Freddie Max, qui bénéficient de la garantie de
l’Etat et sont renfloués par le Trésor, dont les
perspectives financières dépendent d’un marché
immobilier continuant à lentement sombrer.
Il
serait donc indispensable, selon nos gouvernants, de s’engager dans un
tunnel dont il est de plus en plus admis qu’il va aveugler une
croissance revendiquée comme salvatrice. Non sans hésitations
derrière l’apparente fermeté du propos. La BCE vient
d’ailleurs déjà d’en prendre acte,
réaffirmant la nécessité d’une consolidation
budgétaire tout en revoyant à la baisse ses perspectives de
croissance de la zone euro pour l’année en cours et suivante. En
attendant la suite.
Après
avoir déjà revu à la baisse les perspectives italiennes
de croissance, la Banque d’Italie vient de renouveler l’exercice,
afin de tenir compte du plan d’austérité chiffré
pour 2011 et 2012 à 24,9 milliards d’euros, diminuant la
croissance prévue des deux années d’un demi-point pour
chacune d’entre elles. De son côté, la Bundesbank vient au
contraire de relever de 0,3 et 0,2% respectivement ses prévisions de
croissance pour 2010 et 2011, tout en précisant qu’elle
s’appuie pour cela sur le développement de la reprise mondiale
(et de ses exportations), et qu’elle adopte également comme
hypothèse que les effets sur sa croissance des plans
d’austérité européens seront
« limités », ce qui reste à confirmer.
Entérinant le fait que le chômage – contenu à force
de financements publics – devrait toutefois continuer à
progresser en Allemagne.
Poursuivant
au sein de la coalition britannique son numéro
d’équilibriste, Nick Clegg, vice-premier ministre Lib-Dem britannique, considère au contraire des
Allemands que l’instabilité de la zone euro est une
« menace majeure » pour le Royaume-Uni:
« Nos économies sont interdépendantes. Les autres
pays européens sont les plus gros partenaires commerciaux, et de loin.
Environ la moitié de nos exportations partent vers l’UE et plus
de la moitié des investissements étrangers viennent de
là ». Plus globalement enfin, l’OCDE confirme le
ralentissement de l’expansion moyenne des trente et un pays
développés membres en utilisant ses « indicateurs
composites avancés ».
Choisissant
le cadre d’un dîner de gala de l’Internationale Institute
for Finance (IFF), où était présent jeudi dernier le
gotha de la finance mondiale, Jean-Claude Trichet s’élevait
– d’autant plus vigoureusement qu’il ne risquait pas
d’être contredit – contre l’idée que la consolidation
budgétaire était « synonyme d’un
« étranglement de la croissance », en
dépit du fait que la BCE qu’il préside a
déjà entériné sa baisse dans ses
prévisions. Les ajustements en cours, affirmait-il, sont
« en corrélation étroite avec des réformes de
structures ». Celles-ci permettent de rétablir la confiance
et sont ainsi sont favorables à la croissance. Suivez son raisonnement
et son regard.
Pour
citer un premier ministre français, à ses yeux injustement
retombé dans l’oubli au Sénat, « la pente est
rude mais la route est droite». En réalité, elle
s’avère fort sinueuse. Le débat feutré qui est en
cours à propos des stress tests des banques européennes
en est l’illustration du moment. Ni l’éventuelle
publication de leurs résultats – leur communication prochaine
n’étant pour l’instant prévue
qu’auprès des ministres des finances – ni leur méthodologie
et les paramètres retenus n’ont fait publiquement débat.
Leur
tenue place tout simplement les responsables européens devant un
sérieux dilemme. Quelle attitude devront-ils adopter, une fois ces
tests effectués ? Pas bouger et ne pas répondre à
l’inquiétude des marchés – à
l’inverse des objectifs poursuivis – comme ils ont montré
savoir si bien le faire, ou à nouveau aider les banques sur fonds
publics ou bien en leur octroyant des garanties, en contradiction avec leurs
stratégie de réduction des déficits ? Les Etats-Unis,
lors de la même opération de test, avaient
présenté des résultats certes sujets à caution,
mais ils avaient obligé les banques considérées comme
les maillons les plus faibles à se recapitaliser.
Les
banques européennes qui seraient dans ce cas de figure, et sont
déjà portées à bout de bras, seraient-elles en
mesure d’y procéder et comment ? Le doigt est déjà
pointé vers les banques espagnoles, dont le secteur des caisses
d’épargne – qui représente la moitié du
secteur bancaire du pays – est en pleine restructuration à
marche accélérée, sans que les modalités de
celle-ci emportent l’adhésion des connaisseurs. C’est
– s’il y en a un – un lièvre à ne pas
soulever, si l’on ne veut pas perturber l’accalmie en cours sur
le marché de la dette souveraine. Et éviter que la BCE ne soit
dans l’obligation – qui ferait débat avec les Allemands
– d’amplifier son programme d’achats directs dans ce
domaine.
En
affirmant que le capitalisme
financier était son meilleur ennemi, cette chronique a
déjà été l’occasion de montrer que les
banques rencontrent des difficultés pour se financer, non seulement
sur le marché interbancaire (qui « ne fonctionne pas
normalement, c’est clair » a reconnu Jean-Claude Trichet,
laissant échapper qu’il ne pouvait éviter de le
reconnaître), mais également sur le marché obligataire.
Nombreuses, elles se tournent vers les fonds de pension et
d’investissement, qui ne constituent que de 30 à 50% de ce dernier,
pas davantage.
L’obtention
de fonds publics étant désormais incertaine, quelles sont les
autres opportunités disponibles ? La relance de la titrisation est une
des pistes favorites du moment. Mais comment la susciter et sera-t-elle
suffisante ? C’est fort peu vraisemblable, si l’on additionne les
besoins de financement, à tous les titres confondus, du système
bancaire européen.
S’appuyant
sur le fait que, selon une opportune étude de Standard & Poor’s, les actifs issus précédemment
des opérations de titrisation ont globalement mieux
résisté s’ils étaient d’origine
européenne plutôt qu’américaine (les Etats-Unis ne
se sont pas privés d’exporter leurs CDO auprès des
banques européennes), les analystes considèrent
désormais possible une relance de ce marché, mais ils se
refusent à envisager qu’il retrouve sa vigueur d’avant. De
premières opérations ont eu lieu, mais elles ont
été adossées à des titres hypothécaires
britanniques et hollandais de la meilleure qualité, afin de garantir
leur succès.
On
comprend bien l’intérêt que les banques auraient à
la relance de la titrisation, mais quels vont être les acheteurs sur ce
marché ? Elles-mêmes, qui avec leur casquette
d’investisseur y jouaient un rôle important, risquent de ne plus
pouvoir les utiliser pour renforcer leurs fonds propres, comme elles
étaient accoutumées à le faire, si les règles de
Bâle III restreignent leur usage comme prévu. Par ailleurs, les Structured Investment
Vehicles (SIV) qu’elles utilisaient pour
intervenir sur ce marché, entretemps démantelés en
raison de leurs pertes, ne seront pas remontés. Echaudés, les
fonds d’investissement et de pension, enfin, n’accepteront que la
crème de la titrisation.
Ce
panorama se complique encore, la BCE et la Bank of England
– les plus grand détenteur actuels de ces ABS, (Asset-Back-Securities) fabriqués par
les banques pour être échangés contre des
liquidités – devant les restituer à leur
détenteurs d’origine quand leurs opérations de cette
nature seront stoppées. La Bank of England a
fixé comme échéance janvier 2012 pour cet arrêt et
il s’agit de 183 milliards de livres. Sans définir publiquement
de calendrier, la BCE a manifesté l’intention de procéder
de même. Ce renvoi à la case départ des ABS ne sera pas
une grande contribution à la titrisation de nouveaux actifs, quand il
interviendra.
Il
y a donc une forte inadéquation entre la demande potentiellement
limitée pour ces titres, exigeante sur leur qualité, et les
attentes placées dans ce mécanisme, car il a été
l’un des instruments de propagation de la crise financière. Il
va falloir montrer patte blanche pour accéder à ce
marché tout juste renaissant.
Les
Etats ne sont pas seuls susceptibles de se trouver en mal de financement. Les
banques ont perdu, au moins momentanément, l’une des principales
sources de leurs opérations de crédit. C’est pourquoi la
titrisation reste l’une des clés de la future croissance
économique, carburant très rationné de la machine
à produire de la dette. Il y avait le peak
oil, il y a désormais aussi le peak securities
(du nom anglais des actifs titrisés). Si
nous l’avons dépassé, par quel instrument de substitution
les remplacer ? Comment dégripper cette
moteur-là sans revenir sur la distribution inégale de la
richesse dont il est l’ersatz ? Dans leurs rêves les plus fous, les
financiers pensent aux marchés et sociétés
émergentes, afin de recommencer sur le même mode.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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