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Où sont les issues de secours ?

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Paul Jorion.
Published : June 14th, 2010
2116 words - Reading time : 5 - 8 minutes
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Category : Editorials





Ce texte est un « article presslib’ » (*)



A leur rythme et selon leur logique, les deux crises de la dette publique et privée se poursuivent en s’alimentant mutuellement. Telle une contagion croisée désormais durablement inscrite dans le paysage. Les issues de chacune d’entre elles sont bien recherchées, mais elles restent introuvables.

La réduction des déficits publics ne va pas aller sans accroître le mal existant, suscitant des effets secondaires très indésirables, tandis que le lent rétablissement par lui-même du système financier, toujours incapable de fonctionner sans le soutien massif des banques centrales, vient de trébucher en Europe à nouveau.

Echappée quelque temps, l’Europe est en passe d’être rejointe par le Japon, qui met à son tour l’accent sur la réduction prioritaire de son déficit public, tandis que les Américains continuent, mais ce ne peut être que provisoire, de temporiser. Devant le parlement, Naoto Kan, le nouveau premier ministre japonais, a placé son entrée en fonction sous le signe du « risque d’effondrement financier » qui résulterait à terme, selon lui, de la colossale dette du Japon, car « nos finances sont les pires des pays développés » (la dette y atteint 200% du PIB).

Toujours reculées, des mesures fiscales sont à l’étude, notamment une augmentation de la TVA. Elles pèseront sur la consommation intérieure et rendront le pays encore plus dépendant pour sa croissance de son commerce extérieur. Tout le contraire de ce qui est préconisé par les organisations internationales, au nom de la lutte contre un déséquilibre global qui au contraire s’amplifie. Les récentes statistiques américaines montrent que le déficit commercial avec la Chine continue de croître.

Si le déficit public augmente moins vite que prévu aux Etats-Unis – pour utiliser la formule désormais employée à tout propos pour agrémenter la poursuite de la détérioration de tel ou tel taux – Timothy Geithner, secrétaire d’Etat au Trésor, vient à nouveau d’admettre qu’un plan de réduction de celui-ci devait être rapidement défini, précisant qu’il serait appliqué à moyen terme.

Ben Bernanke, le président de la Fed, tout en regrettant la persistance de son absence, a de son côté précisé ce qu’il fallait entendre par moyen terme : le début de l’exercice 2013 (soit octobre 2012 pour les Etats-Unis). Avant cette échéance, il n’est selon lui ni possible ni souhaitable d’entamer une forte décrue des dépenses publiques. Elle briserait le rétablissement de l’économie, après qu’elle ait connu la plus longue récession enregistrée depuis les années 30.

Alors que les analystes attentifs font état de la fragilité de l’actuelle croissance américaine, tirée par le dépense publique, Ben Bernanke a cru pouvoir affirmer, mais sans les identifier, qu’« Il y a plusieurs signes indiquant que le secteur privé est en train de tirer l’économie », de « prendre le relais » de la dépense publique, tout en reconnaissant que la croissance limitée qui pouvait être attendue ne diminuerait pas le chômage.

Dans ce contexte, la remarque selon laquelle les consommateurs américains ne devaient pas renoncer à emprunter pour financer leurs achats, prononcée par l’un des gouverneurs de la Fed, Elizabeth Duke, semble devoir être rangée sur l’étagère des incantations. Elle a pour origine le fait que 25% de cette consommation – elle-même moteur de la croissance américaine pour 70% de cette dernière – était dans les beaux jours financée par le crédit.

L’administration Obama tient un discours opposé, bien connu en Europe, selon lequel il faut vivre selon ses moyens. Car elle s’efforce de respecter sa propre feuille de route et de réduire la plus importante dette en volume du monde occidental : 13.000 milliards de dollars à fin juin de cette année. Sans inclure dans son calcul la dette des organismes de refinancement hypothécaires Fannie Mae et Freddie Max, qui bénéficient de la garantie de l’Etat et sont renfloués par le Trésor, dont les perspectives financières dépendent d’un marché immobilier continuant à lentement sombrer.

Il serait donc indispensable, selon nos gouvernants, de s’engager dans un tunnel dont il est de plus en plus admis qu’il va aveugler une croissance revendiquée comme salvatrice. Non sans hésitations derrière l’apparente fermeté du propos. La BCE vient d’ailleurs déjà d’en prendre acte, réaffirmant la nécessité d’une consolidation budgétaire tout en revoyant à la baisse ses perspectives de croissance de la zone euro pour l’année en cours et suivante. En attendant la suite.

Après avoir déjà revu à la baisse les perspectives italiennes de croissance, la Banque d’Italie vient de renouveler l’exercice, afin de tenir compte du plan d’austérité chiffré pour 2011 et 2012 à 24,9 milliards d’euros, diminuant la croissance prévue des deux années d’un demi-point pour chacune d’entre elles. De son côté, la Bundesbank vient au contraire de relever de 0,3 et 0,2% respectivement ses prévisions de croissance pour 2010 et 2011, tout en précisant qu’elle s’appuie pour cela sur le développement de la reprise mondiale (et de ses exportations), et qu’elle adopte également comme hypothèse que les effets sur sa croissance des plans d’austérité européens seront « limités », ce qui reste à confirmer. Entérinant le fait que le chômage – contenu à force de financements publics – devrait toutefois continuer à progresser en Allemagne.

Poursuivant au sein de la coalition britannique son numéro d’équilibriste, Nick Clegg, vice-premier ministre Lib-Dem britannique, considère au contraire des Allemands que l’instabilité de la zone euro est une « menace majeure » pour le Royaume-Uni: « Nos économies sont interdépendantes. Les autres pays européens sont les plus gros partenaires commerciaux, et de loin. Environ la moitié de nos exportations partent vers l’UE et plus de la moitié des investissements étrangers viennent de là ». Plus globalement enfin, l’OCDE confirme le ralentissement de l’expansion moyenne des trente et un pays développés membres en utilisant ses « indicateurs composites avancés ».

Choisissant le cadre d’un dîner de gala de l’Internationale Institute for Finance (IFF), où était présent jeudi dernier le gotha de la finance mondiale, Jean-Claude Trichet s’élevait – d’autant plus vigoureusement qu’il ne risquait pas d’être contredit – contre l’idée que la consolidation budgétaire était « synonyme d’un « étranglement de la croissance », en dépit du fait que la BCE qu’il préside a déjà entériné sa baisse dans ses prévisions. Les ajustements en cours, affirmait-il, sont « en corrélation étroite avec des réformes de structures ». Celles-ci permettent de rétablir la confiance et sont ainsi sont favorables à la croissance. Suivez son raisonnement et son regard.

Pour citer un premier ministre français, à ses yeux injustement retombé dans l’oubli au Sénat, « la pente est rude mais la route est droite». En réalité, elle s’avère fort sinueuse. Le débat feutré qui est en cours à propos des stress tests des banques européennes en est l’illustration du moment. Ni l’éventuelle publication de leurs résultats – leur communication prochaine n’étant pour l’instant prévue qu’auprès des ministres des finances – ni leur méthodologie et les paramètres retenus n’ont fait publiquement débat.

Leur tenue place tout simplement les responsables européens devant un sérieux dilemme. Quelle attitude devront-ils adopter, une fois ces tests effectués ? Pas bouger et ne pas répondre à l’inquiétude des marchés – à l’inverse des objectifs poursuivis – comme ils ont montré savoir si bien le faire, ou à nouveau aider les banques sur fonds publics ou bien en leur octroyant des garanties, en contradiction avec leurs stratégie de réduction des déficits ? Les Etats-Unis, lors de la même opération de test, avaient présenté des résultats certes sujets à caution, mais ils avaient obligé les banques considérées comme les maillons les plus faibles à se recapitaliser.

Les banques européennes qui seraient dans ce cas de figure, et sont déjà portées à bout de bras, seraient-elles en mesure d’y procéder et comment ? Le doigt est déjà pointé vers les banques espagnoles, dont le secteur des caisses d’épargne – qui représente la moitié du secteur bancaire du pays – est en pleine restructuration à marche accélérée, sans que les modalités de celle-ci emportent l’adhésion des connaisseurs. C’est – s’il y en a un – un lièvre à ne pas soulever, si l’on ne veut pas perturber l’accalmie en cours sur le marché de la dette souveraine. Et éviter que la BCE ne soit dans l’obligation – qui ferait débat avec les Allemands – d’amplifier son programme d’achats directs dans ce domaine.

En affirmant que le capitalisme financier était son meilleur ennemi, cette chronique a déjà été l’occasion de montrer que les banques rencontrent des difficultés pour se financer, non seulement sur le marché interbancaire (qui « ne fonctionne pas normalement, c’est clair » a reconnu Jean-Claude Trichet, laissant échapper qu’il ne pouvait éviter de le reconnaître), mais également sur le marché obligataire. Nombreuses, elles se tournent vers les fonds de pension et d’investissement, qui ne constituent que de 30 à 50% de ce dernier, pas davantage.

L’obtention de fonds publics étant désormais incertaine, quelles sont les autres opportunités disponibles ? La relance de la titrisation est une des pistes favorites du moment. Mais comment la susciter et sera-t-elle suffisante ? C’est fort peu vraisemblable, si l’on additionne les besoins de financement, à tous les titres confondus, du système bancaire européen.

S’appuyant sur le fait que, selon une opportune étude de Standard & Poor’s, les actifs issus précédemment des opérations de titrisation ont globalement mieux résisté s’ils étaient d’origine européenne plutôt qu’américaine (les Etats-Unis ne se sont pas privés d’exporter leurs CDO auprès des banques européennes), les analystes considèrent désormais possible une relance de ce marché, mais ils se refusent à envisager qu’il retrouve sa vigueur d’avant. De premières opérations ont eu lieu, mais elles ont été adossées à des titres hypothécaires britanniques et hollandais de la meilleure qualité, afin de garantir leur succès.

On comprend bien l’intérêt que les banques auraient à la relance de la titrisation, mais quels vont être les acheteurs sur ce marché ? Elles-mêmes, qui avec leur casquette d’investisseur y jouaient un rôle important, risquent de ne plus pouvoir les utiliser pour renforcer leurs fonds propres, comme elles étaient accoutumées à le faire, si les règles de Bâle III restreignent leur usage comme prévu. Par ailleurs, les Structured Investment Vehicles (SIV) qu’elles utilisaient pour intervenir sur ce marché, entretemps démantelés en raison de leurs pertes, ne seront pas remontés. Echaudés, les fonds d’investissement et de pension, enfin, n’accepteront que la crème de la titrisation.

Ce panorama se complique encore, la BCE et la Bank of England – les plus grand détenteur actuels de ces ABS, (Asset-Back-Securities) fabriqués par les banques pour être échangés contre des liquidités – devant les restituer à leur détenteurs d’origine quand leurs opérations de cette nature seront stoppées. La Bank of England a fixé comme échéance janvier 2012 pour cet arrêt et il s’agit de 183 milliards de livres. Sans définir publiquement de calendrier, la BCE a manifesté l’intention de procéder de même. Ce renvoi à la case départ des ABS ne sera pas une grande contribution à la titrisation de nouveaux actifs, quand il interviendra.

Il y a donc une forte inadéquation entre la demande potentiellement limitée pour ces titres, exigeante sur leur qualité, et les attentes placées dans ce mécanisme, car il a été l’un des instruments de propagation de la crise financière. Il va falloir montrer patte blanche pour accéder à ce marché tout juste renaissant.

Les Etats ne sont pas seuls susceptibles de se trouver en mal de financement. Les banques ont perdu, au moins momentanément, l’une des principales sources de leurs opérations de crédit. C’est pourquoi la titrisation reste l’une des clés de la future croissance économique, carburant très rationné de la machine à produire de la dette. Il y avait le peak oil, il y a désormais aussi le peak securities (du nom anglais des actifs titrisés). Si nous l’avons dépassé, par quel instrument de substitution les remplacer ? Comment dégripper cette moteur-là sans revenir sur la distribution inégale de la richesse dont il est l’ersatz ? Dans leurs rêves les plus fous, les financiers pensent aux marchés et sociétés émergentes, afin de recommencer sur le même mode.




Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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