Billet initialement paru le 04.05.2015
Lorsque j’avais prévu ce billet, il y a deux jours, les tragiques événements de Paris d’hier soir n’avaient pas eu lieu. La collision avec l’actualité est d’autant plus intéressante : non seulement, les petits règlements de compte à l’arme à feu continuent en France sur un rythme pépère (ici, ici, ici ou là), prouvant amplement – même pour les individus aux crânes les plus épais – que l’interdiction de port d’arme ne change absolument rien en terme de fusillades dans le pays, mais on a, de surcroît, un nouvel exemple sanglant où l’absence de port d’armes devient directement préjudiciable aux gens honnêtes.
Peu importe, finalement, que le massacre du Bataclan (et d’autres avant, et certainement d’autres après) aient été perpétrés avec ces armes dont on a pourtant clairement signifié l’interdiction partout sur le territoire. Peu importe que les racailles, malfrats, petites et grosses frappes, trafiquants divers et autres « déséquilibrés » n’aient aucun mal à s’en procurer. L’interdiction est un principe intangible : il ne faudrait pas que le Peuple soit en mesure de se défendre sans l’aide de l’Etat-maman, n’est-ce pas ?
Il y a dans le monde des sociétés qui ont un vrai problème avec les armes à feu, où les rues ne sont plus sûres parce que les vilains et les méchants, ne reculant devant aucune interdiction et une prohibition pourtant claire, se sont procurés, trop facilement à l’évidence, des armes et s’en servent à la moindre occasion sans le plus petit discernement. C’est scandaleux.
Bien évidemment, à l’énoncé d’un tel chapelet de poncifs, le lecteur français moyen n’a aucun mal à appeler quelques images hollywoodiennes d’une Amérique fantasmée pour alimenter sa profonde réflexion sur ce terrible fléau moderne que représentent les armes à feu, leur possession et leur utilisation systématique pour résoudre les problèmes de voisinage ou de difficultés scolaires.
Il est vrai qu’en France, au moins, les choses sont claires. La détention d’armes à feu est soumise à une ribambelle de lois bien contraignantes. La vente extrêmement encadrée de ces armes contraint les habitants du pays à s’en passer. D’ailleurs, c’est bien simple, les malfrats, rebutés par la complexité d’obtenir en France ce genre d’ustensiles, se sont tous rabattus sur les couteaux de cuisine et autres outils de bricolage. Bénéfice évident : là où, dans ces pays aux législations laxistes et à la vente d’armes en supermarché, entre les raviolis en boîte et les couches Pampers, les fusillades mortelles se suivent et se ressemblent, au moins en est-on complètement épargnés en France.
Pas de ça chez nous, môssieu : c’est un pays bien tenu, ici, pardi ! La police, la gendarmerie et les douanes veillent !
Bon. Certes, il peut y avoir, à l’occasion, un petit dérapage comme à Marseille (ceci date du 26 avril 2015), où il peut arriver que, parfois, une fusillade se produise et fasse quelques petits trous dans des bedons locaux. Deux morts, un blessé grave. Mais on pourra m’objecter que Marseille n’est plus vraiment la France.
Bon. Certes, il peut aussi y avoir, à l’occasion, un petit grain de folie passagère comme à Nice (ceci date du 27 avril 2015). Mais après tout, le Sud, est-ce vraiment la France, républicaine, citoyenne, festive, et respectueuse de la loi et notamment de cette nécessaire interdiction des armes à feu qui assure à tous et chacun une vie paisible ?
Bon. Certes, on peut tomber, de temps en temps, sur quelques excités qui règlent leurs différents commerciaux de façon un peu hardie, comme à Saint-Ouen en région parisienne (et ceci date du 30 avril 2015). Mais il faut bien comprendre que cela n’a absolument rien à voir avec ce qu’on observe dans ces autres pays où tout part en sucette et en pétarades dangereuses au moindre désaccord. Ici, il s’agit évidemment d’un règlement de comptes, ce qui veut dire que cela reste très rare, très focalisé, et que, partant, le citoyen n’a pas à s’inquiéter si plusieurs personnes sont blessées par balle en région parisienne.
Certes certes, comme l’explique la police au sujet de cette dernière fusillade, certains quartiers sont considérés comme des supermarchés du trafic de stupéfiants aux portes de la capitale. Et bien sûr, on peut noter que « Cela s’intensifie. Des coups de feu ont été tirés à la Kalachnikov le weekend dernier (25 avril 2015) dans la Cité Soubise » (un autre quartier de Saint-Ouen). Mais bon, rien de vraiment inquiétant dans un pays qui, je le rappelle, a eu la présence d’esprit d’interdire purement et simplement le port d’armes, d’en règlementer lourdement la possession, et, de façon générale, de considérer à juste titre l’honnête citoyen comme un malfrat potentiel tant il est connu que le Français, armé, pourrait bien devenir un citoyen au lieu de rester tranquillement dans la case contribuable qui l’a vu naître et dont il ne doit surtout pas sortir (à moins de devenir élu, bien sûr).
Alors, bon, tout de suite, avec un épisode pareil, on lit des exagérations, comme celle d’Antoinette, 80 ans, qui se formalise bêtement qu’une balle ait récemment traversé une fenêtre pour se loger dans le mur de son appartement et qui, dès lors, estime que la situation est …
« …très très grave. Pour celui qui rentre tranquillement chez lui et qui risque une balle dans la tête. J’envisage de partir parce qu’il me faut ma sécurité en vieillissant. »
Allons, Mamie Antoinette, qu’allez-vous penser-là ! Comme vous le savez, la France n’est pas les États-Unis, il n’y a pas de fusillades sauvages dans le pays, et l’ensemble des forces de l’ordre veille. Vous ne risquez donc rien, voyons !
Bon, certes, vous ne risquez rien mais tout comme je vous encourage à ne pas rester à Saint-Ouen pour vos vieux jours, je vous dissuade en revanche de vous réfugier à Trappes ce 1er mai 2015 où il y a apparemment quelques petits soucis avec les habitants du cru, manifestement pas au courant de la sévérité des lois en vigueur concernant la détention, le port et l’usage d’armes à feu en agglomération.
Encore un gros malentendu civique sur les règles en usage dans notre beau pays, dont on se doute qu’il sera résolu rapidement par l’intervention musclée des forces de polices locales, d’autant qu’un adolescent y a laissé la peau. Il est vrai que les malentendus et les petites tensions s’accumulent (comme à Bobigny), et parfois, comme en ce 3 mai 2015, les esprits s’échauffent. Mais rien que notre service d’ordre ne saura gérer, bien sûr.
Tout comme sera sans aucun doute rappelé aux habitants de l’Oise que la détention d’armes de guerre (Uzi, Kalachnikov et Famas) n’est absolument pas tolérée ni même autorisée pour les particuliers. C’est très mal et en disposer tout un arsenal chez soi constitue tout de même une infraction, ne l’oublions pas. Non mais.
Si j’étais taquin, je constaterais qu’en une grosse semaine, on recense quasiment une fusillade par jour, avec des morts, des blessés, des cités entières à la solde de trafiquants, des saisies de drogue en quantité … stupéfiante sans que cela donne l’impression de se tarir. J’en profiterais pour noter qu’une telle vague de fusillades n’est, en réalité, même pas exceptionnelle (on se souviendra de cette journée si délicieuse pendant laquelle Manuel Valls, en visite à Marseille, agitait frénétiquement son menton pendant que des petits malins arrosaient généreusement de plombs le chef de la sureté locale).
Je continuerais sans doute de me gausser de ces niais qui commentent sur la moindre fusillade américaine en y voyant le signe d’une société détraquée, prompte à user des armes à feu à la moindre occasion, oubliant dans le même temps ces débordements français maintenant quasi-quotidiens. Enfin, je terminerais en mentionnant que la guerre contre la drogue, en France, n’a jamais marché, que l’interdiction de port d’arme ne sert, concrètement, à rien puisqu’elle n’a en rien dissuadé ces fusillades (ni celles du 7 janvier, au passage), mais que de toute façon, tout ceci n’est pas grave parce que tout ceci n’est qu’un sentiment d’insécurité.
Oh oui, si j’étais taquin, je dirais tout ça, et probablement quelques autres moqueries nécessaires.
Mais ce n’est pas le genre de la maison.