Les choses sont claires : le chômage continue de grimper et la situation économique du pays ne veut pas se redresser. Pourtant, les efforts du gouvernement et des élus, de droite comme de gauche comme du centre et d’ailleurs, ont été constants et déterminés.
Il n’est qu’à voir le travail acharné qu’ont mené vos députés sur l’année écoulée.
Pas une journée n’aura été perdue en petites courtoisies et autres simagrées polies mais dilatoires : il n’aura été question que d’agir, réformer, restructurer, refaire et améliorer par la loi, les décrets et les projets, tout ce sur quoi le gouvernement et sa majorité pouvaient mettre la main.
Après plus d’une année à batailler, pied à pied, contre les lourdeurs administratives, la bureaucratie étouffante et des procédures législatives particulièrement complexes desquelles vous ne ressortez jamais indemne, l’Assemblée Nationale peut ainsi s’enorgueillir de victoires éclatantes sur la complexité administrative, de réformes structurelles profondes. Le bilan est déjà excellentissime puisque le Palais Bourbon explose allègrement toutes les prévisions budgétaires en termes de dépenses et … Ah. Euh.
Oui bon certes mais c’est-à-dire qu’en fait les députés ont été débordés et puis ils ont fait de gros efforts pour pondre de la loi à un rythme jamais égalé et tout ça, forcément, ça entraîne des petits débordements budgétaires. Comprenez-les, ils sont fatigués et même au bord du nervousse bréquedone, du burnoute comme on dit de nos jours.
Par exemple, il fallait absolument acquérir le somptueux Hôtel de Broglien, indispensable et sans lequel, le prestige de l’Institution en aurait évidemment pâti ! L’augmentation des frais de voyages est la conséquence directe de l’augmentation des voyages en avion ainsi que de leurs tarifs. Tout le monde sait que le voyage en avion coûte tous les jours plus cher et ce d’autant plus qu’on ne voit pas souvent de députés sur Easyjet ou Ryanair…
Il fallait aussi revoir le plan de retraite des députés, afin de le faire passer de misérable à seulement médiocre ; une petite revalorisation, un renouvellement quasi-complet des députés, une réforme structurelle (une baisse des pensions bien plus tard que la réduction de l’assiette de cotisation) tout ça nous amène tranquillou à une hausse d’un petit 11% pas trop violent que vous comprendrez aisément vu l’importance de la mission républicaine et démocratique remplie par nos élus.
Et puis il y a bien sûr les autres frais – parfaitement logiques, explicables et tout à fait normaux – entraînés par l’activité quasi-épileptique des élus : frais de comptabilité, frais postaux, frais de taxi, de téléphone, d’équipement numérique des députés et de leurs collaborateurs (depuis les tablettes aux ordinateurs en passant par les derniers bidulotrons d’Apple, y compris les connexions WiFi, normalement gratuites mais pas trop). Tout ceci aboutit à augmenter légèrement ces frais de 160% (ce n’est pas une faute de frappe) pour les faire passer à plus de 16 millions d’euros dans cette décontraction musclée qui caractérise le stakhanoviste obsessionnel ou le jeanfoutre de dimension intergalactique.
Une chose en entraînant une autre, au lieu des 28,4 millions d’euros de réserve prélevés lors de l’année écoulée, l’Assemblée nationale devra cette année puiser dans ses réserves près de 47 millions d’euros l’an prochain sur un total de 318 millions.
Heureusement, s’il s’agit bien d’un petit dérapage, il est non seulement contrôlé mais il est aussi totalement assumé, notamment par Florian Bachelier, premier questeur de l’Assemblée :
« J’assume totalement cette priorité. Ce sont, pour la plupart d’entre elles, des dépenses d’investissement nécessaires à la modernisation de l’Assemblée et à l’efficacité du travail des parlementaires. Elles se substituent à des frais de papier ou de photocopies. »
Il est vrai que 16 millions d’euros de papier ou de photocopies, ça aurait probablement paru un peu trop gros alors que si le poste concerne des iPhones, de la connexion WiFi (pourtant gratuite), des tablettes et des abonnements à Youporn, cela passe nettement mieux auprès du contribuable.
Contribuable qui, de l’aveu même du brave petit Florian, ne sera pas embarqué dans ces nouvelles dépenses :
« Nous avions le choix entre une baisse drastique des dépenses d’investissement (…), une hausse de la contribution de l’État qui s’élève déjà à plus de 1 demi-milliard d’euros et un prélèvement sur nos réserves. Nous avons privilégié cette dernière option afin de ne pas mettre les citoyens à contribution. L’Assemblée nationale doit montrer l’exemple. »
Eh oui parce que la réserve de l’Assemblée, c’est (comme tout le monde sait, contribuable en premier) de l’argent qui sort directement du cul d’une licorne et que le contribuable sera donc heureux de voir dépensé pour des choses aussi indispensables qu’un député affûté aux nouvelles technos, encore plus prompt à pondre de la loi, du décret et du cerfa dans un pays qui en manque si cruellement !
Et puis, quand on y réfléchit bien, qu’est-ce que 560 millions d’euros, pour 577 députés ? Cela fait à peine 970.000 euros dépensés par député, ce qui est fort modeste… quand on compare à des patrons du CAC40. En regard des prouesses dont ils vous ont régalés, c’est un prix plus que raisonnable, ne trouvez-vous pas ?
Du reste, un peu plus d’un demi-milliard d’euros pour quelques élus, c’est une somme faible face à la dette du pays qui peut s’enorgueillir de frôler enfin le 100% de son PIB, alors que, dans le même temps, des pays avec la même monnaie, la même Union Européenne, ayant subi la même crise en 2008, disposant de ressources très comparables aux nôtres, s’en sortent soit en diminuant effectivement leur dette, soit en équilibrant leur budget, soit en observant une croissance largement supérieure à la nôtre.
L’exception française frappe décidément à tous les niveaux, y compris les plus hauts et de façon systématique…
Cependant, rassurez-vous. La situation n’est absolument ni gênante, ni catastrophique puisque des solutions, on en a, plein, qu’on va pouvoir appliquer bien vite.
Tenez par exemple ces deux derniers exemples en date.
D’un côté, le Fisc (♩ ♪ Gloire & Paix ♫ Sur Cette Institution Sereine et Indispensable ♬) vient de se rendre compte que le commerce en ligne ne lui était absolument pas favorable : des milliers de biens et produits passent maintenant les frontières sans avoir été correctement taxés. La très Sainte, très Nécessaire et très Onctueuse TVA n’est pas collectée sur la plupart des achats menés au travers des plateformes internet et l’internaute consommateur ne sait même pas qu’il devrait pourtant s’acquitter de droits de douane à l’achat de ses gadgets. Pour Bercy, on parle en miyardeurodemankagagner, l’unité de base à partir de laquelle l’institution lâche ses chiens.
Moyennant quelques petits ajustements (à coups de clef de douze sur les phalanges des internautes les plus récalcitrants), tout ceci devrait rapidement rentrer dans l’ordre. Fini, les trous de l’Assemblée nationale lorsque tout le monde paiera sa TVA via Amazon.
D’un autre côté, le contribuable est un petit animal mou qui se déplace aussi souvent en voiture, engin du diable qu’il convient de combattre. Là encore, ça tombe bien puisqu’en augmentant sévèrement les malus imposés à ces machines polluantes, on va se ménager de nouvelles ressources financières bien juteuses.
Si l’on ajoute à ces deux exemples la véritable avalanche de coups de pelle fiscaux dans la nuque contribuable que j’avais relevée la semaine dernière, on se sent tout de suite totalement à l’aise : l’Assemblée nationale ne manquera pas d’argent avant un moment !
Entre l’argent des licornes, celui des contribuables et celui des automobilistes, tout va très bien se passer !