Depuis plus de dix ans et malgré une actualité toujours frémissante, des catastrophes (naturelles ou non), des attentats ou des crises sociales ou politiques majeures, la République aura bénéficié d’une constante d’airain : les gouvernements qui se sont succédé au moins depuis Sarkozy ont tous fait preuve du plus solide amateurisme.
C’est un véritable point de repère dans le bouillonnement d’événements qui secoue le pays depuis plusieurs lustres, un roc de constance dans le tourbillon de l’instantané, du fugace et du temps qui passe (trop vite) : quoi qu’il arrive, on est systématiquement assuré que les politiciens en responsabilité feront toujours preuve du jmenfoutisme le plus compact, de cette forme de décontraction paniquée que seule la déconnexion complète suite à l’exercice du pouvoir permet de bien maîtriser.
Ni Sarkozy, ni Hollande (véritable maître en matière d’amateurisme) n’ont jamais cessé cette improvisation sur fond de panique complète qui ont fait la marque de leurs quinquennats respectifs. Et maintenant, à la suite de la dernière allocution du chef de l’État, le quinquennat de Macron s’est résolument placé sous les mêmes auspices foutraques de l’accident de parcours, de la réaction à chaud mal calculée et des mesures décidées à la petite semaine sans la moindre considération pour le moindre planning ou les lois élémentaires de la physique de base.
On pourrait croire qu’on exagère en parlant ainsi de panique et d’improvisation au sommet de l’État. Il n’en est rien puisque la presse elle-même finit par toucher du doigt cette réalité assez inquiétante. Malgré ses subventions, malgré un attachement indéniable à l’actuel locataire de l’Élysée, il lui est difficile de nier ces deux caractères maintenant visibles de l’actuel Exécutif français.
Pour la partie panique, il suffira de relire avec attention les quelques articles sortis sur les préparatifs qui furent mis en place pour le chef de l’État à l’occasion de l’acte IV des Gilets Jaunes (samedi 8 décembre) : exfiltration du Président par un hélicoptère prêt à décoller en urgence au cas où, présence d' »armes secrètes » policières dévoilées par un amusant article de Marianne mal démenti par des déclarations officielles (tout est faux puisque ce n’est pas un liquide, c’est une poudre !), bref, on sentait le calme, la résolution et une solide sérénité au sommet de l’État.
Pour la partie amateurisme, la semaine qui aura suivi le lundi 10 en aura été la parfaite illustration.
Dans son allocution, le Chef de l’État a tenté de calmer la colère populaire en promettant aux smicards la revalorisation immédiate, dès le premier janvier prochain, de leurs rémunérations par une augmentation de 100€ directement visible sur leur fiche de paie.
Tout avait bien commencé puisque le Président avait clairement annoncé que ces 100€ pour chaque smicard seraient défiscalisés et ne supporteraient pas les charges sociales. Certes, il n’avait pas spécifié d’où l’argent proviendrait, mais certains, hardis, imaginaient déjà qu’ils seraient simplement obtenus par une diminution des charges patronales à hauteur de ces mêmes 100€, ce qui aurait été effectivement neutre pour les entreprises.
Malheureusement, les jours qui ont suivi cette déclaration ont permis de mesurer avec une précision diabolique le degré réel de préparation des institutions de l’État pour faire face à cette proposition d’Emmanuel Macron. Le résultat est sans appel : cette préparation est absolument nulle, un zéro parfait.
Les ministres et les déclarations se sont succédé pour tenter de bien faire comprendre la situation aux Français (les concernés et les autres) : rien n’était réellement figé dans le marbre, et ces 100 euros recelaient déjà plein de surprises, obligeant nos élus divers et variés à s’entrecroiser dans une danse ni chaloupée, ni gracieuse.
Il fut un temps question d’une simple accélération dans la mise en place de la prime d’activité. La presse, docile, commença donc à détailler le procédé de mise en place, dans une série d’articles balbutiant des explications de plus en plus floues.
C’était confus ? Le gouvernement est donc à nouveau intervenu, pour y ajouter une bonne dose de confusion supplémentaire : ces 100€ seront finalement payés par la Caisse d’Allocation Familiale (CAF), il suffira d’une petite adaptation logicielle et tout ira bien. Rappelez-vous que l’informatique étatique est redoutablement bien conçue, efficace et adaptable.
Proposition que la CAF a été obligé de repousser : compte-tenu de son informatique délicate et de la présence toujours possible de bugs rigolos dans ses myriades de codes complexes, l’institution ne se sent prête qu’à partir de Juin au mieux. Pour une augmentation de 100€ en Janvier, c’est donc mal enquillé.
On se perd réellement dans les explications des institutions, des intervenants et des ministres à tel point qu’une nouvelle idée lumineuse est rapidement apparue : et si l’État faisait directement un petit chèque aux smicards concernés ?
Devant cette magnifique improvisation free-style, on se prend à imaginer le président, un carnet de chèques à la main et un petit bout de langue dépassant de ses lèvres pincées par l’effort de concentration, signant l’un après l’autre les millions de chèques de 100 euros au nom de l’État, ses doigts engourdis par les ampoules.
La réalité sera cependant moins réjouissante (mais pas forcément plus agréable pour Macron) : on ne sait toujours pas quelle institution (Bercy, la CAF, …) sera mise à contribution. Compte-tenu des volumes et des modalités, on n’a aucune idée de ce qui va réellement être mis en place. Y aura-t-il effectivement des chèques, ces moyens de paiement antédiluviens, émis pour être ensuite encaissés par des millions de smicards ou l’administration, résolument moderne, va-t-elle frôler le 21ème siècle par le bon bout et proposer un virement bancaire (qui a toutes les chances de cumuler les erreurs de montant et de destinataires) ?
Nul ne sait vraiment, et en réalité, peu importe : la carabistouille présidentielle commence d’ores et déjà à se dégonfler pour découvrir l’effarante réalité. Lundi dernier, le président est allé au charbon sans avoir la moindre idée de ce qui était réalisable techniquement et budgétairement. Tel un monarque distribuant les écus du royaume par un geste auguste et généreux, il a distribué l’argent des contribuables qu’il n’avait pas, qu’il ne savait où trouver, par un truchement totalement improvisé et d’ailleurs impraticable, dans un contexte où, de surcroît, les caisses sont vides et ne risquent pas de se remplir.
Sarkozy comme Hollande nous avaient habitué à une forme de grotesque pathétique avec leurs apparitions publiques, leurs déclarations idiotes (on se souviendra longtemps de l’affaire Leonarda par exemple). Mais là où ces deux clowns tentaient essentiellement des manœuvres de communication pour plaire au peuple ou camoufler leur inaction par une excitation médiatique ridicule, Macron a, pour sa part, tenté de calmer la colère d’un peuple qui n’en peut déjà plus de sa présence par une manœuvre stupéfiante d’amateurisme et d’impréparation.
Le remède ainsi proposé semble déjà bien pire que le mal lui-même : au-delà des évidentes catastrophes informatiques, budgétaires et politiques que cette promesse va provoquer, la désinvolture ainsi affichée empiète maintenant dans l’enfumage grossier voire, plus grave, dans le mépris.
Forcément, cela va bien se passer.