Situé à la
croisée du monde politique et civil, le lobbying souffre de
préjugés défavorables. Le lobbying est
l’activité qui consiste à surveiller, analyser et
infléchir les décisions des titulaires de charges publiques.
Mais de quoi est-il le fruit ?
A Bruxelles, là où
les décisions publiques de l’Union Européenne (UE)
convergent et se construisent, on compte un lobbyiste pour trois titulaires
de charges publiques.
Ces groupes
d’intérêts sont variés :
représentations permanentes des États-membres,
fédérations professionnelles, consultants, entreprises,
organisations non-gouvernementales, syndicats, représentations de
collectivités publiques, agences gouvernementales, organisations
internationales, laboratoires d’idées. Tous tentent
d’influer sur l'élaboration des politiques de l'UE.
En effet, une nouvelle
réglementation pouvant profondément modifier leurs
activités, les différents acteurs essaient de se tenir
informés des intentions du législateur et d’être
entendus lors du processus décisionnel.
Le dialogue entre groupes
d’intérêts et décideurs publics n’est pas une
négociation car les deux parties ne sont pas égales : les
lobbyistes tentent de convaincre, les décideurs décident. Ainsi
se crée un forum où l’État cherche
l’information technique qui lui manque et où la
société civile contribue à la décision en tentant
de l’infléchir par ses arguments. Sans pouvoir de
décision de l’État, le lobbying est sans objet.
Plus le périmètre de
l’État s’élargit et plus son pouvoir
s’approfondit, plus il y a de secteurs touchés. Plus la
matière de la décision devient complexe, personne ne disposant
plus à lui seul de l’expertise technique et juridique
nécessaire à analyser toutes les conséquences de la
décision, plus s’accroît le nombre de responsables et de
comités d’experts. Mécaniquement, plus l’État
a de pouvoir, plus il y a de lobbying.
De ce dialogue forcé
émerge un compromis, ce qui est un avantage puisque cela permet de
prendre en compte une pluralité d’intérêts mais
aussi un inconvénient puisque les points de vue les moins
représentés sont évacués même s’ils
sont pertinents.
Seront davantage représentés
les groupes d’intérêts ayant le plus de ressources
électorales (le plus grand nombre de salariés ou de
sympathisants), financières (permettant d’embaucher plus
d’experts techniques et juridiques sur une plus longue durée) ou
symboliques (être vu comme un « chevalier
blanc ») nécessaires pour se faire connaitre. Ainsi, les
organisations ayant le plus de capital ont un potentiel d’influence
plus important que les autres.
Par exemple, une grande entreprise
pourra mieux survivre à l’introduction d’une nouvelle loi
que ses concurrents plus petits. C’est une des raisons pour lesquelles
les grandes entreprises privilégient les nouvelles
règlementations tandis que les petites s’y opposent en
général.
Afin de rendre possible des
marchés oligopolistiques stables, les organisations les plus
influentes « occupent » ainsi les agences
gouvernementales chargées de les règlementer. C’est le
phénomène récurrent dit de la capture
règlementaire où un agent tire un bénéfice de son
contrôle sur un segment de l’État qui en transfère
les coûts à un grand nombre de non-bénéficiaires
de façon à rendre indolore ce transfert.
Cette collusion entre
réglementateurs et réglementés n’est pas
délibérée. Au-delà du fait que les organisations
règlementées sont la première source d’information
de l’État, il existe naturellement une culture commune entre
réglementateurs et règlementés.
L’identité
professionnelle entre réglementateurs financiers et grandes banques
est par exemple documentée (Jon Corzine,
Henry Paulson, Mario Draghi,
Mario Monti, etc.). Ce flux installe une vision du monde favorable aux
banques dans les couloirs du pouvoir et donne une image de service public
à cette industrie.
Elle laisse dans l’angle
mort les alternatives spontanées et axe les réformes sur la correction
marginale du modèle organisationnel en place : la
nécessité de son existence est un présupposé. Les
règlementés-règlementateurs voient leur identité
comme allant dans l’intérêt du public, comme la diffusion
de leur expertise. Cette identité idéologique crée un
sentiment général d'obligation à protéger
les grandes organisations.
Tout ceci aboutit à ce que
Frédéric Bastiat appelait la privatisation de l’État :
un État se mêlant de tout aboutit organiquement à
favoriser des intérêts privés.
Pour diminuer le lobbying, il faut
limiter le pouvoir de l’État : on n’influence pas
quelqu’un qui n’a aucun pouvoir. S’il n’y a pas de
chocolat, on ne tend pas le bras pour le prendre.
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