L’ancien président de la FED, dont les mémoires seront publiées ce
mois, a développé une position courageuse concernant l’état politique du pays
durant une interview.
Paul Volcker, vêtu d’un pull bleu, était étendu dans un relax de son
appartement d’Upper East Side. En raison de sa taille, ses jambes dépassaient
du repose-pied, il avait donc placé un pouf pour permettre à ses jambes de se
reposer.
« Je ne vais pas bien », a déclaré M. Volcker, âgé de
91 ans. Cet ancien président de la FED était devenu célèbre lorsqu’il avait
eu recours à des taux incroyablement élevés pour combattre l’inflation
galopante de la fin des années 70 et du début des années 80. Longtemps
considéré comme un sage parmi les experts financiers, cela fait quelques mois
qu’il est malade.
Mais il n’a pas vraiment voulu parler de lui-même. M. Volcker a préféré
évoquer l’état du pays, de l’économie et du gouvernement. Et alors qu’il semblait
léthargique à mon arrivée, il s’est tout à coup réveillé tandis qu’il
développait ses critiques. « Où que l’on regarde, on contemple un
sacré bazar », a-t-il déclaré.
Des centaines de livres cernaient M. Volcker. Remplissant une
bibliothèque, empilés partout où une surface plane le permet… Tout comme les
pages roses du Financial Times. « Le respect pour le
gouvernement, le respect pour la Cour suprême, le respect pour le président,
tout s’est envolé », a-t-il déclaré. « Même le respect
pour la Federal Reserve. »
« Et tout cela n’est vraiment pas bon. Au moins l’armée est
encore respectée. Je me demande néanmoins comment on peut encore croire à la
démocratie lorsque personne ne croit dans le leadership du pays. »
Avant de tomber malade, M. Volcker a achevé la rédaction de ses mémoires,
dont le livre sera intitulé Keeping at It: The Quest for Sound Money and
Good Government (Ne jamais abandonner : la quête de l’argent
sain et de la bonne gouvernance). Le livre devait être publié fin
novembre, mais vu l’état de santé de l’auteur, la date de publication a été
avancée au 30 octobre.
« Je n’avais pas l’intention d’écrire un livre, mais j’étais
vraiment irrité. Je me fais vraiment du souci à propos de cette gouvernance. »
Ce livre, que Monsieur Volcker a écrit en collaboration avec Christine
Harper, éditrice en chef de Bloomberg Markets, sont les mémoires instructives
d’un homme qui a non seulement redéfini le rôle du président de la FED, mais
qui, après la crise financière, a mis en place une règle qui a éliminé les
plus gros risques qui étaient pris par les banques de Wall Street. La Volcker
Rule, qui faisait partie intégrante de la loi Dodd-Frank, est en train d’être
détricotée par les Républicains. Ce qui n’est pas pour lui plaire.
« Aucune force de la planète ne peut faire front efficacement,
année après année, aux milliers d’individus et aux centaines de millions de
dollars des marais de Washington qui influencent le processus législatif
électoral », a-t-il écrit dans son livre.
Dans certains passages de ses mémoires, M. Volcker évoque des moments
sombres de ses années à Washington. Par exemple, lorsque le président Trump
s’est plaint durant ces derniers mois à propos de la hausse des taux de la
FED, il n’est pas le premier à tenter d’influencer une FED en principe
indépendante. M. Volcker évoque sa convocation à la Maison-Blanche en
1984 pour rencontrer le président Reagan et James Baker. L’entretien s’est
passé dans la bibliothèque située à côté du bureau ovale.
Reagan n’a rien dit, écrit-il dans son livre. C’est Baker qui a délivré le
message : « Le président vous ordonne de ne pas relever les taux avant
les élections », a-t-il déclaré. Monsieur Volcker n’avait de toute
façon pas cette intention.
« Je fus estomaqué », a-t-il dit. « J’ai
ensuite pensé que l’entretien s’était passé dans la bibliothèque, car il
s’agissait probablement d’une pièce où les conversations n’étaient pas
enregistrées. »
Mais son livre ne parle pas que du passé. Il évoque les politiques
actuelles, notamment l’objectif d’inflation de 2 % de la FED.
« Je m’interroge sur les motifs », a-t-il écrit.
« Un objectif ou une limite de 2 % ne faisait pas partie des
prérogatives de mon époque. Je ne connais aucune justification théorique à
cela. »
En riant, il m’a dit qu’il pensait que cette politique était engendrée par
la crainte de la déflation. « Pourtant, nous n’avons jamais connu la
déflation en 90 ans dans ce pays ! » Mais il y a quelque chose
pire que la peur qui affecte les politiques monétaires, m’a-t-il dit. Cette
crainte, c’est l’argent.
« Le problème fondamental est que nous sommes en train d’évoluer
vers une ploutocratie », m’a-t-il confié. « Nous avons
beaucoup de gens qui sont devenus extrêmement riches, et qui se sont
convaincus qu’ils le sont devenus parce qu’ils sont intelligents et qu’ils
créent de la valeur ajoutée. Et ils n’aiment pas le gouvernement, ils
rechignent à payer des taxes. »
Lorsqu’il est arrivé à Washington, « la ville était remplie de
bureaucrates », a-t-il déclaré. « Mais ce n’était pas un
problème. » À l’époque, les fonctionnaires, comme son père, étaient
des gens respectés. « J’ai grandi à une époque où le mot
gouvernement n’était pas péjoratif », a-t-il dit.
Mais les choses ont changé. Aujourd’hui, Washington est envahi de lobbyistes
et de think tanks. M. Volcker, qui a créé une organisation caritative pour
améliorer l’efficacité des services publics, affirme que le système éducatif
américain a été corrompu par l’argent. (…)
M. Volcker n’est pas un grand fan du président Trump, mais il reconnaît
qu’il a su identifier les craintes économiques des travailleurs manuels.
Monsieur Trump « s’est saisi de problèmes qui ont été ignorés par
les élites », a-t-il déclaré. « Je pense que c’est
indiscutable, même si sa méthode est fantasque. » (…)
Aujourd’hui, Monsieur Volcker s’inquiète déjà de la prochaine crise
financière. Interrogé sur la stabilité des banques, il a affirmé :
« Elles sont aujourd’hui dans une meilleure position qu’auparavant, mais
ma réponse honnête à cette question est que j’ignore à quel point cette bonne
santé est due à des manipulations. »
Selon lui, il s’agit du véritable défi que doivent relever les décideurs.
« Tout le monde parle des politiques monétaires, mais la leçon de
tout ceci est que nous avons besoin d’une supervision plus large et plus
qualitative », a-t-il déclaré.
Alors que notre entretien touchait à son terme, Monsieur Volcker me
donnait l’impression de pouvoir parler pendant des heures. Je lui ai dit
qu’il ne m’apparaissait pas malade, ou déprimé par l’état du monde, mais
plutôt revigoré. C’est en tout cas l’impression qu’il me donnait, lui ai-je
dit. Ce à quoi il m’a répondu : « On va dire que oui. »
Article du New York Times, publié le 23 octobre 2018