Les évènements se déroulent
désormais plus rapidement que nos cerveaux n’arrivent à les suivre. N’est-il
pas merveilleux que le prix de l’essence à la pompe soit un dollar moins cher
qu’il y a un an ? Beaucoup d’idiots peu clairvoyants festoient,
inconscients du fait qu’un pétrole peu cher détruit la capacité pour les
sociétés de livrer du pétrole dans le futur, quel qu’en soit le prix. Les
puits de pétrole de schiste dans le nord du Dakota et au Texas, le projet Tar
Sand dans l’Alberta et les forages pétroliers en eau profondes aux Etats-Unis
comme à l’étranger ne sont pas économiquement rentables à 45 dollars le
baril. Les puits de pétrole de schiste encore en opération continueront de
produire pendant encore un an, mais il n’y en aura pas de nouveaux de creusés
lorsqu’ils s’épuiseront – 50% des réserves sont produites la première année,
et les puits se vident généralement sous quatre ans.
Il faut dire que la structure
financière des exploitations de schiste était suicidaire depuis le départ.
Les forages et les opérations de fracturation ont été financés par des
obligations toxiques à rendement très élevé, ou si vous préférez, de l’argent
emprunté à des « investisseurs ». Tout le monde s’est mis à forer
et à produire sans relâche, mais même à 105 dollars le baril, personne ne
pouvait tirer profit de ces opérations. Les investisseurs n’ont pas pu être
remboursés, et beaucoup de prêts provenaient de carry-trades établis par les
too big to fail, gonflés par d’importantes « marges ». C’est ce qui
a permis aux investisseurs de prétendre avoir risqué bien plus gros qu’ils ne
l’avaient fait en réalité. Tous ces instruments à effet de levier – ces paris
– ont été garantis dans un enfer de produits dérivés non-régulés prétendant
agir en tant qu’assurance contre les mauvais paris, mais qui en réalité ne
peuvent jamais payer quoi que ce soit puisque l’argent qu’ils représentent
n’est pas là (et ne l’a jamais été). Arrivent ensuite les appels de marge…
En clair, profitez d’un prix à
la pompe de 2,50 dollars tant qu’il durera, parce que quand les réserves
actuelles de pétrole de schiste se seront épuisées, ce sera terminé. Quand
toutes ces obligations qui se tiennent debout sur leurs montagnes de produits
dérivés s’effondreront, l’industrie du pétrole e schiste ne disposera d’aucun
financement. Plus aucune obligation à rendement élevé ne sera émise, parce
que les précédentes auront fait l’objet d’un défaut. Très peu de nouveaux
puits seront forés. La production pétrolière américaine ne s’en retournera
jamais à son niveau de 2014-15 (qui aura été le plus élevé de tous les temps
après celui des années 1970. Le rêve d’une indépendance énergétique ira
s’écraser au loin sur la berge des promesses brisées. Et tout ça n’est bien
entendu qu’une partie de l’histoire, parce que des répercussions se feront
aussi ressentir sur le plan social et politique.
La grande table du banquet des
conséquences a été dressée. Le prochain chapitre de l’histoire du pétrole
aura plus de chance de voir entrer en jeu la rareté qu’un simple rebond de
prix. Le point de bascule sera la déstabilisation inévitable de l’Arabie
Saoudite, qui devrait arriver cette année, après que le roi Abdullah ibn
Abdilaziz, 91, fils d’Ibn Saoud, quittera son trône des soins intensifs pour
aller les vierges et festins du Paradis. En parlant e festin, j’imagine que
l’EIIL se réjouit à l’idée d’envahir une Arabie qui ne serait plus qualifiée
de Saoudienne ! Les Saoudiens sont si effrayés qu’ils ont parlé la
semaine dernière d’un projet de construction d’un mur digne de celui de
Berlin le long de la frontière avec l’Irak. Voilà qui suscite l’idée ridicule
d’un scénario à la ligne de Maginot dans lequel des envahisseurs masqués se
contentent simplement de contourner l’obstacle. Dans tous les cas, l’Arabie
Saoudite se désintègrera de l’intérieur à mesure que les princes et les clans
se chamailleront pour son contrôle. Que feront ensuite les Etats-Unis ?
Se précipiteront-ils dans la région ? Ne serait-ce pas là le seul moyen
pour eux d’arranger la situation ? (voir American Sniper.)
A l’échelle domestique, il y
aura aussi de quoi s’occuper. La prochaine fois que les marchés des actions
et obligations et les too big to fail s’effondreront – et il y en aura une –
les mécanismes de sauvetage seront bien plus massifs que les taux d’intérêt
zéro et les QE de 2008-15. La prochaine fois, les fédéraux devront confisquer
certaines choses, briser des promesses, et en trahir beaucoup. La question
sera de savoir pendant combien de temps le public pourra le supporter.
L’armement massif des polices américaines en cours est peut-être un début
de réponse à la question de savoir comment le gouvernement gèrera le
problème.