Ce
n’est pas un métier que d’être banquier : passe
encore d’être couvert d’opprobre et soupçonné
de toutes les cupidités, mais il faut encore tenir la barque à
flot !
Les
temps sont durs. Ils exigent de trouver des capitaux pour renforcer les fonds
propres, afin de satisfaire à la réglementation de Bâle
III, ainsi que de se préparer en Europe à des défauts
sur la dette souveraine, qui pourraient survenir un beau matin.
Les
régulateurs en rajoutent, déterminés – en
dépit de l’intense activité de lobbies qui viennent de
connaître une rebuffade – à imposer à des établissements
systémiques, dont la liste de 28 noms est tout à la fois
confidentielle et secret de polichinelle, des contraintes
supplémentaires de fonds propres. Qui a tenu à ce sujet le
discours suivant : « J’observe une résistance de certains
acteurs du secteur financier envers Bâle III. Et envers le traitement
des banques systémiques. Pour moi, cela ne peut pas être plus
clair : ce qui a été décidé est
décidé » ? Ne cherchez plus, il s’agit de
Jean-Claude Trichet, à l’occasion du dîner de gala de
l’Eurofi, à Wroclaw, le 16 septembre
dernier.
Sur
quoi peuvent alors jouer les banquiers ? Proscrivant toute atteinte à
la libre distribution des dividendes aux actionnaires ainsi que des bonus ou
augmentations de la rémunération des dirigeants, il ne leur
reste plus que deux variables afin de limiter au maximum la recherche de
nouveaux capitaux : réduire la voilure ou bien les engagements.
Céder ou redimensionner des activités ou diminuer l’en-cours des crédits accordés.
Décidés
à refuser par tous les moyens les offres de recapitalisation par
l’État, BNP Paribas, la Société
Générale et le Crédit Agricole ont ainsi l’une après
l’autre annoncé qu’elles réduisaient la voilure
afin d’en faire autant de la taille de leur bilan. Une volte-face
après des années d’opérations destinées
à l’accroître. L’analyse de leurs annonces
sibyllines fait cependant apparaître que le crédit pourrait
être une importante victime de cette nouvelle politique.
Mais
cela ne résout pas encore tous les problèmes, si l’on
observe les réflexions en cours sur de nouveaux produits financiers
sophistiqués, qui rappellent d’autres réussites de triste
mémoire. L’appel aux obligations non sécurisées,
auparavant largement utilisées, contrevenant en effet aux nouvelles
normes de Bâle III, il a fallu se tourner vers l’émission
d’obligations sécurisées, qui comme leur nom
l’indique sont considérées comme sans risque, et donc
éligibles au titre des fonds propres par Bâle III. Mais ces
émissions sont très consommatrices de collatéral de
qualité, ce qui en limite l’ampleur, car il faut en
posséder, impliquant de faire appel au génie créatif de
la finance.
Cette
dernière a ainsi proposé des obligations quasi
sécurisées ou sécurisées
structurées, qui utilisent les techniques de la titrisation. Il
est ainsi question d’adopter comme collatéral des actions ou des
produits indiciels (des ETF). On voit aussi se développer des accords
swap de gré à gré – sans contrôle, ni
trace – d’échange de liquidités contre des actifs
de toute nature, catalogués dans la mystérieuse
catégorie des « solutions alternatives en capital » dans
les bilans bancaires. En fait de renforcement des banques, ces
succédanés sont fortement susceptibles de les fragiliser !
À
chacun son ratio, le Comité de Bâle a les siens, les banques le
leur. Il s’agit du ROE (return on equity), ou
bien encore rendement des capitaux propres, le rapport entre le
résultat net et les capitaux investis par les actionnaires. Le ROE du
secteur bancaire étant déjà sur la pente descendante,
habitué à des taux supérieurs à 15 %, limiter les
dégâts est devenu une préoccupation majeure. Ce qui ne
peut se faire qu’en augmentant la prise de risque dans le contexte
actuel, les marges s’étiolant sur les activités classiques
en raison de la situation économique, et l’accroissement des
fonds propres, qui y contribue mécaniquement.
On
voit donc comment et pourquoi les banques repartent à l’aventure
en dépit des tentatives de les renforcer.
Mais
leur vie est décidément dure, car la Banque d’Angleterre
vient d’enjoindre les banques britanniques de ne pas chercher à
améliorer leur bilan – face à la chute de leurs profits
et dans le but de sauvegarder les dividendes et les bonus – au
détriment de leur activité de crédit. Selon elle,
c’est une question de priorité dans un pays connaissant la
stagflation, face à laquelle la banque centrale ne sait plus que
faire. Signe de l’importance du sujet, elle en vient même
à proposer aux banques de privilégier l’accroissement de
leurs crédits au respect des normes de Bâle III, c’est
dire…
La
question est donc clairement posée : quelles priorités doivent
être adoptées par les banques ? Une question en amenant une autre
: qui pourrait leur imposer de faire le bon choix ?
Billet rédigé par
François Leclerc
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