« En raison d’un mouvement social, le service vélib’ est actuellement très perturbé. » Cela a déjà été dit, remarqué, noté et répété : l’impossible n’est pas français. La France peut tout, et le prouve tous les jours : en matière de grève, le pays ne saura connaître aucune limite, tout peut se gréver et tout peut se retrouver paralysé par l’un ou l’autre mouvement de revendication. Y compris des vélos.
Soit, on parle dans ce cas de ces tanks à deux roues dont le déplacement n’est déjà qu’assez peu possible en temps normal mais c’est bien d’immobilisation complète qu’il s’agit ici pour nombre d’entre eux : comme en témoigne l’entête jaune fluo du site officiel des vélos en location de la Mairie de Paris, la grève les frappe de plein fouet.
On peut admirer ce qui n’est rien moins qu’une véritable performance : là où, dans n’importe quel pays, le vélo constitue une alternative crédible aux déplacements intra-urbains lorsque ces derniers sont gênés par des aménagements municipaux débilissimes ainsi que les grèves d’une certaine catégorie de paléo-syndicalistes, la France relève le défi de transformer ce qu’on pouvait croire être une solution solide en magma gluant d’impossibilités, de déceptions, de blocage et, bien évidemment, de trous dans les finances publiques.
Il faut avouer que la situation oscille entre le cocasse et le tragique.
Côté cocasse, on se rappellera que la société en charge du déploiement de ces vélos n’a pas réellement réussi à remplir son contrat. Côté tragique, on ne pourra pas oublier qu’en définitive, ces Anneries seront toutes payées par le contribuable parisien, quoi qu’il advienne.
Comme je le décrivais dans un précédent billet, l’année 2018 devait marquer la fin du contrat précédemment détenu par JCDecaux pour la mise en place et l’entretien des Vélibs dans la ville de Paris et son remplacement par celui noué avec Smovengo, suite à appel d’offre. Au moment de la signature, l’équipe municipale avait mis en avant les économies que la ville de Paris pensait réaliser grâce à cette jolie startup et ses idées innovantes.
Las. Le mois de Janvier, qui devait marquer le début du nouveau contrat avec des douzaines de stations installées pour accueillir les nouveaux vélibs, aura vu une série de problèmes qui ne sont pas allés en se résolvant, au contraire. Non seulement, la facture du précédent fournisseur de service restera à payer par le Parisien tant Vélib était déficitaire d’années en années, mais en plus, le nouveau prestataire enfile ratés sur ratés.
Jouant de malchance, Smovengo doit à présent gérer trois problèmes de front : d’un côté, l’électrification des bornes de rechargement de ses vélos électriques n’est pas complète, loin s’en faut, et de l’autre, la grève de la SNCF entraîne une hausse (logique) de l’utilisation de ces vélos qui doivent se contenter de leurs batteries, rapidement vides. Enfin et parce qu’on est en France et que finalement, rien ne marche autrement qu’ainsi, la grève de la SNCF se double d’une grève interne à la société Smovengo où une partie du personnel réclame les mêmes avantages que chez l’ancien opérateur, JCDecaux.
On pourrait aussi gloser sur l’ergonomie globale des engins de combat ou évoquer les bugs informatiques rigolos ou la confusion de certains usagers : « La signification de certains pictogrammes est loin d’être simple à deviner : que devez-vous faire quand vous voyez une tasse de café s’afficher sur le boîtier ? » Mais finalement, la conclusion serait la même : ça ne marche pas.
Au final, on a donc une flotte de vélos déchargés, des bornes inopérantes et un service extrêmement dégradé au point que la municipalité somme à présent l’entreprise de mettre en place un plan d’urgence pour sauver le concept.
À ce point du récit, il conviendrait probablement de prendre quelques jours de recul pour décider de la marche à suivre concernant ce contrat entre la ville de Paris et Smovengo dont certains évoquent le montant, autour de 600 millions d’euros, sur 15 ans.
Très manifestement, le choix de la startup montpelliéraine n’était pas vraiment judicieux, pour le dire gentiment.
Sauf à tortiller la réalité, ce choix n’incombant qu’à la municipalité elle-même, on se devra de lui faire porter une partie de la responsabilité de la déroute déjà visible, l’autre étant évidemment portée par le prestataire lui-même qui n’a manifestement pas bien mesuré l’ampleur de la tâche à mener… Ou, peut-être a-t-il tenté de faire ce que faisait son prédécesseur avec un budget inférieur ou égal, sans tenir compte du fait que ce service accumulait des pertes colossales. Or, si JCDecaux pouvait probablement les éponger en partie (l’autre étant payée par le contribuable parisien), il en va tout autrement pour la startup en question, aux marges de manœuvres bien plus étroites.
S’y ajoute très certainement l’incurie de l’équipe municipale dont il n’est plus à démontrer la nullité de ses capacités en matière de gestion des deniers publics, tout comme ses compétences en matière de gouvernance globale, qui ne font plus rire personne.
Devant ces éléments, l’opposition municipale grogne.
Sans surprise, les Mélenchonistes, avec cette lucidité caractéristique des groupes collectivistes, ont tout de suite réclamé une municipalisation rapide de cet énorme « fiasco ». On frémit déjà à l’idée que ce soit l’actuelle équipe qui récupère l’intégralité du projet ce qui achèverait de transformer ce qui est actuellement un accident industriel en véritable cataclysme d’ampleur biblique. On peut se consoler en se disant que les vélos ne sont pas directement nucléaires, mais même ainsi, la tchernobylisation de Paris n’est pas à écarter.
De leur côté, les Macronistes, obligés de marcher plutôt que de rouler et qui qualifient l’ensemble de « gigantesque cafouillage », envisagent des dénonciations de contrat avec Smovengo.
On se doute que ce chemin, aussi rocailleux que judiciarisé, promet de ne pas bien se terminer ni pour Smovengo, ni pour la mairie de Paris, ni, bien sûr, pour le contribuable parisien qui à défaut de pédaler devra encore ramer pas mal.