Même l’anciennement
auguste New York Times
nous explique aujourd’hui que Donald J. Trump a enflammé l’émoi du public dans
le contexte du processus électoral qui ne fait plus que récompenser ceux qui
passent outre les vrais problèmes. L’immigration est un substitut pour la
paralysie, l’incompétence et le ballonnement des gouvernements de notre
époque – mais elle offre aussi une porte ouverte sur un problème plus large.
L’immigration est un
problème pratique, dont les effets sont facilement compréhensibles et
visibles sur le terrain. J’apprécie assez le débat lancé par Trump, notamment
parce qu’il s’oppose à la malhonnêteté dégoûtante du politiquement correct
qui a embourbé les classes instruites dans un marais de sentimentalité. Emily
Bazelon, qui écrit pour le magazine Times
Sunday, a fait polémique la semaine dernière en expliquant que l’usage du
terme « clandestin » pour qualifier ceux qui traversent les
frontières terrestres sans aucune permission ne fait que « justifier
leur mauvais traitement ». Peut-être pense-t-elle également que les
renvoyer d’où ils viennent est une forme de mauvais traitement.
Je trouve rafraîchissant
que Trump soit capable de passer outre ce fatras tendancieux. Si c’était là
son seul rôle, il serait d’une grande utilité, parce que le politiquement
correct est une maladie intellectuelle qui rend impossible, même pour les
plus instruits, de réfléchir – notamment pour ceux qui se prétendent être des
responsables politiques. Les camarades républicains de Trump sont pris au
piège de leur propre lâcheté, et qu’il est amusant de les regarder se
tortiller.
Mais pour ce qui me
concerne, je trouve tous les autres attributs de Trump franchement écœurants,
depuis sa façon de s’exprimer méprisante jusqu’à la vision du monde dont il
nous fait part de jour en jour, en passant par l’incohérence de sa
rhétorique, et le carcajou établi sur le haut de son crâne. Le simple fait d’imaginer
Trump être élu me pousse à me demander où est Arthur Bremer quand on a
vraiment besoin de lui.
L’un d’entre vous a-t-il
regardé la prestation de Trump la semaine dernière, à l’occasion de sa
fameuse « assemblée des citoyens » dans le New Hampshire (qui
n’était rien de plus qu’un rassemblement préparatoire) ? Si je ne me trompe
pas, au cours de son discours, Trump a répété vingt-trois fois à son audience
être un homme « très intelligent ». S’il l’était réellement, il
saurait sûrement que ce genre d’affirmations fastidieuses ne fait que témoigner
de son manque d’assurance en matière d’intelligence. Après tout, il est un
homme qui a passé sa vie à ériger des bâtiments aux allures de trophées de
bowling, certains au service de l’une des pires activités de notre temps, les
jeux d’argent, qui repose sur l’idée tout aussi délétère qu’il soit possible
d’obtenir quelque chose à partir de rien.
Si vous voulez mon avis,
les jeux d’argent ont eu des effets plus néfastes sur la vie des Américains
au cours de ces trente dernières années que les immigrants clandestins. Les
jeux d’argent sont une activité marginale pour les gens marginaux qui vivent
en marge de la société – dans les arrière-cours et les ruelles. C’est là qu’ils
ont été consignés des décennies durant, parce qu’il n’est pas sain pour le
public de croire qu’il lui est possible d’obtenir quelque chose à partir de
rien. Les jeux d’argent menacent ce qui est peut-être le principe le plus fondamental
de la vie humaine.
L’incohérence verbale de
Trump est quand même quelque chose. Il est incapable d’exprimer ses idées sans
s’aventurer dans un labyrinthe dendritique de digressions, qui le mènent
souvent à mentionner à quel point il est aimé (un autre signe de manque de
confiance en soi). Lorsqu’il s’en est pris à Jeb (nul besoin de citer son nom
de famille), selon qui les chefs d’Etat irakiens méritent qu’on leur montre
que nous avons « des intérêts en jeu », Trump a par exemple cité
les « soldats blessés ». « Je les aime. Ils sont partout. Ils
m’aiment », a-t-il dit. Pour reprendre les propos immortels de Tina
Turner, qu’est-ce que l’amour a à faire dans tout ça ?
La notion avancée par
Trump selon laquelle il est possible d’influencer les chefs d’Etat du monde
comme Vladimir Poutine en les traitant à la manière de patrons de syndicats
de cimentiers devrait en faire réfléchir plus d’un. Trump ne semble pas
réaliser que les autres pays pourraient vite se montrer pugnaces envers les
Etats-Unis. Il serait capable de nous traîner dans une guerre mondiale avant
même la fin de la parade d’inauguration.
Le problème, c’est que l’élection
de Trump n’est pas inconcevable. Peut-être un peu tirée par les cheveux, mais
définitivement pas hors de question. Les Etats-Unis approchent une période
houleuse de leur Histoire, comme ceux qui ont les yeux rivés sur les indices
boursiers le savent certainement déjà. Le pays a de fortes chances de se
réveiller un matin d’automne pour se découvrir brisé et fauché. Quand cela se
produira, l’anxiété et l’animosité du peuple partiront à la recherche de bouc
émissaires, et ne s’abattront certainement pas sur les bons. Les dirigeants
du monde pensaient au départ qu’Hitler était un clown. Mais les Allemands en
étaient fous. Dans les circonstances de l’époque, il a su appuyer sur les
bons boutons. Trump est pire qu’Hitler. Et le peuple américain, hélas, est
une bande de tatoués fainéants et enragés plus ignorants encore que les
Allemands de 1933. Vous devriez avoir peur.