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Lettre-pétition de Zakariah El Keklekleh,
prophète de profession, membre fondateur et unique de la religion tri-ugolicienne, à Monsieur le Président de la
République Française
Monsieur
le Président,
J’ai l’honneur de vous écrire pour
protester contre la discrimination violente et invisible dont sont victimes,
en France, les membres du tri-ugolisme, nouvelle
religion monothéiste dont le fondateur est votre humble serviteur (que
la paix soit sur moi).
Malheureusement,
en France, les tri-ugoliciens sont de fait
privé de l’exercice de leur citoyenneté et ne peuvent pas
accéder à la plupart des services de l’État, comme
par exemple l’éducation,
la santé, les transports. Voici que dans la France de 2013, une
minorité religieuse est victime d’une discrimination honteuse, qui
nous rappelle les heures les plus sombres de notre histoire. De quelle
discrimination je veux parler ?
La religion
tri-ugolique considère le triangle comme
étant au fondement de la vie et de l’univers. Son symbole est
formé par 3 points non alignés. Les tri-ugoliciens,
croient que Dieu leur interdit de pénétrer dans une
pièce construite avec plus de trois murs, car cela équivaudrait
à un blasphème et à la négation du principe triangulaire
qui régit le monde. Or, vous conviendrez qu’aucun bâtiment
public en France, aucune mairie, aucune école, aucun hôpital, n’est
construit de manière à pouvoir accueillir des tri-ugoliciens. C’est ainsi qu’à cause de
leurs convictions religieuses, les tri-ugoliciens
sont tenus à l’écart de la vie citoyenne et ne peuvent
bénéficier des services publics. Ceci constitue une discrimination
évidente contre une catégorie de personnes en raison de leur
appartenance religieuse, discrimination que la loi pénalise et dont cette
lettre-pétition exige la fin immédiate.
Des esprits
naïfs objecteront qu’aucune loi n’interdit aux tri-ugoliciens d’entrer dans les bâtiments
publics, dont l’architecture se veut neutre et n’a pas
été conçue explicitement contre les principes de quelque
religion que ce soit. Cette architecture ne saurait donc constituer une
discrimination. Mais c’est ignorer la notion fondamentale de
discrimination indirecte introduite par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008,
selon laquelle : « Constitue une discrimination indirecte une
disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais
susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au
premier alinéa, un
désavantage particulier pour des personnes par rapport à
d'autres personnes.»
Ainsi,
l’architecture des bâtiments publics, neutre en apparence, entraîne un désavantage
particulier pour les tri-ugolicens, en raison de
leurs croyances religieuses et du libre usage de leur liberté de
conscience. Cette architecture qui a toutes les apparences de la
neutralité est en réalité tri-ugolophobe.
C’est pourquoi nous exigeons que tous les bâtiments publics en
France soient aménagés de manière à pouvoir
accueillir des tri-ugoliciens.
Des esprits
mal tournés feront valoir le caractère ultra-minoritaire des
tri-ugoliciens, et le coût exorbitant de tels
travaux. À titre d’exemple, il y a, en France, plus de
35 000 mairies et plus de 53 000 écoles. Ne serait-il pas excessif
de vouloir rendre tous ces bâtiments accessibles aux tri-ugoliciens, étant donné le coût exorbitant
des travaux nécessaires, et la faible probabilité
qu’un tri-ugolicien y mette un jour les pieds ?
Car à ce jour, il n’y a qu’un seul tri-ugolicien
sur terre !
Tout
d’abord, soulignons que le caractère ultra-minoritaire de la
religion tri-ugolique nous prémunit –
pour l’instant – contre les accusations de sectarisme, d’autant plus que le tri-ugolisme prône le respect des
libertés publiques et du principe de laïcité. Le tri-ugolisme
condamne les agissements attentatoires aux droits de
l’homme ou aux libertés fondamentales, qui constituent une
menace à l’ordre public, ou encore qui sont contraires aux
lois et aux règlements
publics. L’État n’ayant pas droit de regard sur le
contenu doctrinal d’une religion au-delà des garanties que nous
venons de formuler, nous ne ferons pas dans cette lettre un exposé
plus détaillé des croyances tri-ugoliciennes.
Nous dirons seulement aux lecteurs tentés de nous rejoindre : la
condition nécessaire et suffisante pour se convertir au tri-ugolisme
est de considérer comme contraire à ses croyances religieuses
le fait d’entrer dans une pièce construite avec plus de 3 murs.
Ensuite,
notre cause
n’est pas une question de rapport de force démographique, mais
une question de principe et de droit. Car c’est de l’égalité des
chances et de l’accès à la pleine citoyenneté, qu’il s’agit comme
c’est déjà le cas pour les handicapés personnes à mobilité
réduite. Pour eux, la loi française exige une mise en accessibilité de tous les bâtiments
recevant du public d’ici 2015, au nom des principes mêmes qui
fondent notre République. Ces principes ne sont pas négociables.
Appliquées à la plus petite des minorités, les exceptions à la
liberté religieuse et à la pleine citoyenneté finissent
toujours par être appliquées à toutes les
minorités. Et l’individu est la minorité ultime –
les socialistes sont bien placés pour le savoir.
En tant
qu’adepte – même unique – de la religion tri-ugolique, nous vous demandons simplement la reconnaissance
de mon statut de citoyen à part entière. Un bâtiment sans
pièce triangulaire nous exclut, autant que des marches excluent une
personne en fauteuil roulant.
« Dites clairement que vous ne voulez pas de
nous ! ».
Sachez
qu’en cas de refus de votre part, nous ne baisserons pas les bras et
nous ne renoncerons pas à nos droits légitimes. Car il existe
un droit européen et international, qui est au
dessus du droit démocratique, c'est-à-dire du droit de
la majorité, dans lequel les minorités sont si souvent mal
à l’aise. Si vous continuez d’exclure les tri-ugoliciens de l’accès à la
citoyenneté et aux services de l’État, nous nous
réservons le droit de recourir devant la juridiction nationale, et, si
nous n’obtenons pas gain de cause, devant les juridictions
européennes et internationales.
Mais laissons
de côté ces menaces d’hostilités judicaires. Nous
sommes confiants que notre requête sera acceptée. D’abord,
parce qu’elle ne soulève aucun conflit de valeurs et ne heurte
personne. Ni les amis des animaux, ni ceux du bikini, ni le Front de
libération des nains de jardins. Et Madame Bardot peut dormir sur ses
deux oreilles. Ensuite, parce qu’un réaménagement des
bâtiments publics sera bénéfique non pas uniquement pour
les tri-ugoliciens, mais pour l’ensemble des
Français. Car ce n’est pas en ayant-droit aigri que je
m’adresse à vous, mais en membre responsable de la
communauté nationale. L’économie est en crise, et le pays
compte officiellement plus de 3 millions de chômeurs. Les forces productives de la France
sont clairement sous-utilisées, et comme nous l’a
enseigné le grand Keynes, seul un retour à l’État
providence peut y remédier et relancer la machine économique
par des mesures visant à
stimuler la demande et résorber le chômage. Or, comment relancer la croissance,
sinon par de grands travaux commandés par l’État ? Et quels travaux seraient mieux
indiqués, que ceux nécessaires à la pleine citoyenneté
de tous les Français ? Cela ne vaudrait-il pas mieux que, par
exemple, la tentation d’une nouvelle guerre ?
Ayant
confiance en votre bienveillance, je vous prie d'agréer, Monsieur le
Président de la République, l'expression de toute ma gratitude
et de ma très haute considération.
Zakariah El Keklekleh
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