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Tenir
une simple liste des discussions entamées et laissées en
suspens, pour ne pas parler des mises à jour de dossiers, est une
tâche qui de jour en jour s’alourdit. Sans aller chercher
jusqu’aux Etats-Unis, où la lancinante question de la
réduction du déficit fédéral n’est pas
près de trouver une réponse, imposant dans
l’immédiat au Congrès de relever le plafond
autorisé de la dette publique, l’Europe n’est pas mal
pourvue sur ce chapitre.
Il
en ressort, pour en faire la synthèse, que plus on avance, moins on
sait quoi faire.
L’émission
des euro-obligations, que l’on croyait pour un temps enterrée, a
déjà rejailli à Paris, à l’occasion
d’une visite jeudi de Georgios
Papandréou, le premier ministre grec. Prudemment, il a avancé
qu’il faut utiliser « tous les outils possibles de la
boîte à outils », après avoir affirmé
en décembre dernier vouloir contribuer à réunir un
million de signatures d’Européens en sa faveur. Il
s’inscrivait alors dans le cadre de L’initiative citoyenne
européenne, qui permet selon le Traité de Lisbonne de
saisir la Commission européenne. A l’occasion du
démarrage de la présidence de l’Union européenne
par la Hongrie, son ministre des finances György
Matolcsy a immédiatement pris le relais
depuis Budapest. Parlant des euro-obligations, il a pronostiqué :
« Je l’exclurais aisément pour d’ici à
la fin de l’année. Mais, d’ici à 2013 ou
d’ici au milieu de la décennie, je suis très optimiste quant
à l’issue finale : nous aurons certainement des nouveaux
instruments financiers comme les euro-obligations ».
Une
nouvelle vague de stress tests avait par ailleurs été bien
décidée par les leaders européens, mais l’on
n’en parlait plus, relevant seulement que la Société
Générale s’était depuis publiquement
prononcée contre leur tenue. Dans un article publié par le
Financial Times, George Osborne, le ministre des finances britannique,
n’y va pas par quatre chemins. Rappelant cette décision, il a la
cruauté de souligner que les précédents avaient mis en
évidence un besoin de financement des banques de 3,5 milliards
d’euros, ce qui s’est six mois plus tard
révélé être à peine le dixième de ce
que les seules banques irlandaises avaient besoin. Suggérant de ne pas
répéter une telle erreur d’appréciation, il
propose que les prochains tests soient validés par le FMI, histoire de
les rendre cette fois-ci crédibles… Et qu’ils prennent en
compte non seulement le ratio de fonds propres mais aussi le niveau et la qualité
des liquidités. On voit bien qu’il n’est pas dans la zone
euro, lui…
La
réforme du système monétaire international fait partie
des grands sujets à éclipse. Elle revient sur le devant de la
scène, la présidence française du G20 en ayant fait
l’un de ses chevaux de bataille. A l’occasion d’un colloque
parisien, Christine Lagarde, la ministre française des finances, a
tenté un diagnostic. Pour énumérer « une
grande volatilité des flux de capitaux, qui affecte beaucoup plus
gravement les pays émergents et les pays les moins
développés », « l’insuffisance des
actifs de réserve, sûrs, stables » ainsi que
« l’absence d’une enceinte de coordination
appropriée, efficace en matière de changes ».
Ensuite plus évasive sur le terrain des solutions, proposant
d’aller « vers un système qui soit plus
équilibré, plus stable, plus transparent ». Avec
comme objectifs d’améliorations : « mieux
protéger » les pays émergents, « mieux
diversifier » les monnaies de réserve et « mieux
coordonner » le tout. Au niveau de généralités
auquel elle s’est volontairement tenue, les discussions ne manqueront
pas d’espace pour s’engager ; autre chose sera de
concrétiser.
Un
dernier sujet monte en puissance, celui-là destiné à
devenir permanent, après avoir du être recadré.
Initialement présenté sous l’angle institutionnel de la
« gouvernance économique », qui s’est
heurté au refus allemand, il est dorénavant
évoqué comme la réalisation d’une « convergence
fiscale et sociale » au nom de laquelle bien des forfaits se
préparent. Un rapport de deux parlementaires UMP vient
d’être remis à Nicolas Sarkozy, qui va le transmettre au
président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy.
Remarquant
avec un sens très politique qu’« il n’est ni
souhaitable ni possible d’institutionnaliser trop l’Eurogroupe », leurs auteurs affirment
« qu’aucune sortie de crise durable ne se fera sans un
approfondissement de la convergence, notamment franco-allemande »
et « suggèrent à cet égard de mettre en place
un calendrier de convergence sociale et fiscale impliquant les deux
Parlements ainsi qu’une nouvelle impulsion à la
coopération industrielle entre les deux pays ».
François
Fillon, le premier ministre, n’a pas tardé à en tirer les
conclusions : « Les questions de convergence et
d’harmonisation vont s’imposer en haut des priorités
européennes », a-t-il déclaré.
« C’est dans cet esprit d’ailleurs que
j’accueille de façon positive l’ouverture d’un
débat en France sur le coût du travail et la question des 35
heures », ajoutant « on ne peut imaginer à long terme
une zone euro dans laquelle le temps de travail, l’âge de la
retraite, le coût du travail soient complètement
divergents ». On craint qu’il en sera
en ces matières comme pour la fiscalité : l’alignement se
fera par le bas. Quant à une politique économique commune, le
sujet n’est lui pas prioritaire…
Xavier
Bertrand, le ministre du travail, a également tiré ses propres
conclusions. Pas favorable à ce que le chiffon rouge des 35 heures
soit agité, il a estimé que l’essentiel était
d’avoir plus d’emplois et qu’il fallait donc poser la
question du « coût du travail ». Si l’on
comprend bien, il faudrait selon lui répartir la masse salariale pour
en faire bénéficier les chômeurs.
Tous
ces débats vont-ils ou non aboutir, et quand ? Rien ne justifie,
pour ceux qui ont voix au chapitre, de trop se précipiter. Une
réalité va pourtant les rattraper, qui s’est
déjà rappelée à eux sans tarder dans
l’actualité de ce tout début d’année. Il
s’agit des tensions du marché obligataire,
considéré selon tous ses compartiments : dette souveraine,
des banques et des grandes entreprises. Car les cloisons n’y sont pas
étanches. Au contraire, ces compartiments communiquent entre eux. Les
emprunteurs sont de différentes natures, mais les investisseurs ont
les mêmes intérêts à défendre. Une forte
concurrence entre les débiteurs était annoncée, on est
arrivé dans le vif du sujet.
L’année
n’a pas seulement commencé avec de premières douloureuses
émissions obligataires des Etats, qui ne pouvaient les reculer. Elle a
été également l’occasion pour de nombreux
émetteurs privés de se précipiter sur le marché,
afin de réaliser leurs opérations de financement avant que le
peloton des Etats ne se présente et ne fasse, comme tout le monde s’y
attend, encore monter les taux. Selon la banque écossaise RBS, les
Etats de la zone euro devraient en 2011 venir chercher sur le marché
826 milliards d’euros.
Si
le début de l’année est de tradition un moment
d’affluence sur le marché, on n’avait jamais vu cela. Des
grandes entreprises ont pris les devants, mais ce sont surtout les banques
qui se sont manifestées. En une seule semaine se sont succédées BNP Paribas, ABN AMRO, le
Crédit Agricole, Loyds Banking
Group et Barclays… Une fois constaté que les mégabanques
se dépêchaient pour être servies en premier, une
caractéristique commune de leurs émissions frappe : dans
tous les cas il s’agit de covered
bonds, ces obligations sécurisées qui offrent le maximum de
garanties aux investisseurs, y compris en cas de banqueroute.
Est-ce
à rapprocher des intentions de la Commission européenne, dont
un papier a été rendu public afin d’engager une
consultation, prévoyant notamment que les obligations seniors des
banques pourraient dans l’avenir subir une décote, ou bien être
transformées en actions, en cas de problème rencontré
par celles-ci, une fois les actionnaires mis à contribution ? En tout
cas, la seule éventualité de telles dispositions va contribuer
à tendre le marché obligataire, en particulier lorsque les
banques des pays « périphériques » vont
tenter d’émettre de la dette « senior »
sur le marché. Les difficultés qu’elles rencontreront
rejailliront alors immanquablement sur les Etats, déjà en
fâcheuse posture. Un nouveau mécanisme compliquant
l’imbroglio existant est en train de se mettre en place.
Par
contagion, les marchés obligataires communiquent entre eux.
Privée ou publique, de la dette est toujours de la dette et les taux
des uns influent sur ceux des autres. Hier soir jeudi, le taux long portugais
dépassait les 7% et celui des Italiens atteignait 4,769%. La prochaine
émission portugaise a lieu le 12 janvier…
La
Commission s’aventure donc sur un terrain miné, où elle
essaye de se frayer un chemin. Craignant de vives réactions des
marchés et ne pouvant pas rester les bras croisés. Certes,
insiste-t-elle beaucoup, des décotes ne sont envisagées que
pour les obligations émises par les banques et non par les Etats. En
retrait donc des propositions allemandes. Mais l’on devine
déjà les levées de boucliers, les banques ayant
prévenu qu’il allait en résulter pour elles un
surenchérissement de leurs coûts (et donc une baisse de leurs
encours de prêts, menacent-elles). Après avoir cru trouver avec
la titrisation une miraculeuse manière de supprimer le risque en
l’évacuant, le système financier – qui en est
revenu – préfère désormais renouer avec une valeur
éprouvée, à laquelle il a pris goût : la
défausse sur la puissance publique en cas de gros pépin. Afin
que la prime soit pour lui et le risque pour les autres.
Que
restera-t-il de cette proposition à l’arrivée ? Il reste
une petite soupape de sécurité avec les CoCos,
mais le Comité de Bâle tarde à rendre son verdict et
à préciser comment ils devraient être structurés
pour être éligibles aux fonds propres Tier
one. Et, encore une fois, on ne connaît pas la réaction des
investisseurs à ce nouveau produit financier.
Le
comportement du marché obligataire va rythmer la poursuite de la crise
européenne, avec des effets qui ne vont pas uniquement toucher les
Etats, mais aussi les banques et les grandes entreprises. Sans raison que
cela s’arrête tant qu’une restructuration des dettes
publiques et privées n’aura pas été accomplie. Le
coût des CDS des pays dits
« périphériques » continue de grimper,
exprimant que la crise va rebondir.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
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