Heureusement que la France est riche, dispose d’un État puissant et d’un gouvernement composé d’une élite affûtée par un système éducatif au sommet de sa forme : avec plus de 1000 milliards d’euros de prélèvements obligatoires par an, il aurait été dommage de noter quelques contre-performances que ce soit.
C’est pour cette raison qu’on ne pourra que hausser des épaules en apprenant l’une ou l’autre broutille administrative, l’un ou l’autre hoquet bureaucratique qui font les bonnes feuilles de nos petits journaux satiriques quand l’actualité est, comme actuellement, d’un calme propice à la badinerie.
Pensez donc : plein emploi, caisses publiques dodues, peuple heureux voire bedonnant de bonheur, perspectives réjouissantes et bonne ambiance générale dans chaque bourg, chaque cité, chaque quartier du pays, tout ceci autorise le petit clin d’œil taquin à une République qui sait prendre avec détachement les petites bévues qu’elle commet parfois.
Tenez, prenez cette histoire cocasse de patrouilles de police à cours d’essence en Seine-Saint-Denis : rien ici que de très banal lorsqu’on apprend que la direction territoriale de la sécurité publique de ce département a benoîtement omis de mettre à jour les cartes essence après un changement de prestataire, oups, bévue, ah ah ah on rigole c’est trois fois rien, mais n’oubliez pas la signature en bas de votre cerfa 2042.
Il en va de même lorsqu’on apprend que des petits chenapans, accusés de 35 petits cambriolages de rien du tout, après avoir été péniblement appréhendés par les policiers de Montpellier, ont été finalement remis en liberté par la justice en attendant leur gentille comparution en avril. Les prévenus, étrangers et sans domicile fixe, feront – on s’en doute – un point d’honneur à se présenter dans trois mois à l’audience qui leur sera consacrée. Tout se passera bien, c’est garanti, comme le prélèvement automagique de vos impôts sur votre salaire mensuel, vous verrez.
Et puis, si la justice marque parfois le pas, au moins la police est au rendez-vous.
Sauf, peut-être, à Marseille, où le territoire préfectoral a manifestement été redessiné indépendamment des autorités républicaines : dans le 13e arrondissement, l’accès à la rue Albert-Marquet est par exemple barré à l’aide de scooters, de caddys, de vieux meubles, de barrières ou même des blocs de béton et ceux qui désirent passer le check-point sont tenus d’ouvrir leur véhicule pour la fouille douanière rituelle.
Sans doute la préfecture a-t-elle trouvé là un terrain d’entente avec la racaille la faune les animateurs du kartchier qui permet une nouvelle organisation, avec un respect des procédures et – soyons en certains – du confinement à 18 heures. Pas de doute, dans cet arrondissement coloré de Marseille, les vendeurs d’herbe à chat font un travail merveilleux !
Pendant ce temps, à Lyon, la République a eu l’excellente idée de laisser certains s’organiser entre eux pour couvrir leurs petits besoins en bobologie : avec ces services d’urgence qui sont, on le sait, débordés à cause du méchant virus dont tout le monde parle à la télé et qui n’a pas du tout déclenché une déroute complète de notre système de soin dont tout le reste du monde est jaloux, il était logique que la population, consciente des enjeux, responsable et citoyenne, s’auto-organise pour éviter la fréquentation inutile des urgences en cas de coups de couteau, de balle perdue ou de règlement de comptes un peu virils.
Vraiment, nos quartiers ont du talent !
Et puis, ce qu’il y a de bien avec cette spontanéité de l’organisation des citoyens et la bonne humeur républicaine qui se répand maintenant un peu partout dans le pays est qu’elles sont valables pour une justice très souple, la police bien équipée, le petit commerce qui fait rire mais aussi avec la religion : les enthousiastes de la croyance sans concession ont enfin un solide pied-à-terre à Trappes et on se doute que la République n’y trouvera rien à redire.
Comment ne pas se réjouir en effet de la belle uniformisation de tout Trappes, charmante bourgade des Yvelines où Didier Lemaire, professeur de philo, exerce son sacerdoce éducatif auprès de la turbulente jeunesse locale dont tous les médias s’empressent de rappeler que sont issues de nombreuses vedettes charismatiques (ainsi qu’un contingent considérable de jeunes partis il y a quelques années rejoindre la Syrie de Daesh, youkaïdi, youkalqaïda) ?
Notre enseignant est actuellement très présent sur certains plateaux télé pour relater ce qu’il vit au quotidien dans une ville qu’il décrit volontiers comme complètement perdue pour la République, ce qui – évidemment – étonne beaucoup certains : tout le monde sait que la politisation n’est pas loin, que les exagérations sont foison et que ce professeur cherche essentiellement, selon toute évidence, à faire parler de lui.
Dire, ainsi qu’il l’a fait, que les intégristes musulmans « sont en train de réussir leur processus de purification » en poussant au départ les juifs, les chrétiens puis maintenant les musulmans modérés, c’est clairement vouloir mettre le feu aux poudres dans un pays où tout le monde sait que le ciment républicain se fait sur l’entente cordiale de toutes les religions, youpi, et où toute nouvelle samuelpatysation d’un enseignant relève de la pure fiction : grâce à la liberté d’expression qui est encore vivace en France (la jeune Mila peut en témoigner !), grâce aux mesures fermes qui permettent à la République de ne perdre aucun terrain là où c’est essentiel, grâce à la vivifiante tonicité de nos jeunes quartiers (tels que le 13ème arrondissement de Marseille déjà décrit), on sait que le tableau que ce Didier Lemaire peint à grosse brosse noire ne sera jamais réalité !
La garde et l’arrière-garde journalistique veille ! Elle ne laissera pas passer les mensonges, les exagérations et les déformations. La garde et l’arrière-garde politique est sur le qui-vive : la République est Une et Indivisible et les prunes pour les briseurs de couvre-feu s’abattront sans pitié sur le périph parisien ! La garde et l’arrière-garde sociale sera sur le pont, pour faire taire voire bannir les oiseaux de mauvaise augure !
La France et ses 1000 milliards d’euros de prélèvements obligatoires ne se trompe pas et les petits plis dans le contrat républicain ne sont que des péripéties, de purs sentiments mal étayés, voilà tout.