Dans
ce précédent billet, j’expliquais comment la monnaie avait échappé au
peuple pour devenir un bien privé. Bien que la monnaie soit sous le joug des
banques et des Etats, il est pourtant possible de se la réapproprier, de
faire en sorte qu’elle crée du lien social et qu’elle fasse à nouveau le pont
entre présent et avenir.
La monnaie est devenu un actif lucratif
Elle a été plus exactement réduite à un actif financier, selon Bruno
Théret, directeur de recherche émérite au CNRS (“Réinventer la monnaie”, Les
Dossiers d’Alternatives Economiques, mai 2016). Son utilisation à ce titre
tend à occulter les autres fonctions essentielles de la monnaie.
En dehors des pièces et des billets de banque, la masse monétaire
(monnaies scripturales et autres lignes d’écritures comptables) ne consiste
qu’en des crédits dont se servent les banques à des fins lucratives pour
faire crédit à d’autres banques. Ces emprunts effectués d’une banque à
l’autre sont assortis de taux d’intérêt qui au final gonflent la masse
monétaire et “appauvrissent” l’argent déposé au départ.
Ce système s’appelle le multiplicateur de crédit.
Fonctionnement du multiplicateur de crédit (c) Les
Dossiers d’Alternatives Economiques
Ainsi, un dépôt de 1000€ prêté par une banque A (avec une réserve
obligatoire de 10% par exemple) à une banque B pourra être re prêté sous la
forme d’un nouveau prêt de 900€ à une banque C, etc. Le montant initial
décroît au fur et à mesure qu’il passe de banque en banque pour servir de
nouveaux emprunts, créant une masse monétaire virtuelle d’environ 10 000€ à
terme.
La monnaie courante est devenue le crédit
Les banques et les marchés ont complètement perdu de vue le fait qu’une
monnaie était un bien commun ayant un rôle de lien social et que le crédit
devait permettre aux citoyens, à la société de pouvoir se projeter dans
l’avenir.
Or l’usage massif de monnaie-crédit à des fins spéculatives est un facteur
de crise financière grave, comme celle de 2007/2008. A partir des années 80,
la déréglementation des marchés a corrompu la monnaie pour en faire un outil
de spéculation sans valeur réelle, ou du moins avec une valeur très
fluctuante, complètement déconnecté de l’économie réelle. Au lieu de profiter
aux entreprises et au secteur industriel, cet excès de crédit accroît les
risques de bulles.
Une monnaie ne peut pas se réduire à un actif lucratif permettant aux
financiers de s’enrichir, ni à ses 3 fonctions essentielles (unité de compte,
moyen d’échange et réserve de valeur).
Les monnaies locales complémentaires pour réhabiliter le lien social
De ces changements opérés à la fin du siècle dernier en plein
ultra-libéralisme a fait naître l’émergence de monnaies locales
complémentaires dans le monde entier. Les devises nationales ne répondant
plus aux défis humains et écologiques, “L’une des solutions pour mieux y
faire face est la monnaie locale, une monnaie qui redonne le pouvoir de
l’argent au citoyen” (source L’Itinéraire,
via Journal Métro, “Alternatives économiques: pour une monnaie plus
humaine”).
Le but premier des monnaies locales complémentaires est d’une part se
réapproprier la monnaie, la réinscrire dans le champs de l’économie concrète
et aussi échapper au pouvoir des banques. Ces initiatives sont bien plus
faciles à mettre en place au niveau local qu’au niveau étatique. Afin de
préserver un semblant de stabilité politique, nous avons longtemps cru que
l’unicité monétaire était une sorte de loi universelle. Il n’en est rien.
Comme l’explique Patrick Viveret dans les Dossiers d’Alternatives
Economiques, “l’enjeu, c’est la démocratie”. Son rapport “Reconsidérer la richesse”
a été le moteur d’initiatives monétaires et citoyennes. N’importe quel
citoyen motivé, bénévole et ayant du temps peut lancer un projet de monnaie
locale complémentaire. Mais P. Viveret insiste sur l’implication primordiale
des collectivités et leur rôle clé pour accompagner ces initiatives. “Ce qui
compte, c’est ce qu’on en fait”.
Favoriser les circuits-courts, valoriser la production et les savoir-faire
locaux, favoriser une consommation locale et responsable, l’économie réelle
et non spéculative, voilà comment une monnaie locale peut créer du lien.
Mutualisation, coopération, transition écologique, entraide et solidarité
sont au coeur de l’économie sociale et solidaire, portée par ces monnaies.
Changer ses habitudes est difficile, les réseaux des MLC sont encore
fragiles, mais certaines régions profitent déjà des bénéfices de leur monnaie
locale.
Des exemples de monnaies complémentaires qui marchent
Dans le Pays Basque à Bayonne par exemple, une école reçoit 1000 euskos
par an pour les activités périscolaires.
En 2015, 400 000 euros ont été convertis en euskos par les 3000 membres du
réseau et environ 600 prestataires.
A Bristol en Angleterre, 516 000 Bristol pounds sont en circulation et 10%
de la population en utilisent.
En Sardaigne, l’équivalent de 100 000 millions d’euros en sardex ont été
échangées entre les entreprises, et entre particuliers et entreprises.
Les monnaies “open-source”
Les monnaies open source vont encore plus loin dans le processus
démocratique. Le bitcoin a été créé par un petit génie de l’informatique
après la crise de 2008, grâce au système de blockchain.
Alors que plus personne n’avait confiance dans les banques, cette crypto-monnaie
permet de s’en passer pour les échanges monétaires.
Convertible dans les devises étatiques (dollar, euro…), le bitcoin est un
système de paiement décentralisé, basé sur le principe du P2P où les
utilisateurs sont les garants de leur propre monnaie, ce qui la rend
véritablement démocratique. Décentralisée, elle ne passe par aucune banque ou
autre instance centrale, privée ou publique.
La VeraCarte, monnaie complémentaire “open-source” adossée à l’or
Une monnaie “open-source” adossée à des métaux précieux répondrait
parfaitement aux problématiques, aux besoins et aux évolutions actuelles de
la société, avec toutes les caractéristiques de confiance requises pour une
monnaie.
C’est le cas de la VeraCarte. Cette Mastercard fonctionne comme n’importe quelle
carte de paiement, acceptée dans près de 30 millions de points de vente dans
le monde. Sa différence est que le cash stocké sur le compte VeraCarte est
adossé à des actifs tangibles (or, argent, diamant) stockés en Port Franc.
Depuis son compte, un simple bouton “Envoyer” permet d’acheter un bien, de
payer un service, faire un don de matières précieuses, sans passer par le
circuit bancaire et sans frais.
La révolution est en marche, et elle est
peut-être bien là, dans un mode de paiement alternatif et complémentaire, qui
permettrait à la fois de se réapproprier la monnaie et d’utiliser l’or comme
monnaie de confiance, sans spéculation.
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