La monnaie n’est pas un outil
de mesure de valeur. C’est précisément parce que les gens utilisent la
monnaie comme moyen de parvenir à une fin qu’elle n’est pas analogue à un outil
de mesure.
Les échanges
volontaires et leurs implications pour la valeur
Lorsque deux personnes
effectuent un échange volontaire, chacune de ces deux personnes accorde plus
de valeur au bien reçu qu’au bien dont elle se sépare. Si ce n’était pas le cas,
il n’y aurait aucune raison pour elles de procéder à cet échange.
Pour vous en donner un
exemple, si la mère de Joe lui mettait une pomme dans son cartable pour le
goûter, et que le père de Sally donnait à sa fille une banane ; si les
deux enfants décidaient d’échanger leur fruit, ce serait parce que 1) Joe
préfèrerait avoir une banane plutôt qu’une pomme, et que 2) Sally préfèrerait
une pomme à une banane (disons que les deux enfants procèdent à un échange
simplement pour cette raison, et non pas parce que Joe voudrait inviter Sally
à danser).
Notez que cette inégalité de
valeur doive exister pour que cet échange puisse se produire. Loin de
« mesurer » la valeur de chaque fruit et de les déclarer égaux, Joe
et Sally comparent les fruits et en arrivent à des conclusions opposées. Ce
ne serait pas chose possible pour la comparaison de leurs propriétés
physiques, comme la masse de chaque fruit ou les calories qu’il contient. En
d’autres termes, il ne serait pas possible pour les deux enfants de s’en
tirer avec « le fuit le plus lourd ». Il est en revanche possible
pour chacun d’entre eux d’obtenir le fruit auquel il accorde le plus de
valeur. C’est là toute a beauté des échanges volontaires. C’est une
proposition gagnant-gagnant.
Si Joe avait un billet d’un dollar,
que Sally avait une banane, et qu’ils procédaient à un échange, alors nous
pourrions dire que Joe accorde plus d’importance à une banane qu’à un billet
d’un dollar, et que Sally accorde plus d’importance à cet argent qu’à sa
banane. Encore une fois, aucune forme de « mesure » n’est prise en
compte. Chacun des deux enfants perçoit une inégalité de valeur.
Il est toutefois vrai que nous
puissions dire que « l’échange démontre que la valeur de marché
objective de la banane était à ce moment précis d’un dollar ». Mais cela
n’a rien à voir avec la mesure d’une longueur avec une règle ou d’un poids
avec un balance. Nous y reviendrons plus tard.
Pourquoi
l’expression d’une valeur de marché en unités monétaires est différente de
l’utilisation d’une règle
En mesurant une longueur grâce
à une règle, nous partons du principe que cet objet a une propriété objective
appelée longueur, et qu’il est possible d’utiliser un autre objet (une règle)
standardisé afin de déterminer la magnitude de cet objet spécifique. Par
convention, nous utilisons une « règle de trente centimètres » et
déterminons combien de fois il faut placer cette règle bout-à-bout pour
mesurer la longueur d’un objet, disons un grillage. Si ce grillage mesure
5,50 mètres de long, alors sa magnitude de longueur est de dix-huit fois la
longueur d’une règle standard.
Rien de tel n’entre en jeu
lorsque des individus décident de vendre ou d’acheter des biens sur le
marché. C’est toujours le cas, même lorsque nous prenons en compte l’opinion
(correcte) de Tamny et Miles – qui ont réalisé que la monnaie n’est qu’un
moyen de parvenir à une fin. Disons par exemple qu’un garçon vende une heure
de travail (de tonte de pelouse) à son voisin pour dix dollars, puis dépense
ces dix dollars dans une arcade de jeux. Nous pouvons expliquer ses actions
comme suit : « Le garçon accorde plus de valeur à son temps passé à
l’arcade de jeux qu’à l’heure qu’il a passée à tondre la pelouse de son
voisin ». Rien d’analogue ici à la mesure d’une longueur. Le garçon n’a
fait que déterminer une valeur par ses propres jugements et actions.
Pourquoi Mises
appréciait l’étalon or
Il est vrai que Ludwig von
Mises, tout comme de nombreux autres économistes de la tradition libérale
classique, était très attaché à l’étalon or classique. La raison en est que
l’étalon or imposait une limite au gouvernement et empêchait une inflation
sporadique et de grande échelle. Les entrepreneurs pouvaient mieux prévoir
leurs activités s’ils savaient que le pouvoir d’achat de la monnaie ne serait
pas sujet à des fluctuations causées par des caprices politiques.
En revanche, admettre tout
cela ne revient pas à dire que la monnaie liée à l’or a une valeur
« fixe » et apporte une unité de mesure objective. En effet, la
valeur d’une unité d’or peut elle-même changer.
Supposons par exemple que le
gouvernement décide de suivre les conseils de Forbes et Ames, et lie le prix
du dollar à une once d’or. Quelques années plus tard, un astéroïde contenant
170.000 tonnes d’or vient s’écraser sur la Terre, et double les quantités d'or
disponibles sur la Terre en seulement quelques semaines. Si le gouvernement
des Etats-Unis n’en faisait rien, le prix de l’or en dollar s’effondrerait.
Pour maintenir le lien du dollar avec l’or, il lui faudrait inonder le monde
de nouveaux dollars, ce qui ferait flamber tous les prix en dollars sauf
celui de l’or. Tamny et Miles nient-ils le fait que cela puisse prendre des
airs d’inflation aux yeux du public, et que notre « règle » objective
semble après tout avoir une longueur malléable ?
Conclusion
Comme Ludwig von Mises l’a
expliqué plus en détails encore que n’importe quel autre économiste, la
nouvelle théorie de valeur subjective développée au début des années 1870 a
jusqu’à la fin des temps réfuté la notion de monnaie comme outil de mesure de
valeur. Il n’en est pas moins que Mises percevait l’étalon or classique
comme un excellent moyen de minimiser l’influence politique sur la masse
monétaire. Il n’y a rien de contradictoire en ces idées.