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J’aurais pu écrire « pourquoi il
faut détester les fictions télé », mais
j’ai préféré positiver. Personnellement,
j’ai toujours plaisir à tomber sur Koh-Lanta ou
« Cauchemar en Cuisine »… Cette dernière
émission est un divertissement présenté par Gordon
Ramsay, un des rares Anglais décoré de trois toques au guide
Michelin. Le principe est le suivant : Gordon a une semaine pour
redresser un restaurant en perdition du fait de l’incompétence des
gérants. Grande gueule, souvent grossier, le chef étoilé
débarque tel un ouragan, observe, critique, donne les ordres et finit
toujours par redresser la barre. C’est trash, amusant, mais parfois
aussi émouvant, car le chef croit en la capacité des participants
à réussir s’ils aiment leur métier et sont
prêts à travailler.
J’ai toujours aimé la
télé-réalité, sauf peut-être à
l’époque du Loft. Mais rapidement, il apparut que le terme
générique de « télé-réalité »
recouvrait deux choses bien différentes : d’une part les
télé-débilités, d’autre part
d’authentiques défis télévisés. La
« télé-débilité », par
exemple le Loft, se contente d’enfermer de jeunes
écervelés ou d’ex-vedettes dans des maisons
truffées de caméras, avec quelques épreuves
ludiques… Le terme de réalité est totalement
inapproprié : les lofteurs n’effectueront aucun travail et
s’inventeront une personnalité télégénique.
On est dans la télé-irréalité.
Les défis télévisés, eux, sont
d’une autre nature : véritables concours, où seront
jugés tantôt l’endurance sportive et psychologique
(Koh-Lanta), tantôt le talent (les divers télé-crochets),
la débrouillardise, l’habileté, la capacité
d’adaptation… Déclinés de mille
façons, ces défis constituent le groupe le plus nombreux et le
plus intéressant de programmes dits de
télé-réalité. Ils s’inscrivent dans le
réel.
Si les ressemblances entre les deux types
d’émission sont ténues, leur esprit diffère
radicalement. Il est révélateur que la critique de la
« télé-réalité » émane
de sociologues gauchistes qui font systématiquement l’amalgame
entre les télé-stupidités et d’autres
émissions plus intéressantes.
La bien-pensance dénonce comme immoral, le fait de
juger les êtres sur leur caractère ou leur mérite, au
motif que la vie n’est pas une compétition entre les êtres
(elle est, comme chacun le sait, compétition entre
« classes sociales » au moyen d’avantages
socialement construits ou usurpés). Mais ces pleurnicheries se
fracassent, comme toujours, sur la réalité : la vie est
bien une compétition au sens noble et sportif du terme, et ce qui
distingue radicalement les êtres, ce n’est nullement leur milieu
d’origine, mais leurs qualités personnelles.
Dès lors, rien de plus humain que de dénicher
l’excellence et d’éliminer l’incompétence,
comme le fait parfois Gordon Ramsay en préconisant le renvoi du
cuisinier paresseux ou du chef de rang mollasson. Je doute que, dans le
remake français, le chef Philippe Etchebest ose en faire autant.
Outre que le droit français l’en
empêcherait, le spectateur français trouverait sans doute cela
injuste. A titre personnel, ce que je trouve injuste, c’est qu’un
patron soit forcé de garder à bord ceux qui mènent son
navire au naufrage. Il est ainsi salutaire que le
téléspectateur français ait accès à des
émissions faisant la part belle à l’ambition, à
l’émulation et à la quête de l’excellence
quand par ailleurs, le discours ambiant n’est que misérabilisme
compatissant à l’égard du « défavorisé ». C’est là justement que
réside l’humanité de ces émissions. Elles rendent
à l’individu sa dignité, sa liberté souveraine,
les clefs de son destin, et lui permettent de se confronter à
l’arbitre suprême qu’il s’est choisi : la
réalité du marché.
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