Pourquoi
les dirigeants européens s’acharnent-ils sur la Grèce ?
Une première réponse est qu’il ne
veulent pas admettre la faillite de leur stratégie, mais elle
n’est pas suffisante. La seconde est qu’ils sont pris à
leur propre jeu. Celui qui consiste à financer le
désendettement des pays assistés en empruntant sur le
marché, ou en apportant sa garantie, ce qui revient au même si
un accident de parcours intervient et un défaut est enregistré.
Avec alors comme effet pour les États d’accroître
l’endettement qu’ils sont eux aussi sommés de
réduire. Tout sauf le défaut grec ! On comprend dès lors
pourquoi…
Avec
la Grèce, l’échafaudage du crédit est mis à
nu. Une vis sans fin est actionnée, les nouveaux crédits
étant consacrés au remboursement des précédents
(augmentés des intérêts), les banques
s’étant retirées du jeu au détriment de la BCE qui
y est entrée. Lorsqu’elles achètent encore de la dette,
c’est pour l’apporter immédiatement en garantie de leurs
emprunts à cette dernière pour s’en débarrasser ;
c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la BCE a limité
l’en-cours des banques grecques, afin de ne pas accroître le sien
sur la dette nationale.
En
ne voulant ni remettre au pot, ni restructurer la dette grecque, les
dirigeants européens tentent quand même de poursuivre la partie,
tandis que le FMI voudrait en siffler la fin pour faire la part du feu, ce
qui obligerait les États européens à constater leurs
pertes. Ceux-ci s’y refusant, la seule solution qui reste à leur
disposition est de repousser l’échéance en étalant
le remboursement de la dette grecque, ou en diminuant son taux
d’intérêt. Cela n’ira pas loin et ne fera
qu’empirer la situation.
Pour
le mesurer, il faut prendre en compte non seulement les crédits mais
aussi les garanties dispensées. On aurait grand tort de sous-estimer
les méfaits de l’équivalent pour les États du hors-bilan
pour les établissements financiers, de tout ce qui n’est pas
comptabilisé dans la dette mais peut l’être à la
faveur d’un mauvais concours de circonstances, comme le sont
précisément les garanties. La même logique que celle de
la Grèce a d’ailleurs prévalu en France en faveur de
Dexia, avec une aussi lourde épée de Damoclès au-dessus
de la tête sous forme de garanties.
Comme
un malheur n’arrive jamais seul, les dirigeants européens ont un
deuxième gros souci. Les banques disposent du parapluie grand ouvert
de la BCE, qui joue son rôle, à voir la relative détente
observée sur le marché interbancaire, tant qu’il
n’est toutefois pas refermé. Mais les États n’ont
pour eux qu’un dispositif qui a fait au contraire la preuve de sa
nocivité, ce qui explique que les dirigeants espagnols font tout pour
ne pas l’utiliser, avec l’appui du gouvernement allemand qui
cherche à éviter d’être entraîné dans
ce nouvel enchaînement.
Ce
qui a conduit Luis de Guindos, le ministre des
finances espagnol, à présenter lundi dernier devant le
Parlement européen un invraisemblable scénario de sortie de
crise. Il a d’abord plaidé pour un assouplissement des objectifs
de réduction du déficit à « un rythme raisonnable
», mesuré en prenant en compte le déficit structurel (et
non pas nominal pour tenir compte de la récession), puis
insisté sur le fait que l’Espagne remplissait déjà
les conditions qui seraient imposées en cas de sauvetage
. Il a ensuite affirmé que la mise en place de la bad bank (la Sareb), conjointement avec l’injection de 35
à 40 milliards d’euros d’aide européenne dans les
banques, allait se traduire par un important renforcement du secteur
financier. Lui permettant de prédire qu’il sera prêt
à financer l’économie réelle dès la fin de
l’année, suggérant que la machine allait ensuite
repartir. Si ce scénario est la seule alternative qui s’offre au
désastre grec et portugais, on comprend que l’affaire est
décidément très mal partie.
Voilà
où en sont les dirigeants européens : dans un cas, il ne savent pas comment sortir de la dangereuse logique
des plans de sauvetage qu’ils ont instituée, dans
l’autre, ils font tout pour éviter que de nouveaux pays
n’y rentrent, afin de ne pas se retrouver devant le même
épineux problème…
À
quoi bon adopter cette stratégie, dans ces conditions ?
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre,
Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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