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Prison et pensée magique

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Published : September 11th, 2012
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L’annonce, en Belgique, de la libération prochaine de Michèle Martin a fait l’effet d’une bombe. Depuis, manifestations, vociférations et déclarations à l’emporte-pièce se succèdent un peu partout. Pourtant, cet événement pourrait aussi nous inciter à une démarche plus positive : une réflexion approfondie sur le fonctionnement de notre système judiciaire, et sur le rôle des peines d’emprisonnement.


Les cas de Michèle Martin ou Marc Dutroux illustrent à merveille l’ambivalence d’un système basé sur la condamnation des criminels à une peine de prison. Cette méthode de rétribution des crimes et délits repose en effet sur deux justifications : d’une part la valeur éducative de la punition, et de l’autre la protection de la société contre le criminel enfermé. Bien qu’employées simultanément, ces deux raisons souffrent malheureusement de plusieurs défauts rédhibitoires, tant conceptuels que pratiques.


Mutuellement contradictoires

D’un point de vue conceptuel, il y a deux problèmes majeurs. Le plus préoccupant est que les deux justifications sont mutuellement contradictoires. Comment croire simultanément qu’il faut protéger la société contre le criminel et que ce dernier a la possibilité de se réformer ? Soit on « croit » en la possibilité qu’ont les gens de changer, et il faut accepter l’idée qu’un Dutroux ou qu’une Martin retrouve un jour la liberté, soit on n’accepte pas l’éventualité d’une rédemption, et il faut dans ce cas les condamner à perpétuité sans aucun espoir d’être libérés un jour. Voire même pousser le raisonnement à sa conclusion logique : exécuter immédiatement les condamnés dès que leur culpabilité ne fait aucun doute. Après tout, si le but est de protéger la société, le coût d’une balle de 7,65mm sera nettement inférieur à celui d’une pension complète à vie.


L’écueil du temps

Le deuxième problème conceptuel est celui que nous appellerons, faute de mieux, le « bornage temporel ». Il est lié à l’idée de décider à l’avance d’un temps d’enfermement. Evacuons un instant la question de la libération conditionnelle, souvent mise en avant dans l’affaire Martin. Si un tribunal condamne un prévenu à dix ans de prison, cela signifie-t-il qu’il sera dangereux pour la société durant dix ans, période au terme de laquelle il se sera enfin réformé ? À l’évidence, le tribunal serait bien en peine d’arriver à une telle conclusion. Mais alors, la peine manque son but : même si le condamné s’est amendé au bout de trois ans, il devra attendre sagement sa libération sept ans plus tard. Mais si, au bout de dix ans, il n’a toujours pas eu le « déclic », il ne sera pas non plus question de le garder plus longtemps. Le système de libération conditionnelle, pour humain qu’il puisse apparaître, n’est à cet égard qu’un raffinement du problème sans impact sur sa conclusion logique. La libération conditionnelle ne règle pas le problème du « bornage temporel » de la détention. Dès lors que cette dernière s’inscrit dans un temps déterminé à l’avance, elle ignore les capacités d’évolution (ou de non-évolution) de chaque individu. En maintenant les criminels trop longtemps ou pas assez derrière les barreaux, elle manque donc au moins partiellement son objectif de protéger la société.  À ce stade, puisque l’argument de la protection est faible, reste à savoir si l’enfermement constitue réellement une punition. Or, là aussi, tout coince.


Les vertus supposées de la punition

Supposons donc, puisque nous en sommes là, que la prison est une punition. Dans ce cas, nous n’avons que deux possibilités :

-          soit la punition est purement une sanction : tel délit, autant d’années d’enfermement, point barre. Le criminel purge sa peine, et retourne dans le monde, guéri ou non. Sans démarche éducative ou réformatrice, cela équivaut à mettre un « prix » sur chaque délit ou crime. Et autrement dit, à encourager un état d’esprit qui consiste à se dire que chacun peut faire ce qui lui plaît à condition soit de ne pas se faire prendre, soit d’accepter la sanction. Cette vision très inhumaine de la société n’est manifestement pas acceptable.

-          Soit la punition a un rôle éducatif : la peine, plus ou moins sévère, est censée aider le criminel à prendre conscience de l’ampleur de ses fautes et à changer sa façon de voir le monde. Mais dans ce cas, ce dernier doit être capable de comprendre qu’il a fait du tort à autrui, de faire preuve d’empathie pour sa victime, et à l’avenir, de se retenir de causer le même tort à d’autres en se rappelant de la souffrance qu’il infligerait. Pour un psychopathe comme Marc Dutroux, c’est peine perdue, puisque par définition le psychopathe est incapable d’empathie. Pour le criminel moyen, c’est également difficile, puisque par définition, s’il a commis son crime, c’est qu’il se moquait des conséquences pour sa victime. L’apprentissage pourra donc être long. Et nous nous retrouvons face au problème du « bornage de la peine » : comment déterminer à l’avance le temps qu’il faudra au criminel pour réfléchir sur ses actes ? Que faire s’il a très vite compris la leçon ? Et surtout, que faire s’il ne l’a toujours pas comprise à l’issue de sa peine ?

L’argument de la punition souffre donc lui aussi de sérieux défauts. Mais si la prison n’est ni protection, ni punition, et ne peut être une espèce d’hybride entre les deux, qu’est-elle ? Avant même de nous aventurer à critiquer les aspects pratiques de l’emprisonnement, nous voilà à réaliser que le concept lui-même ne tient pas debout. Rien d’étonnant à cela, d’ailleurs : il s’agit d’un héritage ancien, très ancien. Depuis les milliers d’années que nous l’utilisons, il n’a manifestement réussi ni à protéger la société contre les criminels, ni à favoriser l’extinction progressive de tels comportements. Ce qui nous laisse avec une lourde question : qu’imaginer à la place ?

 

 

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Frédéric Wauters est journaliste économique indépendant et professeur de sciences commerciales et de communication à la Haute Ecole Galilée à Bruxelles. Entrepreneur (www.ex-abrupto.be), il est également essayiste et vient de publier, avec son confrère Ludovic Delory, d'un ouvrage intitulé "Retraites Plombées: comment l'Etat vole votre avenir" (plus de détails sur www.retraites-plombees.be).
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Il me semble que sous l'Ancien Régime français, la prison n'existait pas en tant que peine.
Il existait la détention provisoire, dans l'urgence ou en attente de procès mais pas en tant que verdict.
A la place, l'amende, le bannissement, les travaux forcés et la peine de mort.
Un condamné ne pouvait au passage pas être économiquement à la charge du roi ou de la société.

La révolution ou la république, en plaçant la liberté au dessus de tout comme une valeur suprême, a situé la privation de liberté comme sanction extrême (la peine capitale et les travaux forcés ayant quand même survécu un moment).

Il est intéressant que le banissement ait existé alors qu'il n'y avait ni nationalité ni carte d'identité ni vraiment de frontières gardées. Et que tout cela existant par contre aujourd'hui le rendant réaliste, la peine ait disparu du "catalogue". Il ne subsiste que l'interdiction de stades pour les hooligans.
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Sous l'Ancien Régime, les peines de prisons existaient, et les condamnés étaient à la charge du Roi. Par exemple, si Latude a pu s'évader de la Bastille, c'est grâce à la générosité de Louis XV, qui lui payait des monceaux de chemises, torchons, draps, etc. avec lesquels le prisonnier fabriquait ses cordes.
Quant à la révolution, "plaçant la liberté au dessus de tout comme une valeur suprême", il serait bon de rappeler que jamais dans son histoire, même pendant la 2ème guerre mondiale, il n'y a eu autant de prisonniers, ni autant d'exterminations, pour raisons religieuses, philosophiques ou ethniques. Tous les Rois de France réunis ont tué nettement moins que les seuls mois de la terreur. Et ne parlons pas de l'instauration de la conscription, qui permit aux républicains de mettre l'Europe à feu et à sang.
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Je n'écris pas que les prisons comme la Bastille n'existaient pas mais que les détenus n'y purgeaient pas une peine d'une durée fixée par verdict.
Certains embastillés ont attendu très longtemps leur procès, d'où un plus grand sentiment d'arbitraire.
Mais soyons honnêtes! La détention préventive est toujours aussi odieuse. Surtout quand on fini blanchi!
Je n'ai pas fait l'éloge de la révolution, encore moins de la terreur, mais juste situé l'échelle des valeurs qu'elle nous proposait comme stucture de société.
Comme toujours, les faits ont remis les pendules à l'heure, même si le mensonge peut continuer.
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Je n'écris pas que les prisons comme la Bastille n'existaient pas mais que les détenus n'y purgeaient pas une peine d'une durée fixée par verdict. Certains embastillés ont attendu très longtemps leur procès, d'où un plus grand sentiment d'arbitraire. Mai  Read more
Rüss65 - 9/27/2012 at 11:02 AM GMT
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