Il n’y a pas de meilleure façon de décrire le système monétaire
international actuel qu’à travers la déclaration faite en 1971 par le
Secrétaire au Trésor des États-Unis, John Connally. Durant une
réunion du G10 à Rome, en novembre 1971, peu de temps après que
l’administration Nixon mit fin à la convertibilité du dollar en or et fit
basculer le système monétaire international dans un régime de taux de change
flottant, il déclara à ses interlocuteurs : « le dollar est notre
devise, mais c'est votre problème. » La politique américaine envers
la communauté internationale est toujours la même. À plusieurs reprises,
l’ancien chairman et la nouvelle chairwoman de la Fed, Ben
Bernanke et Janet Yellen, ont confirmé cette politique concernant
le dollar.
Est-ce que la Chine est en train de dire au monde, et plus
particulièrement aux États-Unis, « le Yuan est notre devise, mais c'est
votre problème »? La décision de la Chine de dévaluer le yuan par
rapport au dollar américain est une réponse forte à la résistance des
États-Unis à réformer la structure monétaire internationale. Les Chinois
indiquent aux politiciens américains que, plus ils tardent à réformer le
système monétaire international, plus ils feront en sorte que ce soit long et
ardu pour les États-Unis de se sortir de leur déficit commercial, et qu'ils
dévalueront leur devise selon leurs besoins.
La Chine se prépare à cela depuis longtemps, en accumulant de l’or via sa
banque centrale, mais aussi en utilisant des banques, des sociétés et des
individus. Lors des dernières années, elle a signé plusieurs accords
internationaux afin de contourner le dollar US dans le commerce international
au profit du Yuan. Elle a créé une Banque mondiale alternative (AIIB, pour Asian Infrastructure Investment Bank) et un fonds
d’or pour investir dans l’extraction d’or dans plus de 60 pays. Le projet
est chapeauté par le Shanghai Gold Exchange (SGE), et il est
probable que cet or nouveau sera, soit échangé sur le SGE, soit vendu
directement à la Banque populaire de Chine et à d'autres banques centrales.
La Chine a également acheté une quantité importante d’or et a gardé le
montant exact de ses réserves aussi secret que possible.
Le système monétaire
international est en crise, et il est proche de l’effondrement. Il
l’est depuis au moins 1971, mais il semble que nous nous approchons vraiment
de la fin (d’ici cinq ans). Le Fonds monétaire international (FMI) travaille
discrètement pour que les Droits de tirage spéciaux (DTS, ou SDR) remplacent
le dollar US comme standard international. Depuis le désarrimage du dollar à
l’or en 1971, le dollar US est le standard international de facto.
Le FMI ne cache pas son ambition d’imposer les DTS comme devise de réserve
mondiale.
Dans un essai de 2009, le gouverneur de la Banque populaire de
Chine (la banque centrale), Xiaochuan, demandait déjà une réforme du système
de devises de réserve. Il expliquait que les intérêts des États-Unis et des
autres pays devraient être « alignés », ce qui n’est pas le cas
avec le système actuel basé sur le dollar. Xiaochuan suggérait de
développer les DTS en une « devise de réserve
supra-souveraine, déconnectée de tout pays, capable de demeurer
stable sur le long terme. » Que voulait-il dire par « déconnectée
de tout pays » ? Le DTS actuel est une formule mathématique du
prix des divers devises composant son panier, et il n'est
adossé sur rien d’autre. Parlait-il implicitement d’un lien avec l’or ?
Cela expliquerait les nombreuses déclarations des officiels chinois en
faveur de l’or, ainsi que leur encouragement agressif envers les institutions
chinoises et les individus à acheter de l’or.
Julian D.W. Phillips, de Gold Forecaster, nous
dit : « On peut clairement voir dans leurs actions que le
gouvernement chinois et de la banque centrale sont déterminés à
accélérer le passage du Yuan en tant que devise de réserve. Ils
souhaitent la coopération du FMI, mais s’ils ne l’ont pas, ils traceront leur
propre route. » Cependant, il ne s’agit pas du but final de la Chine. La
Chine veut éliminer le « privilège exorbitant » du dollar, et
pas seulement se joindre au « club ». La Chine ne veut pas détruire
le dollar, mais elle veut éliminer ce « privilège
exorbitant ».
Avec une approche différente, mais aussi très agressive, d’autant plus
depuis que les sanctions des États-Unis et de l’Union européenne ont amplifié
cette nouvelle guerre froide, la Russie a aussi accéléré ses achats d’or. La
Russie et la Chine ont notamment mis en place un nouveau
système de paiement afin de contourner le système international de
paiement (SWIFT) dominé et contrôlé par les États-Unis. Elvira Nabiullina, chairwoman
de la banque centrale russe, a déclaré : « Les événements récents nous
ont contraints à revoir certaines de nos opinions concernant les réserves
d’or suffisantes et confortables. » Aussi, dans une récente interview
sur CNBC, Mme Nabiullina a dit, au sujet des réserves d’or en augmentation de
la Russie : « Nous nous basons sur des principes de diversification
de nos réserves étrangères, et nous avons acheté de l’or non seulement l’an
dernier, mais aussi les années précédentes. Notre industrie minière
aurifère est très bien développée et elle est prête à nous fournir de
l’or. » Dmitry Tulin, en charge des politiques monétaires à la Banque
centrale de Russie, a déclaré : « Le prix de l’or varie beaucoup
mais, d’autre part, il offre une garantie à 100% contre les risques légaux et
politiques. » La Russie augmente ses réserves d’or pour se défendre des
« risques politiques ».
En 1997, Robert Mundell, prix Nobel d’économie, a écrit dans un article :
« Le problème avec un pur étalon-dollar est que cela
fonctionne seulement si le pays qui émet cette devise peut conserver sa
discipline monétaire. » Aristote a dit quelque chose de similaire, il y
a 2500 ans : « En effet, il n'y a rien d'intrinsèquement mauvais
avec la monnaie fiduciaire, à condition que les rois soient
dotés d'une autorité parfaite et d'une intelligence divine. » Il est
évident que, depuis au moins l’effondrement des accords de Bretton Woods, les
États-Unis n’ont pas conservé leur discipline monétaire, et qu’ils n’ont pas
l’intention de le faire.
Le dr. Mundell, dans le même article, déclarait : « Les
États-Unis n’ont pas envie de parler de réforme monétaire internationale pour
le moment, parce qu’une superpuissance n’encourage jamais une réforme
monétaire internationale à moins qu’elle ne voit cette réforme comme une
opportunité de détruire une menace à sa propre hégémonie… Les américains ne
proposeront jamais une alternative au système actuel, parce qu'il permet
aux États-Unis de maximiser leur droit de seigneuriage… Les États-Unis
seraient le dernier pays à accepter une réforme monétaire internationale qui
mettrait fin à ce banquet gratuit (privilège exorbitant du
dollar). » Il semble avoir eu raison. Les États-Unis traînent les pieds.
Ils n’ont toujours pas ratifié les réformes du FMI auxquelles le
gouvernement américain a donné son accord en 2010. Je doute fort que cette
ratification arrive avant les élections américaines, à la fin 2016. Cela met
en rogne non seulement la Chine et la Russie, mais aussi l’Union européenne
et une grande partie de la communauté internationale.
Pendant la crise de 2008, qui a presque détruit le système monétaire
international, l’or a fait son retour dans le système. L’or est devenu la
seule garantie acceptée pour obtenir des liquidités. Il est remarquable qu’après
avoir été ignoré pour des décennies, l’or soit revenu dans le système
monétaire international via les règlements de la Banque des règlements
internationaux (ou BIS, pour Bank for International Settlements). Ces
transactions ont confirmé que l’or revenait dans le système. Elles ont révélé
le piteux état du système financier avant la crise et démontré comment l’or
avait été indirectement mobilisé pour supporter les banques commerciales. La
vieille utilité de l’or en cas d’urgence a refait surface, même si c’était
derrière les portes closes de la BIS à Bâle, en Suisse. Depuis la crise de
2008, la Chine et la Russie ont toutes deux accéléré leurs achats en
accumulant de l’or via tous les moyens possibles, comme on peut l’observer
dans le graphique ci-dessous.
Depuis 2010, nous sommes dans un monde où il n’y a pas de puissance
dominante, dans les guerres de devises et de l’or, et même dans une nouvelle
guerre froide. Le monde a désespérément besoin d’un nouvel ordre mondial et
d’un nouveau système monétaire international. Cela arrivera-t-il après un effondrement
majeur et, possiblement, une guerre, ou bien à travers des collaborations et
consensus pour éviter une guerre ? Pour moi, il est évident que, comme le dr.
Mundell l’a dit en 1997 : « L’or fera partie de la structure du
système monétaire international au 21ème siècle, mais pas de la
manière dont il l’a été dans le passé. » Sous quelle forme ?
C’est difficile à dire pour le moment. Dans cet environnement antagoniste de
guerre froide et de guerre des devises et de l’or, il est difficile d'imaginer
qu'un système monétaire fiduciaire (DTS fiduciaires) puisse réussir.
Cela requiert de la confiance et un consensus au niveau international entre
les pays. Il y avait un environnement de détente, un désarmement et de la
collaboration entre 1990 (fin de la Guerre froide) et 2008 (début de la
nouvelle guerre froide et des guerres de devises et de l'or), mais ce n’est
plus le cas.
Vu l’environnement conflictuel dans lequel nous sommes, il semble de plus
en plus que l’or va s’imposer en tant que monnaie de facto. Jim
Rickards, dans Currencies
after the Crash, édité par Sara Eisen, écrit : « Lorsque
tout échoue, y compris éventuellement le nouveau plan DTS, l’or attend
toujours en coulisses, comme un conservateur de valeur stable et largement
accepté, et une monnaie universelle. Au final, une lutte totale entre l’or et
le DTS pour devenir la “monnaie” suprême pourrait être le prochain grand choc
qui s’additionnerait à la longue liste des chocs historiques du système
monétaire international. » Toute devise internationale de règlement
fiduciaire, comme les DTS, ne fera que retarder l’inévitable « grande
remise à zéro » vers une forme de standard or.