Jean-Marc Ayrault, estimant sans doute que ses objectifs de relance de
la croissance, de baisse du chômage et d’équilibrage du
budget n’étaient pas assez ambitieux, s’en est fixé
un nouvel : celui de ramener à zéro le déficit de
la balance commerciale de la France (hors facture énergétique) dans
les cinq ans à venir.
Comme tout objectif, il convient d’abord de s’attarder sur
la pertinence de l’indicateur. Dans le cas de la balance commerciale, le
problème est justement que cet indicateur n’est absolument pas
pertinent. Il faut de prime abord remarquer que le
commerce extérieur n’est en fait qu’une convention. Comme
le fait remarquer Ludwig von Mises [1], « le commerce extérieur
ne diffère du commerce intérieur que dans la mesure où
les biens et services sont échangés au travers des
frontières séparant deux nations souveraines. ».
De plus, la dénomination même de déficit
commercial est particulièrement trompeuse du fait de la connotation
péjorative attachée au mot « déficit ».
Chacun ressent intuitivement qu’il n’est pas bon
d’être en déficit, et donc qu’avoir un
déficit commercial est mauvais. Pourtant, à s’y pencher
de plus près, on s’aperçoit qu’il n’en est
rien. Supposons que je choisisse d’acheter un produit à
l’étranger. Apparaîtra alors un déficit commercial
de la France. Pourtant, cette opération n’aura fait que des
gagnants : l’acheteur et le vendeur. En effet, dans tout libre
échange les parties ne contractent que si elles trouvent cela plus
avantageux que de ne pas le faire.
Comme souvent, Frédéric Bastiat fut celui qui analysa le
mieux ces sophismes. Son article sur la balance du commerce
[2] démontre admirablement l’absurdité du concept. Un
commerçant bordelais exporte du vin pour un montant de 50 francs en
Angleterre où il le vend pour un équivalent de 70 francs. Il
convertit ceux-ci en houille, qu’il réexpédie en France
et où il la vend pour 90 francs. L’habile commerçant a
ainsi réalisé un bénéfice de 40 francs, quand on
vient lui annoncer qu’il a généré un
déficit commercial. Et si le bateau transportant le vin avait
coulé, il aurait certes subit une perte mais aurait créé
un excédent commercial !
D’un point de vue comptable, l’équilibrage de la
balance commerciale ne peut se faire que par une augmentation des
exportations (par gain de compétitivité des entreprises ou des subventions
de celles-ci) ou une baisse des importations. Il est clair que c’est
sur ce deuxième volet qu’il est plus aisé d’agir,
comme l’a exprimé Arnaud Montebourg dans son plaidoyer
pour un protectionnisme européen. Il n’y a en effet aucune
raison pour que les entreprises françaises deviennent soudainement
plus compétitives (surtout avec une fiscalité encore alourdie),
et les subventions ne semblent pas faire partie des plans du gouvernement
(surtout avec le déficit actuel).
Or, le philosophe Hans-Hermann Hoppe
démontre avec pertinence les
effets néfastes du protectionnisme [3] : si le protectionnisme
international pouvait rendre une nation entière prospère et
forte, il devrait en être de même pour le protectionnisme
régional et même individuel (chacun serait dans un état
d'isolement autosuffisant). Dans ce cas plus personne ne serait au
chômage, mais une telle "société de plein
emploi" ne serait composée que de gens condamnés à
la misère car obligés de tout produire eux-mêmes,
c'est-à-dire pas grande chose voire pas de quoi survivre.
Il est également à noter que la comptabilisation peut
être trompeuse. Alain Madelin donne ainsi l’exemple de l’iPhone
qui est comptabilisé 179$ dans les statistiques américaines
des importations en provenance de Chine. En étudiant en détail
le processus de fabrication on s’aperçoit que les composants
proviennent de nombreux pays (dont les États-Unis), l’assemblage
final en Chine ne représentant que 6,5$, soit 1,3% du prix de vente
aux États-Unis !
Comme le constate Ludwig von Mises
[4] : « Il est évidemment possible de protéger
un producteur peu efficace contre la concurrence de collègues plus
efficaces. Un tel privilège confère à celui qui en jouit
les avantages que le marché ne fournit qu'à ceux qui
parviennent le mieux à satisfaire les désirs des consommateurs.
Mais c'est nécessairement au détriment de la satisfaction des
consommateurs. ». De plus, comment ne pas voir qu’en donnant
au législateur le pouvoir d’offrir des faveurs à
certaines industries, c’est-à-dire en excluant la concurrence
(au détriment du consommateur), le protectionnisme fait le lit de la
corruption ?
[1] Ludwig von Mises, L’Action
Humaine, Chapitre XXIV — Harmonie et conflit
d'intérêts, 1/ L'origine première des profits et des
pertes sur le marché, p.775
[2] Frédéric Bastiat, Tome quatrième - Sophismes
économiques - Petits pamphlets, VI. Balance du commerce
[3] Hans-Hermann Hoppe, The Case for Free Trade
and Restricted Immigration, Journal of Libertarian Studies 13:2 (Summer
1998) : 221-233
Traduction française
[4] Ludwig von Mises, L’Action
Humaine, Chapitre XV — Le marché, 12/ L’individu et le
marché, p.367
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