Pendant
très longtemps, les barrières douanières -
c’est-à-dire les dispositifs qui consistent à taxer les
produits ou les services qui traversent une frontière - furent de
simples instruments fiscaux. C’était par exemple le cas dans la
France de l’Ancien Régime où les barrières
douanières étaient érigées à
l’intérieur même du royaume [1] et aux États-Unis
d’Amérique du XVIIIème où le gouvernement
fédéral ne maîtrisait pas encore son territoire et avait
trouvé plus simple d’installer ses agents fiscaux dans les ports
de commerce [2]. Ce n’est que lorsque nos gouvernements se
piquèrent d’organiser la vie économique de leurs sujets
que les barrières douanières prirent une nouvelle dimension et
devinrent un moyen de pénaliser les importations. D’un
impôt destiné à alimenter le trésor public, les
barrières douanières se muaient alors en instrument de
politiques protectionnistes.
La distinction
entre une politique fiscale et une politique protectionniste est très
simple. Dans le premier cas, l’objectif du gouvernement est de
maximiser ses rentrées fiscales ; son intérêt bien
compris consiste donc à imposer des droits de douane raisonnables de
manière à ne pas faire chuter le volume des importations. En
revanche, si le gouvernement souhaite mettre en œuvre une politique
protectionniste, il doit taxer les produits importés à un taux
suffisamment élevé pour inciter ses sujets à consommer
des produits locaux. La logique est ici en tout point semblable à
celle des taxes qui pèsent sur le tabac ou l'alcool : si le
gouvernement souhaite que nous réduisions notre consommation, il
impose des taxes qui supplantent l’effet addictif de ces produits : il
s’agit alors d’une politique paternaliste [3]. Si tel n’est
pas le cas - c’est-à-dire que le niveau des taxes n’est
pas suffisant pour faire baisser notre consommation - c’est que nous
avons tout simplement affaire à une politique fiscale et que les
préoccupations de santé publique ne sont qu’un
prétexte.
A n’en
point douter, le projet de « démondialisation » est bel et bien
un projet protectionniste. En substance, il vise à instaurer des
barrières douanières (aux frontières européennes
ou françaises, peu importe) destinées à surcompenser les
écarts de coûts de production entre un pays comme la France et -
par exemple - la Chine. Dans la pratique, cela signifie qu’il faudra
taxer les produits importés à un niveau tel que les
consommateurs français auront matériellement
intérêt à n’acheter que des produits
fabriqués localement et de telle sorte que les entreprises qui
souhaitent accéder à notre marché intérieur
n’auront d’autre choix que de relocaliser leur production. Ce qui
revient à dire que vous et moi subventionnerons par une perte de
pouvoir d’achat, la relocalisation d’un certain nombre
d’emplois. L’hypothèse protectionniste se résume
donc à l’idée selon laquelle les pertes d’emplois
provoquées par la baisse de notre pouvoir d’achat seront plus
que compensées par les créations d’emplois liées
aux relocalisations [4].
Il est
très difficile de trancher sur cette question. Si vous y jetez un
œil objectif, vous constaterez comme moi que si le protectionnisme
créera certainement des emplois, il en détruira tout aussi
certainement [5] et il est presque impossible de dire quel effet l’emportera
sur l’autre. Aussi, plutôt que de rentrer dans un débat
d’apothicaires qui ne fera pas avancer le débat d’un iota,
je vous propose un reductio ad absurdum.
Si vous pensez
que le protectionnisme se justifie par le fait que la Chine, en nous faisant
une « concurrence
déloyale », nous prive d’un certain nombre
d’emplois, vous posez en réalité un principe
général. Ce principe dit que la quantité d’emplois
disponibles dans le monde est limitée et que, dans une économie
de libre échange, les régions du monde où les salaires
sont les moins élevés privent d’emplois les
régions du monde où les salaires sont plus
élevés. Dès lors, si la Chine nous « vole » nos emplois, la Grèce en
fait tout autant dans une Europe libre-échangiste.
C’est-à-dire qu’un projet de protectionnisme
européen reviendrait à relocaliser « nos » emplois dans les pays
européens à bas salaires. Si vous soutenez les thèses
protectionnistes pour rapatrier des emplois en France, vous devez donc
plaider pour un protectionnisme français.
Mais ce
même principe implique que la région PACA « vole » des emplois à la
région parisienne au même titre que le Mezzogiorno « vole » des
emplois à la Lombardie et vous devriez donc plaider pour des
politiques protectionnistes en Île de France comme dans le nord de
l’Italie. De la même manière, au sein même de la
région PACA, Aix-en-Provence devrait donc, selon vous, instaurer des
barrières douanières pour taxer les produits en provenance de
Marseille et ainsi de suite jusqu’à votre quartier, votre rue et
votre immeuble où un voisin qui accepte de travailler pour moins cher
que vous vous prive de « votre »
emploi.
Alternativement,
vous pouvez aussi vous demander si la mondialisation est vraiment le
problème.
---
[1]
C’est le cas, par exemple, de l’octroi qui permettait à
certaines municipalités d’alimenter leurs caisses en taxant les
produits importés dans la ville.
[2] Allez donc
taxer les revenus des cow-boys et des indiens du far-west...
[3] Comme son
nom le suggère, une politique qui vous traite comme des enfants et
confère à l’État le rôle de vous
éduquer.
[4]
Étant bien entendu qu’une véritable politique
protectionniste ne générera pas les revenus fiscaux que vous
auriez pu espérer utiliser pour créer des emplois publics.
[5]
Entreprises d’import/export, ports de commerce, transporteurs routiers,
marques de vêtements ou d’appareils électroménagers
low cost,
commerces spécialisés dans les mêmes produits, loisirs et
autres activités qui seront nécessairement impactées par
une baisse du pouvoir d’achat...
|