Article initialement paru le 28.05.2007
Il y a dix ans, l’élection présidentielle confirmait Sarkozy au poste
de président de la République. Comme prévu, les promesses de campagne s’étiolèrent
rapidement pour ne plus former qu’un magma mou vite oublié. Avec l’élection
quasi-certaine de Macron à ce poste, on se demande dans quelle mesure ce qui
s’est passé il y a dix ans ne risque pas de se reproduire exactement de la
même façon…
Alors que l’horizon avance sur les législatives qui s’annoncent à peine
plus sportives que la présidentielle, tout, dans l’attitude du nouveau
président et de sa dream-team au pouvoir s’inscrit dans la fixation
d’objectifs ultra-mous et en super-pas-rupture, ou, pire encore, dans
l’amnésie pratique des résolutions de campagnes qui avaient pourtant encore
droit de cité il y a quelques semaines…Le Sarkozy est un fin politique :
on n’arrive pas là où il est sans faire un minimum de
jogging d’efforts et sans déployer toute une panoplie de roueries stratégies habiles.
Cependant, celle qui consiste à ménager, comme lui et son équipe le font
avec des pincettes nanométriques, la chèvre et le chou électoral avant les
élections législatives tend à montrer que le courage qui semblait les
caractériser début mai s’évanouit progressivement avec l’arrivée du mois de
juin. Il faut se rendre à l’évidence : si Chirac avait inventé l’affaire
qui fait pschiitt, Sarkozy nous aura démontré possible le gouvernement qui en
fait autant.
Il est de notoriété publique que demander à un mâle de retenir des choses
importantes juste après un orgasme relève de l’exploit ; peu arrivent en
effet à concentrer suffisamment d’énergie pour former un semblant de mémoire
qui perdurera. Avec les élections, la similitude est frappante. Ainsi, la
réduction du déficit public semble d’ores et déjà appartenir à un passé
brumeux où, dans les vapeurs hormonales d’une victoire fumante, on promet un
peu tout et n’importe quoi sans trop réfléchir histoire de pouvoir s’endormir
rapidement sur des lauriers envoûtants.
Et ça va même plus loin. Enquiquiné d’avoir à admettre une véritable
débandade sur le sujet, nos épuisés de la campagne se perdent en excuses et
tortillages de sens qu’on croirait typiques d’un mauvais film sentimental qui
vire à l’aigre : la baisse des déficits est modifiée en ralentissement
de la baisse, pour finalement arriver à la conclusion typiquement
couillemolisée que finalement, ces déficits, c’est plutôt pas mal puisque ce
sont … des investissements.
Vraiment, la rhétorique au service des gros mâles qui s’endorment, ça a
quelque chose de fascinant, non ?
On pourrait se dire qu’avec ces premiers bruits pitoyables de dégonflement
le petit bateau pneumatique de la République ne tiendra pas le coup et qu’il
faudrait donc, en toute bonne logique, s’arrêter là. Après tout, taillader la
barcasse alors qu’on atteint la pleine mer, c’est un peu suicidaire.
Eh bien non ! Pendant que les matelots s’emploient à regonfler
péniblement un petit boudin du canot, le capitaine décide, dans son coin, de
faire de la musique en faisant chanter les valves qui ouvrent grand l’autre
partie du frêle esquif : là où il devait y avoir une remise à plat des
services publics pour assurer – enfin ! – un service minimum, le président
s’est décidé à avancer avec tellement de tact et de doigté qu’on ne peut que
constater une
reculade franche ; il faut s’y résoudre, dans ce pays, si les
syndicats sont heureux, c’est que l’immobilisme est de rigueur ou que la
collectivisation de la société continue au petit trot.
Mais le pompon, ce sont bien les efforts discrets mais réitérés du
translucide ministre de l’Education pour détricoter
rapidement les pâles mesures pourtant dans le bon sens de son Robien de
prédécesseur. Agitant l’écran de fumée habile de la carte scolaire, dont la
suppression doit être l’Arlésienne des gouvernements un peu soucieux de leur
image depuis 30 ans, le nouveau ministre au passé hyalin occupe ainsi la
scène médiatique et les esprits tout
en abrogeant progressivement tout ce qu’il peut en coulisse. La méthode
syllabique, destinée à revenir et remplacer définitivement la méthode
(semi-)globale, catastrophe dyslexisante de toute une génération d’élèves en
insécurité orthographique, sera finalement oubliée au profit des
expériences éducatives tentées depuis les trente dernières années avec le
succès que l’on peut constater.
…
Il semble évident que de telles compromissions, de tels aménagements, à
l’approche des élections, ne peuvent que faire penser à des manoeuvres
politiques pour convaincre un maximum d’électeurs que les maîtres-mots de
Sarkozy, « dialogue » et « concertation », ne soient pas
vains. Cependant, on peut noter aussi que cette méthode, celle d’un dialogue
ou d’une concertation, aura été tentée à de si nombreuses reprises depuis les
années 70 ou 80 qu’elle n’est plus, en elle-même, une méthode, mais bien une
habitude, qui s’est véritablement mue en rite rôdé dans lequel, dans un
premier temps, le gouvernement montre ses bras, dans un second temps, les
syndicats montrent les leurs, et dans un troisième, tout le monde rentre chez
lui en attendant la prochaine législature.
Sarkozy n’a que jusqu’à Septembre pour arrêter de dégonfler son rafiot et
pour le regonfler à la force de ses petits poumons de joggeur fou. Après, il
sera définitivement trop tard. Je ne suis pas optimiste.
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