| On ne va pas jouer les étonnés, les autorités européennes continuent d’arpenter sans succès les chemins de traverse du désendettement. Jacob Lew, le nouveau secrétaire d’État américain au Trésor, vient aux nouvelles et préconise à contretemps la croissance à l’occasion d’une tournée européenne. Après Chypre, le Portugal focalise l’attention. Le Conseil constitutionnel y a repoussé les coupes dans les retraites et les salaires inscrites au budget 2013, exprimant à sa manière le sentiment qui se répand que les sacrifices demandés ont atteint la côte d’alerte, comme c’est le cas en Espagne et en Grèce. Dramatisant la situation, Pedro Passos Coelho, le premier ministre, a, comme si de rien n’était, immédiatement annoncé d’autres coupes budgétaires dans les domaines de la santé, de la sécurité sociale et de l’éducation, afin de respecter ses prévisions initiales de réduction du déficit et d’obtenir, comme l’Irlande, prochaine confirmation d’un allongement du calendrier de remboursement des emprunts qui de toute manière s’impose de fait. Dans le même genre, le premier ministre britannique David Cameron vient d’annoncer de nouvelles coupes dans les programmes d’aide sociale, avec ce délicat commentaire : « Personne ne veut travailler dur et voir ses revenus âprement gagnés utilisés à financer des choses qu’il ne peut pas s’offrir », critiquant « le choix de style de vie pour certains ». Pris entre la nécessité de convaincre l’opinion publique et celle de réduire les déficits, les gouvernements en viennent à utiliser des expédients peu recommandables. En Italie, le sauveur Mario Monti a joué à grande échelle d’un instrument financier inattendu, substituant aux mesures impopulaires un crédit fournisseur de longue durée, qu’il a imposé aux entreprises créancières de l’Etat qui subissaient par ailleurs des restrictions de crédit bancaire… Sur le front bancaire, cela ne va pas mieux. La recapitalisation de la Banque Nationale de Grèce et d’Eurobank fait problème : le gouvernement avait prévu de les fusionner, mais cela aboutirait à la création d’une banque trop grosse pour être sauvée, leur taille de bilan commune équivalente au PIB du pays. Aucun investisseur privé ne s’étant présenté pour participer à hauteur de 10% minima de leur futur capital – évitant ainsi la nationalisation en vertu d’une règle gouvernementale complaisante – le Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF) abondé par des crédits européens va y suppléer. Mais une formule est recherchée afin d’éviter une nationalisation formelle (et protéger les intérêts des actionnaires : les grandes familles grecques). Le système bancaire tout entier va probablement y passer… Les banques espagnoles sont toutes désignées pour expérimenter à leur tout le modèle chypriote, qui a déjà été partiellement appliqué en ruinant les petits épargnants, qui ont en toute confiance souscrit à des émissions obligataires des banques qui se sont ensuite effondrées, sur la recommandation du gouvernement. Olli Rehn, le commissaire européen des affaires économiques et monétaires, a confirmé les travaux en cours à propos d’un projet de directive réglementant les futurs bail-in, mais s’attend-on qu’elle soit mise au point et adoptée ? Au-delà des caractéristiques spécifiques de la situation chypriote, cette formule de renflouement finit par s’imposer quand l’État n’a plus les moyens d’y pourvoir, l’aide financière requise dépassant ses capacités de remboursement. La solution de l’union bancaire écartée, il ne reste plus par défaut que la mise à contribution des actionnaires, créanciers obligataires et déposants. Mais ce qui est en jeu avec la tentative d’en définir des règles, ce n’est pas d’établir la hiérarchie des contributions, qui est déjà connue, mais d’étudier le caractère national – ou au contraire élargi – de la prise en charge des pertes. Qui payera réellement l’addition, dans le cadre d’une opération de bail-in ? Ceux qui auront eu la malchance, ou la maladresse, de ne pas s’être esquivés à temps ! Les actionnaires sont scotchés, mais pas les créanciers obligataires qui peuvent se délester sur le second marché, en se désengageant à l’avance, ou en cédant à la BCE leurs créances à titre de collatéral lorsque ce sont des banques ! Et quant aux gros déposants, nationaux ou non, il ne leur est pas interdit de participer à temps et en escadrille à un capital flight (les paniques bancaires étant pour les petits déposants qui se ruent en courant aux guichets) sous le régime de la libre circulation des capitaux, tant que celle-ci n’est pas gelée… L’art du bail-in se conjugue avec celui de son anticipation. Restera-t-il alors assez de convives autour de la table pour régler la petite note ? | |