Nous avons
expliqué en quoi consistait le marché des
dérivés et dans quelles conditions, il pouvait fonctionner sans
impact sur l’économie réelle et, au contraire, absorber
l’instabilité qui y règne. Malheureusement, le
marché des dérivés aujourd’hui ne repose pas uniquement
sur des actifs en circulation ou sur des capitaux monétaires
réellement disponibles et c’est là que les choses peuvent
s’envenimer.
Selon les chiffres de la Bank of International Settlements (BIS) , l’International
Swaps and Derivatives Association (ISDA) et
le Depository Trust & Clearing Corporation (DTCC) ), le
marché des dérivés atteindrait un volume de presque $
700 000 milliards en comptant le total des valeurs notionnelles des contrats
(dont $ 640 000 milliards pour les marchés de gré à
gré et le reste au sein des marchés organisés). Sachant
que le notionnel n’est que rarement transféré, le volume
net des transactions sur les marché des dérivés tourne
plutôt autour $ 35 000 milliards, soit de 5% de ce montant. Cela
représente quand même près de la moitié du PIB
mondial, évalué à $ 71 000 milliards.
À titre de comparaison, si on additionne les bases
monétaires de tous les pays du monde, on atteint la somme de $ 8 000
milliards de dollars à peine. Il est donc évident que le volume
net des transactions enregistrées sur les marchés de
dérivés ne peut s’expliquer par les seuls stocks
monétaires mondiaux.
Par contre, si on se base sur l’hypothèse que
le monde dans son ensemble maintient
une proportion entre base monétaire et M3
(l’agrégat monétaire le plus large incluant les crédits,
dépôts, et notes créés par les banques) proche de
celles de la FED et de la BCE, on peut supposer que l’offre
monétaire mondiale connue se
trouve autour de $ 70 000 milliards. Ceci peut alors expliquer en grande
partie le volume du marché de dérivés.
Néanmoins, l’expansion du crédit
bancaire implique que les marchés de dérivés ne
fonctionnent plus comme un moyen de contenir les pertes liées à la volatilité des
marchés. En effet, à partir du moment où les
opérations de dérivés sont largement financées par
du crédit bancaire, le lien entre les marchés de
dérivés et l’économie réelle ne se limite
plus au contrôle de la volatilité des marchés des
sous-jacents. Les pertes sur les marchés de dérivés
peuvent alors toucher les bilans des banques ayant procédé
à une création de crédit pour financer les acteurs sur
les marchés de dérivés. Les banques ainsi
affectées voient leur bilan se détériorer et mettent en
danger leur solvabilité et celle de leurs clients déposants qui
pourraient perdre leurs capitaux.
Or, il faut souligner que l’usage de l’effet
de levier sur les marchés de dérivés n’est pas
seulement le fait des spéculateurs. Les producteurs, dont les bilans
sont boostés par du crédit, cherchent aussi à se
protéger de la volatilité que ce crédit abondant
crée en opérant sur les marchés des dérivés. En outre, il est
intéressant de remarquer que des dérivés, comme les
futures et les forwards,
les CFD, les caps et les floors, rendent
l’investissement financier très accessible et facile à
l’épargnant lambda. Plus besoin de comprendre la
complexité de l’intermédiation financière, des
marchés monétaires et obligataires. Les contrats de hedge (couverture)
sont des investissements à la portée de tous qui se multiplient
donc quand le crédit est abondant. En gros, tout le monde s’y
met.
Dans ce contexte, la plupart des contrats de
dérivés sont alors créés pour couvrir les parties
contre la forte volatilité créée par les manipulations
des taux et les variations de la base monétaire des banques centrales.
De ce fait, au lieu de canaliser la volatilité, ils deviennent eux-mêmes un vecteur
de volatilité. L’exemple le plus évident est celui de la
crise des subprimes.
En conclusion, la spéculation n’est jamais un
problème en soi. Au contraire, elle joue le rôle social de
fournir le marché en liquidités et d’assurer la
fluidité des transactions sur l’ensemble des marchés.
La spéculation financière ne devient un
problème que lorsque cette activité est financée par un
crédit expansionniste sans une couverture réelle en termes de
réserves monétaires, mais surtout en termes d’actifs
réels, c’est-à-dire, en termes de capacité
productive. En l’absence d’un ancrage réel, la
spéculation financière devient un vecteur de volatilité
(parmi d’autres) et au lieu d’harmoniser les marchés, elle
peut susciter une instabilité généralisée.
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