La Banque des
règlements internationaux (BRI), souvent présentée comme
le saint des saints du système financier, a enfin trouvé la
solution à la crise, ainsi qu’elle vient de l’exposer dans
son rapport annuel. Devant le danger que représente l’existence
simultanée de déficits publics grandissants et d’une
nouvelle bulle d’actifs en voie de formation, elle propose de
dégonfler les deux en même temps. Il fallait y penser !
La BRI vient en
effet d’endosser ce qu’elle présente comme l’habit
de la raison pour préconiser une vigoureuse action de réduction
des déficits publics, tout en avertissant de la
nécessité de restreindre les facilités monétaires
des banques centrales. Les mesures de stimulus dans l’un et
l’autre des domaines doivent selon elle avoir une fin, en raison de
leurs effets ; le temps est donc venu de réfléchir
à la manière de les arrêter. Elle précise
même qu’il ne saurait être question d’attendre la
reprise de la croissance pour agir, c’est à dire de tirer ces
deux tapis de dessous les pieds des uns comme des autres !
Cette prise de
position remarquée de la BRI ne va pas contribuer à
éclaircir une situation déjà passablement confuse
à propos de la réduction des déficits publics, dont les
chefs d’Etat et de gouvernement ont pris acte à Toronto en
décidant pratiquement que chacun faisait comme il l’entendait
(ou le pouvait). Car elle contredit les récentes prises de position du
FMI, qui, sans être d’une excessive clarté dans
l’expression, vont dans le sens opposé. Dominique Strauss Kahn,
son directeur général, affirmant pour une fois clairement, au
sortir du G20, qu’ « il serait catastrophique que tous les
pays resserrent leur politique, cela pourrait détruire totalement la
relance ».
La situation
n’est pas plus claire en ce qui concerne le soutien financier des
banques. Celles-ci ont profité des liquidités
prêtées généreusement et à bas prix par les
banques centrales pour notamment acheter en masse de la dette souveraine
à long terme. Elles s’en mordent maintenant les doigts en raison
des risques qui s’annoncent grandissant sur le marché
obligataire public, alors qu’elles se sont endettées à
court terme pour y investir et rencontrent des difficultés à
faire rouler
leur endettement. Si les banques centrales devaient commencer à
restreindre leur soutien dans ce domaine, comme la BCE avait commencé
à le faire avant d’être obligée de revenir en
arrière, que se passerait-il ?
Le monde
financier est partagé par de nombreuses inquiétudes
contradictoires. Cela reflète l’extension de la crise de
confiance qui le traverse. Elle s’est d’abord manifestée
au sein du monde bancaire, où elle grippe le marché
interbancaire qui permet au système de trouver son équilibre au
jour le jour en temps normal ; elle s’est maintenant
étendue au marché obligataire, en raison de la crise de la
dette publique.
L’annonce
que vient de faire Moody’s, qui envisage une « possible
dégradation » de la note de l’Espagne en raison de la
faiblesse de ses perspectives de croissance, illustre à la fois la
spirale descendante dans laquelle les pays européens à risque se
trouvent et les risques que cela crée pour les banques : baisse
de la valeur des obligations dans un premier temps, décote négociée
dans un second. On continue de plus en plus d’en parler à propos
de la Grèce, d’ici un ou deux ans peut-être, alors
qu’elle se prépare à se présenter sur le
marché obligataire pour s’y faire massacrer.
L’échéance,
demain jeudi, du remboursement des facilités à un an
accordées par la BCE à un millier de banques
européennes, pour un montant de 442 milliards d’euros, vient de
créer de nouvelles tensions boursières en raison de la nouvelle
baisse brutale des valeurs financières. Les interrogations ne portant
pas sur le risque d’un défaut, dont la BCE s’était
prémunie en donnant les moyens aux banques de se refinancer à
trois mois au préalable, si nécessaire, mais sur le risque
d’assèchement d’un marché déjà bien
mal en point. La crainte que s’ajoute à la crise de
solvabilité (toujours autant dissimulée) une nouvelle crise de
liquidité. Le danger est donc sournois, il n’en est pas moins
redouté par ses effets.
A ce propos,
l’échec des mesures de
« stérilisation » prises par la BCE, n’est
pas pour rassurer – les banques n’ont que partiellement
répondu à l’appel de la banque centrale européenne
de placer 55 milliards d’euros auprès d’elle, une somme
permettant d’équilibrer ses achats d’obligations
souveraines. La bonne nouvelle d’une demande plus faible qu’anticipée
dans le cadre de l’émission de liquidités à trois
mois ne venant pas contrebalancer ce raté, attendons la suite.
Les
épisodes se suivent à un rythme soutenu dans le monde bancaire.
Des fuites publiées sur un blog du Wall Street Journal à propos
des stress tests des banques – destinées à rassurer
à propos de l’état réel des banques
européennes – ne vont toutefois pas y contribuer. Il aurait
certes été décidé d’étendre les
tests à 60 ou même 120 banques, mais il n’est pas
formellement acquis, en dépit de recommandations d’experts
travaillant sur le sujet, qu’ils vont prendre en compte les risques
liés à la détention d’obligations souveraines. A
moins d’un mois de la date annoncée de leurs résultats,
l’absence de mécanisme soutenant si besoin les banques n’étant
toujours pas réglé.
Par ailleurs, une
offensive des Ländesbanken se développe en Allemagne, afin
d’éviter la publication intégrale des résultats
des tests, qui les concernent maintenant aussi, et qui pourraient les rendre
très vulnérables. Tandis que les Espagnols maintiennent pour
leur part leur cap, en indiquant être déterminés à
en publier les résultats, alors qu’ils annoncent la fin de la
restructuration de leurs caisses d’épargne. La confusion ne se
dissipe toujours pas, comment le pourrait-elle dans un tel écheveau de
contradictions ?
Aux Etats-Unis,
une réunion en urgence de la Conférence destinée
à finaliser le projet de loi de régulation financière
aurait abouti à la suppression de la taxe bancaire, dont le produit
sur cinq ans était estimé à 19 milliards de dollars. Le
refus de dernière heure d’un sénateur républicain
de voter la loi, si cette disposition était maintenue, serait à
l’origine de cette volte-face. Les Européens réaffirmant
de leur côté, par la bouche de Michel Barnier, commissaire
européen, que le trio formé par les Allemands, les Britanniques
et les Français était pour sa part décidé
à instaurer une taxe au niveau européen. Le caractère
cosmétique de l’opération n’échappant
à personne, en ces temps où les mesures symboliques aux effets
limités font office de politique.
La faible
limitation des bonus des banquiers et des traders qui devrait être
confirmée par le Parlement européen ne dépare pas de ce
point de vue. Présentée comme devant mettre fin aux prises de
risque excessives, elle souligne au contraire l’absence de mesures
conséquentes sur les instruments financiers qui en sont la
véritable cause. La Fédération bancaire
européenne s’élevant néanmoins contre la mesure et
le désavantage compétitif qui va être instauré vis
à vis des Américains….
La crise des
banques a ravi la vedette à celle de la dette publique, comme dans un
numéro de duettistes. En préconisant de faire face à la
double addiction des banques aux liquidités des banques centrales et
des Etats aux déficits, la Banque des règlement internationaux
ne peut que précipiter un rebondissement que certains analystes
croient pouvoir déjà annoncer : l’entrée en
récession des économies suivie d’une relance de la politique
de création monétaire à grande échelle des
banques centrales, la BCE plus que jamais à la croisée des
chemins après tant de renoncements…
La fameuse
« trappe à liquidité » de Keynes,
déjà à l’oeuvre au Japon, pourra alors trouver de
nouveaux terrains d’élection. La zone euro sera quant à
elle arrivée au fond de l’impasse dans laquelle elle s’est
engagée.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un «
article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en
partie à condition que le présent alinéa soit reproduit
à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion, sociologue
et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières
années dans le milieu bancaire américain en tant que
spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
|