Ce petit moment d’accalmie sur les marchés boursiers, monétaires et financiers vous est offert par Angela Merkel et la Syrie. La première est actuellement fort occupée dans une campagne électorale qui s’achèvera par un vote le 22 septembre prochain. La seconde donne une occasion rêvée pour certains de se lancer dans la politique internationale, ce qui change des petites balades en Corrèze. Néanmoins, quoi qu’il arrive, les meilleures distractions ont une fin.
Sommes-nous donc dans l’œil du cyclone ? Peut-être. En tout cas, quelques éléments laissent penser que la crise, et au moins dans la zone euro, pourrait bien reprendre.
Ainsi, en France, les taux des bons du trésor à 10 ans continuent, lentement mais sûrement, de monter. On atteint à présent les 2.60%. Certes, ce n’est pas encore catastrophique, loin s’en faut : de tels taux représentent une véritable aubaine pour les services de l’État qui continuent donc d’emprunter à qui mieux-mieux.
On pourrait croire, du reste, qu’ils en profiteraient pour allonger au maximum la maturité moyenne de la dette française : lorsque les taux sont bas, mieux vaut emprunter sur des périodes longues. Mauvaise gestion, stratégie complexe qui cache des méthodes sioux ou difficulté à écouler des bons à 10 ans ? On se perd en conjectures mais le fait est qu’en réalité, loin d’augmenter, la maturité moyenne diminue ; tout se passe comme si les bons à 10 ans étaient actuellement remplacés par des bons plus courts, plus liquides sur les marchés financiers. C’est ballot, parce que cette dette coûte cher : c’est déjà le premier poste de dépense de l’État, et l’augmentation actuelle des taux, assez rapide (depuis mai, ils sont passés d’environ 1.65% à quelque chose autour de 2.60%), finit par jouer un rôle important dans le budget : eh oui, ces petits morceaux de papier qui gigotent sur les marchés, il y en a pour 46.2 milliards d’euros, tous les ans. Plus que l’éducation, les retraites ou la défense. Miam. Et une augmentation d’un petit pourcent du taux d’emprunt, c’est plusieurs milliards d’euros (entre 2 et 3) à trouver pour boucler l’année, en plus de ceux qu’il faut déjà emprunter pour le roll-over.
Il faut donc être socialiste tout droit sorti de l’ENA pour ne pas comprendre que tout frémissement des marchés dans le mauvais sens aura immédiatement des répercussions importantes sur le budget. Budget qui continuera d’être serré comme un petit Grégory dans son sac poubelle lorsqu’on découvre qu’aux nombreux indicateurs déjà catastrophiques que j’évoquais il y a quelques jours, il faut ajouter celui de la production industrielle qui continue de s’effondrer : après une chute de 1.4% en juin, elle a encore reculé de 0.6% en juillet.
Compte-tenu de ces derniers éléments, on peut légitimement se demander ce qui va se passer dans les jours qui suivront les élections allemandes.
Sur le plan pratique, on voit mal Merkel renoncer à toute rigueur financière, et lâcher complètement les élastiques une fois élue ; l’Allemagne n’a toujours aucun intérêt à fusiller l’Euro ou le laisser fusiller par une BCE laissée complètement libre de toutes ses envies manipulatrices. Il semble malgré tout difficile d’imaginer qu’il n’y aura aucune tentative de la part des institutions européennes et des pays du Sud, aux abois, de bousculer un peu la chancelière. Au pire, si elle se sent trop violentée, elle pourra toujours menacer de quitter la zone euro, stratégie qui sauverait les meubles allemands (et mettrait le feu partout ailleurs). Mais au mieux, la pression électorale étant retombée, Merkel pourrait bien s’assouplir notoirement, ce qui explique alors la multiplication discrète de petits plans de LTRO (Long Term Refinancing Operation, qui sont, en gros, des distributions de prêts à long terme par la BCE, à des conditions très bisou-compatibles, à des banques commerciales, et contre des collatéraux plus ou moins fantaisistes).
Autrement dit, ce qui a eu cours depuis le début de l’année 2012 pour la BCE et un peu avant grâce à Helicopter Ben pour la Fed, va continuer aussitôt que possible avec Mario : la distribution de liquidités est devenue indispensable pour soutenir un peu l’économie et beaucoup les banques, même si c’est totalement artificiel. Et c’est logique : d’une part, quand on a qu’un marteau financier, tous les problèmes économiques ressemblent à des clous monétaires. D’autre part, de l’aveu même de Mario, la reprise est un peu trop douce, et les évolutions récentes des conditions des marchés pourraient « affecter négativement les conditions économiques », ce qui justifie de conserver les sprinklers à billets ouverts.
Bref : comme on le voit, les indicateurs sont mauvais, les perspectives médiocres, les dirigeants enferrés dans la répétition compulsive d’opérations qui ont déjà montré leur absence totale d’effets positifs. C’est très bon signe.
Heureusement, en France, nous avons Moscovici. Et en matière de Minustre de l’Économie, c’est de la pointure, ça, madame ; on est dans la grosse artillerie, le nivellement par l’obus, l’aplanissement d’obstacle à coup de semtex : non seulement, les impôts continueront d’augmenter, mais la France aura le privilège de goûter à la fameuse taxe à 75%, assise sur les revenus de 2014 (bien sûr) mais aussi de 2013 (youpi). Et puis, quelle joie de constater que les efforts déjà consentis cette année ont trouvé si retentissant succès avec – oups – un déficit public légèrement supérieur aux prévisions, déjà mauvaises !
Bah. Malgré la grogne qui monte, malgré les rentrées fiscales qui baissent, malgré l’incompétence du gouvernement, la France ne court aucun danger. Pour les socialistes au pouvoir, les marges de manœuvre sont encore grandes.
Premièrement, les riches paieront. Il suffira pour cela d’agrandir autant que nécessaire la définition de riche. Avec l’arrivée de Hollande au pouvoir, elle avait déjà subit une solide inflation. Moscovici prouvera qu’il peut, à lui tout seul, désigner tout un rang de contribuables nouveaux, frétillants d’aises à l’idée d’intégrer le cercle auparavant fermé des riches.
Deuxièmement, ce n’est pas comme si les Français n’avaient pas – les petits coquins – de bas de laines bien garnis. Entre l’immobilier qu’ils pourront toujours revendre (oui, je sais, tous en même temps, cela ferait désordre, mais c’est sans importance, nous sommes dans le monde magique de Mosco-ouioui), les assurances-vie dodues, les comptes-épargne plus ou moins bien garnis et gérés de main de maître par la CDC (c’est-à-dire, en substance, l’État), les gouvernants savent qu’il y a beaucoup de petits tuyaux disponibles pour arroser les services publics et les dépenses sociales.
Il n’y a donc aucun souci à avoir.
Comme le remarquait avec sagacité Warren Buffet, c’est lorsque la mer se retire qu’on peut découvrir ceux qui se baignaient tout nu. En France, les finances publiques n’ont justement pas arrêté de faire baisser le niveau de la mer et on commence déjà à distinguer les ministres à poil qui courent un peu dans tous les sens.
Cependant, si Buffet avait bien noté la mécanique à l’œuvre avec son image, il a oublié un autre aspect : lorsque la mer se retire, il ne reste souvent à sa place qu’une belle bande de vase, plus ou moins épaisse. Or, tenter de courir dans une vase épaisse et collante, c’est s’assurer, à brève échéance, de beaux plantages. Et ces derniers mois, en termes de plantages, on a déjà eu notre lot.
Manque de pot, ce n’est pas fini.