|
A l'occasion de
la mise en place de son nouveau programme d'achat d'obligations, baptisé
Transactions monétaires directes (Outright Monetary Transactions), l'Eurosystème rappele
qu'il continuera de stériliser les liquidités ainsi
créés. Qu'entend-on par cette stérilisation des
liquidités? D'un point de vue économique, n'y-t-il pas des
conséquences particulières à souligner? Enfin, quelle
est l'importance de cette stérilisation?
Techniquement,
l'Eurosystème conduit des opérations
hebdomadaires de retrait de liquidités pour un montant identique
à ses achats d'obligations. Ces opérations amènent les
banques commerciales à déposer pour la semaine les liquidités
fournies par l'Eurosystème en échange
des titres financiers vendus. Par conséquent, ces liquidités ne
seront accessibles aux banques, que ce soit pour l'achat d'autres actifs ou
pour l'octroi de crédits, qu'à la fin de la semaine. Les
liquidités sont alors dites stérilisées. La
stérilisation continuera aussi longtemps que l'Eurosystème
reconduit les opérations de retrait de liquidités.
Dernièrement, les dépôts hebdomadaires des banques se
sont élevés à quelques 209,5 milliards d'euros.
Cette
stérilisation, dont nul ne peut nier l'efficacité
opérationnelle, est réalisée afin d'empêcher les
conséquences inflationnistes des achats d'obligations. Si la
finalité économique de la stérilisation est claire, son
efficacité l'est beaucoup moins. En fait, deux arguments au moins suggèrent
que la stérilisation n'élimine pas l'impact inflationniste des
achats d'obligations.
Premièrement,
les achats d'obligations sont financés par une création de
monnaie nouvelle, initialement mise à la disposition des banques, mais
in fine transférée aux émetteurs mêmes des titres
financiers. En effet, les préférences des banques commerciales
en matière de détention d'obligations ne sont pas
déterminées par les achats d'actifs financiers par l'Eurosystème. Toutes choses égales par
ailleurs, la demande de l'Eurosystème vient
s'ajouter à la demande existante de titres financiers, ce qui
résulte en plus d'actifs émis.
La nouvelle
monnaie créée, dont la liquidité bancaire accrue et
stérilisée n'est que la partie visible, transite à travers
toute l'économie. Elle est d'abord dépensée par les
émetteurs des actifs, en l'occurrence les gouvernements de la zone
euro. Ceux-ci la dépensent au titre de leurs nombreux programmes de
sécurité sociale, d'éducation nationale, de santé
publique, de soutien des chômeurs, etc. Les bénéficiaires
des dépenses publiques disposent alors de plus de monnaie
qu'autrement, qu'ils dépensent à leur tour.
Au fil des
vagues de dépenses successives, les prix des biens et services
augmentent, mais pas dans les mêmes proportions ni au même
moment. Ceci conduit à une redistribution de revenu des derniers
récipiendaires de la nouvelle monnaie vers ses premiers utilisateurs.
L'inflation, et la division qu'elle provoque de la société en
gagnants et perdants, est donc bien une des conséquences des achats
d'obligations par l'Eurosystème.
Deuxièmement,
ces effets de redistribution ne se limitent ni aux seuls utilisateurs de la
nouvelle monnaie, ni aux banques qui participent au programme de l'Eurosystème. En augmentant la demande
d'obligations d'États, l'Eurosystème
soutient les prix de ceux-ci. C'est bien ce qui est à l'origine
même des effets de redistribution déjà mentionnés.
Seulement, les prix, dits de marché, des obligations sont
utilisés pour l'évaluation de ces mêmes titres, ainsi que
de titres qui y sont liés, dits dérivés, détenus par tous les autres agents
économiques (compagnies d'assurance, fonds de pension, autres
banques, etc.). Les bilans d'autres agents économiques s'en voient
accrus et font alors état d'une richesse nette artificiellement
gonflée par les opérations de l'Eurosystème.
L'impact de ces effets de richesse sur la structure de production et de
consommation de l'économie est difficile à détailler,
mais il est bien réel.
En conclusion,
la stérilisation par l'Eurosystème ne
peut que prévenir la multiplication de la nouvelle monnaie par le
système bancaire. En effet, puisque les banques modernes n'ont à
détenir que des réserves fractionnaires, tout apport de
liquidités nouvelles, à moins d'être
stérilisée, peut conduire à une expansion multiple des
crédits aux ménages et aux sociétés.
Néanmoins, la stérilisation ne peut prévenir ni la
création de monnaie nouvelle par l'Eurosystème,
ni les effets de redistribution que celle-ci implique.
Mais si la
stérilisation n'est efficace qu'au niveau de la multiplication de la
monnaie par les banques commerciales, tout l'argumentaire érigé
par l'Eurosystème s'effondre. En effet, le
montant des opérations traditionnelles, qui ne sont pas
stérilisées, est si élevé que les banques
disposent d'assez de liquidités dites excédentaires (presque
700 milliards d'euros) pour entamer une expansion du crédit. De fait, et
au vu des chiffres, la stérilisation des liquidités
générées par les achats d'obligations est totalement
sans importance, même en ce qui concerne le domaine déjà
bien restreint de son efficacité limitée.
|
|