Grâce à une Assemblée Nationale au taquet, on n’arrêtera pas si facilement
la marche du progrès ! Et si le progrès signifie des avancées
significatives en matière de flicage permanent de la population, tant
mieux ! Après tout, nous sommes en état d’urgence et c’est le moment où
jamais de sortir les radars pour pister les citoyens partout où ils sont,
non ?
Pour cela, les députés profiteront de l’attention du public habilement
occupée par des grèves, des pénuries, des intempéries et un président qui
continue ses guignolades urbi et orbi. Chargée des mouvements sociaux, de
l’humidification trop importante de Nuit Debout ou, plus problématique, des
cours de Roland Garros, remplie des péripéties fiscales d’un ministre frétillant, l’actualité
ne peut plus guère s’embarrasser, en plus, des petites forfaitures d’une
Assemblée toute acquise à l’espionnage massif de sa population.
Dès lors, le contrôle permanent de la vitesse des automobilistes
passera totalement inaperçu, d’autant plus qu’on l’aura camouflé dans l’un de
ces amendements au projet de loi de « modernisation de la justice au
XXIème siècle ».
Sacrée modernisation, puisqu’on y prévoit maintenant un droit d’accès par
les autorités aux données embarquées dans les ordinateurs de bord de chaque
véhicule. C’est le Figaro qui soulève le lièvre en
ayant épluché le point n°6 du nouvel article 15bis B (rien que la
numérotation fleure bon l’administration, le cerfa qui crépite et le coup de
tampon encreur), pour y trouver un article L. 311-2 ainsi rédigé :
«Art. L. 311-2. – Les agents compétents pour rechercher et constater les
infractions au présent code, dont la liste est fixée par décret en Conseil
d’État, ont accès aux informations et données physiques et numériques
embarquées du véhicule afin de vérifier le respect des prescriptions fixées
par le présent code.»
Ah, c’est vrai que lire du député dans le texte, c’est assez mignon. Déjà
à la base, un texte de loi, c’est réjouissant comme une heure de discours
hollandesque, mais lorsqu’il est écrit par des députés en pleine frénésie de
législatite, cela donne des tournures improbables ou l’amphigourique se
dispute au comique et aux renvois de vilénies dans de sombres petits alinéas
fourbes et retors. Ainsi, même si on se doute bien que la liste fixée par
décret dont il est question concerne plus les infractions que les agents
compétents, il ne faut pas écarter que ce soit l’inverse tant est grande la
capacité de nos scribouillards élus à nous surprendre par leurs idées
consternantes. De même, la notion de donnée physique embarquée qui ne serait
pas numérique laisse quelque peu songeur.
Mais bref, l’idée sous-jacente de cette prose alambiquée est bien là : il
s’agit concrètement de permettre un contrôle permanent de la vitesse et des
comportements de chaque automobiliste… Pour peu qu’il roule avec une voiture
un peu récente (je souhaite bien du courage à nos agents compétents fixés par décret pour récupérer les données
numériques embarquées d’une 2CV). En somme, quoi que vous fassiez, vous
allez laisser des traces numériques de votre comportement passé, traces qui
seront consultables par la police, sur demande ou sans autre forme de procès,
en allant fouiller dans votre véhicule au moment où il lui en viendra
l’envie.
C’est tout à fait délicieux.
En effet, après l’évidente période de rodage qui pourra s’étaler un
certain temps pendant lequel nos amis de la maréchaussée n’auront pas le
matériel, puis le matériel mais pas les formations, puis la formation mais un
matériel obsolète, puis du matériel et de la formation mais sur des véhicules
lourdement patchés (parce que la loi, en retard, aura laissé complètement
ouverte la possibilité de hacker son propre ordinateur de bord – je dis ça,
hein, je ne dis rien), bref, après ce laps de temps, on devrait voir une
véritable tempête de contrôles tous azimuts sur nos véhicules, contrôles qui
mobiliseront à n’en pas douter des hommes, du matériel, de la formation, qui
ont des coûts et des contraintes lourdes.
Heureusement que la délinquance et la criminalité sont en chute libre en
France, que les dégradations diminuent et que les casseurs se font rare,
parce que sinon, on aurait encore pu croire à une mauvaise allocation des
forces de l’ordre dont la mission ressemble de plus en plus à celle des
brigands de grands chemins qui, jadis, détroussaient les voyageurs
imprudents. Évidemment, la comparaison ne tient pas : les amendes routières
ne sont pas du vol puisqu’il y a des formulaires à remplir.
Rassurez-vous cependant : cette mobilisation débile
des forces de l’ordre pour racketter contrôler
les automobilistes ne serait que de courte durée puisqu’une fois les voitures
définitivement connectées au réseau en permanence, il ne sera même plus
nécessaire de faire intervenir la police pour constater l’abominable offense.
L’infraction sera directement signifiée par la voiture, envoyée par elle au
tribunal le plus proche, et l’amende automatiquement prélevée sur votre
compte bancaire lui-aussi intégralement numérique et bien évidemment
totalement ouvert et transparent aux autorités fiscales.
Et le plus beau est qu’avec cet article stupéfiant, on peut ajouter le
reste du projet de loi dans lequel on trouve aussi la désignation d’un
conducteur de tout véhicule, responsable par défaut de toute infraction
constatée et la délation institutionnalisée (lorsqu’une infraction sera
constatée avec un véhicule de société, son patron devra dénoncer l’identité
et l’adresse de l’individu qui conduisait ce véhicule).
Vous trouvez ça immonde ? Ah, mais, c’est le plus beau : vous ne
devriez pas puisqu’après tout, vous avez, tous, consciemment ou non, voté
pour ces mesures ! En votant avec application pour des socialistes de
droite (qui ont tous les jours poussé les lois liberticides) puis des
socialistes de gauche (qui ont tous les jours poussés des lois égalitaristes
en diable), c’est exactement ce qui vous pendait au nez.
Le peuple a réclamé, en se roulant par terre, des routes plus sûres et
mieux protégées ? Voilà qui est fait : tout est sous radar, tout
est sous jumelles, tout est sous mouchard. Le peuple voulait de la sécurité
dans ses villes et une lutte active contre le terrorisme ? Voilà qui est
fait : on a placé des caméras partout, on espionne vos conversations
téléphoniques, on traque vos déplacements. Le peuple voulait une vraie
transparence bancaire ? Voilà qui est fait : le fisc, les
organismes sociaux peuvent maintenant se servir directement sur votre compte,
avant tout autre organisme et avant vous-même bien sûr, sans que vous
puissiez vous y opposer. Le peuple voulait combattre la fraude, qu’elle fut
fiscale ou routière ? Voilà qui est fait : on saura maintenant tout
ce que vous faites, tout ce que vous vendez, tout ce que vous achetez, vos
déplacements, vos envies, vos désirs, vos faiblesses.
Le pompon est que chacune de ces lois aura été voté de façon démocratique
(ou avec toutes les apparences de la démocratie) par ceux que ce peuple,
transi d’effroi et d’amour pour une sécurité de plus en plus chimérique, aura
constamment adoubés de son vote. Ils sont pourtant nombreux à trimballer des
casiers, des affaires louches ou même des résultats économiques
catastrophiques, qui ont été réélus, constamment, d’années en années. Et
cette dernière loi, qui arrive sous le président le plus impopulaire de la
Vème République, n’est pas issue d’un gouvernement d’extrême-droite,
non : c’est bien une assemblée de gauche socialiste, sous un
gouvernement de gauche socialiste, qui l’écrit et la vote.
Et qu’aurait-on entendu sous Sarkozy, s’il avait multiplié les radars et
la fiscalisation abusive de l’automob… Oh, attendez, c’est exactement ce
qu’il a fait et qu’a-t-on entendu ?
Rien. Ou si peu.