Je
reviens sur le rapport que spécial de la CIA sur la pratique de la torture
par les Etats-Unis, publié il y a deux mois de cela. Les résultats sont
choquants. Le New York Times a par exemple publié sept points mentionnés par le rapport.
- Les
techniques d’interrogation de la CIA ont été plus brutales et employées
à bien plus d’occasions que l’agence nous l’a laissé supposer.
- Les
programmes d’interrogation de la CIA ont été mal gérés et n’ont pas été
soumis à une supervision suffisante.
- La
CIA a trompé les membres du Congrès et de la Maison blanche quant à
l’efficacité et l’étendue de ses techniques d’interrogation les plus
brutales.
- Les
interrogateurs qui sur le terrain ont tenté de mettre fin aux techniques
les plus brutales ont été remplacés par des officiels de la CIA.
- La
CIA a grandement sous-rapporté le nombre de personnes détenues et soumises
à ses techniques d’interrogation brutales.
- Au
moins 26 détenus ont été retenus à tort et ne remplissaient pas les
critères de détention établis par le gouvernement.
- La
CIA a offert des informations classifiées à des journalistes et exagéré
le succès de ses méthodes d’interrogation afin de gagner le soutien du
public.
Voici l’étude
épurée de 525 pages rédigée par le Congrès sur les programmes de torture de la CIA.
Réhydratation
rectale, os brisés, 180 heures de privation de sommeil
Voici un
extrait de l’article du Guardian intitulé Rectal Rehydration and Broken Limbs: Grisliest Findings in CIA
Torture Report.
Bien que certains aspects du programme
aient été connus – et que d’autres ne seront jamais révélés – le catalogue
d’abus est digne d’un cauchemar et se lit comme quelque chose sorti tout
droit de l’imagination du Marquis de Sade ou d’Hiéronymous
Bosch.
Des détenus ont été forcés de se tenir
des heures durant sur des os cassés, ont été maintenus dans le noir le plus
complet, privés de sommeil pendant parfois 180 heures, avec les bras attachés
au-dessus de leur tête.
Les prisonniers ont été soumis à une
« alimentation par voie rectale » sans nécessité médicale. Des
examens rectaux ont révélé que cette forme de torture a parfois été conduite
avec une force violente. Certains prisonniers ont plus tard été diagnostiqués
avec des fissures anales, des hémorroïdes chroniques et des « prolapsus
rectales symptomatiques ».
Le rapport mentionne la simulation
d’exécutions, des roulettes russes... Des agents des Etats-Unis ont menacé de
trancher la gorge de la mère d’un détenu, d’en abuser sexuellement une autre,
et ont menacé les enfants de prisonniers. Un prisonnier est mort
d’hypothermie après avoir entre autres été forcé de rester assis nu sur le
sol en béton.
Mort de froid
A COBALT en 2002,
la CIA a interrogé Gul Rahman, décrit comme étant
un potentiel islamiste extrémiste. Il a été soumis à « 48 heures de
privation de sommeil, de surcharge auditive, d’absence totale de lumière,
d’isolation, de douches froides et de mauvais traitements ».
La CIA a
suggéré des mesures « approfondies » pour le pousser à coopérer. Un
officier de la CIA à COBALT a ordonné à ce que Rahman soit « attaché au
mur de sa cellule dans une position qui le force à rester à même le sol de
béton ».
Il ne portait
rien de plus qu’un sweatshirt, puisqu’un officier de la CIA avait demandé à
ce que ses vêtements lui soient enlevés après que l’homme se soit montré peu
coopératif.
Le lendemain,
les gardes ont retrouvé Rahman mort. Une autopsie menée en interne par la CIA
a révélé que l’homme était mort d’hypothermie – « en partie pour avoir
été forcé de s’asseoir nu sur le sol en béton ».
Un homme attaché au mur et puis oublié
Un
interrogateur de la CIA à COBALT a reporté qu’un « détenu pouvait rester
des jours voir des semaines sans que personne ne le regarde, et que son
équipe avait une fois retrouvé un homme qui avait été laissé attaché au mur, debout, pendant 17 jours. Certains
prisonniers auraient été traités à la manière de chiens dans des
chenils : « quand les portes de leurs cellules étaient ouvertes,
ils se recroquevillaient sur eux-mêmes ».
Mensonges
A quoi tout
cela a-t-il pu nous mener ? Comme vous auriez
pu vous l’imaginer, à rien.
Je vous conseille de lire Senate
Report on CIA Torture Claims Spy Agency Lied About 'Ineffective' Program.
Mais aussi Stop
Believing the Lies: America Tortured More than 'Some Folks' – and Covered It
Up.
Ces quelques derniers jours, nous avons
pu voir un certain nombre de politiciens amers et anciens chefs de la CIA qui
ont un jour été en charge du régime de réfutation des accusations de torture
recevoir un statut digne de la royauté de la part des médias américains pour
avoir répondu au rapport sans y avoir été poussés. Dick Cheney est allé
jusqu’à écrire sa propre interview pour le New York Times, alors que Michael
Hayden, ancien directeur de la NSA et de la CIA en charge de couvrir les
activités des agences de renseignement face au Sénat des années durant, a été
traité le mieux du monde par Bob Schieffer de chez
CBS News. Voilà qui frise la propagande.
Des
documents encore classés confidentiels
Qui frise la
propagande ? Non. Il s’agit là de propagande politique pure et simple.
Au passage, l’étude du Comité, qui fait 6.700 pages, demeure classée
confidentielle. Qu’a-t-on de plus à nous dire ?
Carte :
54 pays assistent les Etats-Unis
Vox a publié
une carte des 54 pays qui sont venus en aide à la CIA dans le
cadre de son programme de tortures.
Le programme
de torture de la CIA a pris bien plus d’ampleur que ce que les détails
publiés par le Conseil du Sénat sur la torture ont pu suggérer. La raison en
est que la CIA n’a pas fait qu’établir son propre programme de torture dans
ses propres centres de détention secrets. Elle a également utilisé un vaste
réseau de pays pour l’aider à capturer, détenir, transporter et, oui,
torturer des détenus.
Ce réseau est
plus évident lorsque l’on observe le programme de restitutions de la CIA.
C’est sous ce programme que la CIA a détenu et transporté des gens suspectés
d’être des terroristes avec l’aide de gouvernements étrangers. 54 pays ont
participé à ce programme. Voici lesquels :
Que ces 54
pays soient ou non complices du programme d’interrogatoires de la CIA est
sujet de débats. Ce programme pourrait fonctionner de différentes manières :
chacun des pays a apporté son soutien au programme de restitutions, mais ils
n’ont pas forcément tous participé au programme de torture…
Cheney fait
l’apologie de la torture
Avant même sa
publication, le rapport du Sénat a été rejeté par l'ancien vice-président
Dick Cheney.
La conclusion
du rapport selon laquelle la CIA aurait trompé la Maison blanche est selon lui
« fabriquée ».
« La CIA mérite qu’on en fasse
l’éloge. Pour ce qui me concerne, elle devrait être décorée, pas
criminalisée ».
Dick
Cheney, criminel de guerre
De mon propre
point de vue, Dick Cheney est un criminel de guerre. Il devrait comparaître devant
un tribunal et condamné à mort et enterré dans la même tombe que Saddam
Hussein.
Je pense la
même chose de tous ceux impliqués dans ces programmes, notamment l’ancien
directeur de la CIA, George Tenet.
Ce genre de
comportement ne devrait jamais être excusé. Jamais.
Au passage,
lors d’une réunion le 12 décembre 2012, Tenet a
assuré au président Bush que la présence d’armes de destruction massive en
Irak était une « évidence frappante ».
La réponse
paresseuse d’Obama
Aujourd’hui,
le président Obama a répondu ainsi : « J’espère simplement que le
rapport d’aujourd’hui nous aidera à laisser ces techniques où elles
appartiennent, au passé. Voilà qui renforce mon idée de longue date que ces
méthodes ne sont pas seulement inconsistantes avec nos valeurs en tant que
nation, mais ne servent en rien nos efforts de contre-terrorisme ou nos
intérêts en matière de sécurité nationale ».
Aucune
condamnation ne sera émise, et le reste du rapport sera balayé sous le tapis.
Il y a seulement deux jours, Obama transférait six détenus de Guantanamo en Uruguay.
Les détenus
étaient un Tunisien, un Palestinien et quatre Syriens capturés au Pakistan et
en Afghanistan il y a plus de dix ans, et confiés aux forces américaines.
« Le secrétaire de la défense Chuck Hagel a
initialement hésité à approuver ce transfert ».
Obama
promet de fermer la prison de Guantanamo
En 2008, le
président Obama faisait la promesse de fermer le centre de détention de la
baie de Guantanamo. Nous attendons toujours qu’il le fasse.
Le 28 janvier
2013, The Wire publiait une chronologie des promesses manquées d'Obama de fermer
Guantanamo et notait que le bureau chargé de sa fermeture avait lui-même été
fermé.
Le 22 janvier
2014, le National Journal notait que cinq ans après la promesse d'Obama, la prison de Guantanamo
restait ouverte.
« Ces
dernières années, les promesses de fermeture du camp si controversé se sont
espacées ».
Ce jour même
en 2009, le président Obama émettait un ordre exécutif qui demandait la
fermeture de la prison de la baie de Guantanamo sous un an. Un mois plus
tard, lors de son premier discours de l’Etat de l’union, le président a
annoncé aux Américains avoir demandé la fermeture du camp de Cuba, et a
demandé à ce que « justice soit rendue aux terroristes capturés ».
Guantanamo, qui reste ouverte aujourd’hui, n’a depuis pas été mentionnée dans
les discours du président.
Que font
encore les Etats-Unis à Cuba ?
Quelqu’un
peut-il m’expliquer pourquoi les Etats-Unis opèrent encore une opération
d’interrogatoires à Cuba ?
Bien sûr que
non. Une fois de plus, le président ne fait que mentir.
Appelez-moi
cynique
Pour ce qui
est de la torture, je reste cynique face à l’annonce d’Obama.
Je suppose que
la CIA se contentera simplement de cesser de présenter ses pratiques de
torture dans ses rapports plutôt que d’y mettre fin.
Aucune chance
qu’Obama ne tienne un jour responsables ceux qui ont
commis ces actes.