Les élections
européennes de mai 2014 ont mis en lumière le dégoût d’une partie importante des
populations du continent à l’égard des partis politiques traditionnels. Dans
de nombreux pays, ce sont des organisations dites
« eurosceptiques » ou « populistes » qui ont mené la
danse. Ces résultats doivent néanmoins être relativisés, tant l’abstention a
été importante. De plus, il serait aventureux de prétendre que les suffrages
montrent une nostalgie des citoyens européens à l’égard des États-nations et
une méfiance accrue face à l’Union européenne. Les résultats électoraux
traduisent surtout une volonté de sanctionner les partis dominants qui ont
été incapables de diminuer les effets de la crise internationale.
Un auteur britannique,
Michael Oakeshott, a bien su analyser ce type de scepticisme
à l’égard du politique. Les Belles Lettres avaient fait paraître, fin 2006, Morale et politique dans l’Europe moderne.
Mais, dès 1995, un autre de ses ouvrages majeurs avait été traduit par
PUF : De la conduite humaine.
C’est ce livre-ci que nous allons recenser.
Michael Oakeshott est un penseur conservateur et très méfiant à
l’égard de la théorie de la Tabula rasa
utilisée à si mauvais escient par les révolutionnaires français au moment où
ces derniers voulaient réduire en cendres l’ordre monarchique ancien. Ils se
fondaient en cela sur les idées émises par les philosophes des Lumières, dont
John Locke, et ce, même si
ce dernier ne niait pas l’importance de l’expérience.
Selon Oakeshott, l’ordre français ancien présentait certainement
quelques défauts qu’il fallait corriger. Mais lesdits révolutionnaires ont
voulu aller au-delà. Ils ont souhaité saper tous ses fondements
alors que la France jouissait
pourtant d’un prestige quasi inégalé à l’approche du XIXème
siècle. Quelque peu anticléricaux
(doux euphémisme…), ils abolirent même le calendrier chrétien. Au cours du
XVIIIème siècle, les relations avec certains rivaux ancestraux,
comme l’Autriche, s’étaient également pacifiées, suite, notamment au mariage
entre Louis XVI et la fille de l’impératrice, Marie-Thérèse. Mais la
Révolution bouleversa la donne, y compris en matière de relations
diplomatiques…
Le principal
« hic », exploité, à juste titre, par les révolutionnaires
français, était le piètre état des finances publiques sous la royauté. Les
dépenses étaient évidemment supérieures aux recettes et les nombreuses fêtes
organisées expliquaient, au moins partiellement, ce déficit. Pour autant, on
ne peut pas dire que la Révolution française a contribué à améliorer les
choses.
En l’espace de
quelques années, les traditions issues de l’Ancien Régime s’étaient effondrées.
Le rationalisme des révolutionnaires était lui-même contestable. La
démocratie qu’ils voulaient instaurer n’était en fait qu’un leurre : les
membres du Directoire, supposément hostiles à la politique de terreur, ont
effectué un coup de force, en 1797, contre les royalistes qui venaient
pourtant d’emporter les élections.
Oakeshott ne s’appesantit pas sur cette période
de l’histoire de France. Mais tout lecteur de son ouvrage – surtout s’il est
français – pensera inéluctablement à la Révolution française. En outre, Oakeshott critique fortement l’État moderne, directement
issu de 1789.
Autre fait
intéressant dans l’ouvrage: le philosophe britannique rappelle que les
« États protestants » portaient en eux des germes totalitaires, ce
qui va à l’encontre de l’assimilation éculée et erronée faite par Max Weber
entre libéralisme et protestantisme.
De la conduite humaine – qui n’est plus publié et qui est
difficilement trouvable à des prix raisonnables sur le marché de l’occasion –
est un livre très hermétique (son traducteur le signale d’ailleurs), du début
à la fin, même si la fin – et le troisième chapitre dans son ensemble – sont
plus agréables à lire.
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