Quelques
réflexions connexes à l’ouvrage de Jacques Rollet, Le libéralisme et ses ennemis :
Hayek, Schmitt, Badiou… et les autres
Il y a six
mois, en pleine campagne présidentielle, Jacques Rollet
a publié un ouvrage intitué Le libéralisme et ses
ennemis : Hayek, Schmitt, Badiou… et les
autres.
Ma
première impression, à la lecture du titre du livre,
était plutôt négative. J’en vins à me
demander si Rollet avait perçu la
différence idéologique manifeste entre Hayek, Schmitt et Badiou. Après tout, il n’aurait pas
été le premier auteur à se fourvoyer sur la nature du
libéralisme…
La présentation
m’a heureusement rassuré : l’auteur regrette que le
volet « économie » du libéralisme fasse
l’objet d’un traitement à part.
« Libéralisme économique » et
« libéralisme politique » seraient presque
antinomiques selon certains. Hélas, certains libéraux
alimentent cette confusion : ainsi, Raymond Aron écrivait dans
son Introduction à la
philosophie politique : « La plus grande erreur des
libéraux, me semble-t-il, est d’avoir cru que le
libéralisme politique et le libéralisme économique
allaient de pair ».
Heureusement,
Milton Friedman mit les choses au clair : « L’histoire
suggère uniquement que le capitalisme est une condition
nécessaire à la liberté politique. ».
Philippe
Raynaud, auteur plus « neutre », indiquait, lui aussi,
dans son Dictionnaire de philosophie
politique, que séparer les versants du libéralisme
n’avait pas de sens, étant donné qu’ils
participaient tous au même mouvement de pensée et à la
même vision d’ensemble de l’ordre social.
Il est vrai
qu’aux États-Unis, censément « patrie de la
liberté », le terme « liberal »
a été dévoyé et récupéré
par les sociaux-démocrates, voire par certains socialistes. Un
« ultra-liberal » est
même un gauchiste outre-Atlantique…
Rollet va encore plus loin : selon lui,
l’extrême gauche traditionnelle, qui tient le haut du pavé
intellectuel, se méfie non seulement du libéralisme
économique mais rejette également le libéralisme
politique. En revanche, elle apprécie le « libéralisme
culturel » (liberté de se comporter comme on le
désire, refus de l’autorité traditionnelle des
enseignants et des parents, droit au mariage pour les homosexuels…),
sachant, à juste titre, que ce
« libéralisme »-ci est le meilleur moyen pour
saper l’ordre traditionnel.
Ensuite
– et heureusement – l’auteur, Jacques Rollet,
précise bien, au stade susvisé de sa présentation, que
le « meilleur adversaire » de Hayek est bien le
sulfureux juriste allemand, Carl Schmitt. Le Chapitre II est ainsi
intitulé : Un ennemi du
libéralisme : Carl Schmitt.
Ce dernier
était un souverainiste revendiqué, digne descendant spirituel
du jurisconsulte français, Jean Bodin, ainsi que de Thomas Hobbes. Il
rejetait puissamment le parlementarisme qui ne pouvait aller de pair avec le
souverainisme. Il était également opposé au
régime démocratique en ce qu’il aboutit à une
« fâcheuse » division des pouvoirs.
Il s’est
ainsi rapproché intellectuellement de Walter Benjamin, lequel ira
au-delà des thèses de Schmitt, écrivant qu’il y a
une violence
restant en dehors du droit. En clair, pour ce philosophe allemand, le droit
ne prime pas toujours la force et il conviendrait même d’adopter
une politique toujours plus autoritaire.
Ainsi, le
décret nazi pour la protection du peuple et de l’État,
qui suspendait toutes les libertés publiques de la République
de Weimar, ne pouvait que le satisfaire.
Pour autant,
le régime hitlérien ne favorisa pas son ascension
intellectuelle, bien au contraire. Car s’il accueillit de
manière bienveillante, certaines actions du Führer, telles que la
Nuit des Longs Couteaux, le national-socialisme était, pour Schmitt,
une idéologie médiocre. Hitler n’aurait été
que le fruit de l’impuissance de la République de Weimar. Devant
la faiblesse de ce régime-ci, les citoyens allemands auraient
porté aux nues un homme aux principes diamétralement
opposés.
Par ailleurs,
ceux qui crurent déceler une inflexion progressive de ses
thèses autoritaristes en eurent pour leurs frais : en 1949, au
crépuscule de sa vie idéologique (et bien qu’il ne
s’éteignit qu’en 1985), Schmitt écrit, dans une
recension intitulée Maritime Weltpolitik : « La domination de
l’espace aérien et la possession de moyens de destruction
pourront à elles seules s’assurer la domination sur la terre et
sur la mer ». Il souhaitait la présence
d’États fortement armés et expansionnistes.
De plus, il a
toujours indiqué qu’on ne pouvait faire valoir aucun droit face
à la souveraineté, ce qui l’éloignait encore de la
doctrine libérale.
En outre, cet
auteur s’est également penché sur les liens entre
libéralisme et démocratie. Il analysa ainsi les régimes
bolchévique et fasciste, estimant qu’ils étaient
antilibéraux mais pas nécessairement antidémocratiques.
En clair, libéralisme et démocratie ne se confondent pas, loin
s’en faut.
Cette
thèse sera en partie reprise par un auteur aux idées
opposées à celles de Schmitt : Ernst Nolte.
Cet historien allemand estime que le régime fasciste emprunte aux
démocraties certaines de leurs caractéristiques (union du peuple
avec le gouvernement, idée de « volonté
générale »). Il serait, en effet, naïf de
croire que Mussolini, pour parvenir au pouvoir, ne s’est pas
appuyé sur un important soutien populaire.
Plus
tard, reprenant involontairement les thèses schmittiennes,
les libéraux anarcho-capitalistes prendront
leurs distances avec le système démocratique, jugeant cette
expérience insatisfaisante. Il aurait été
intéressant que Rollet y consacre un
chapitre, tant des auteurs aux thèses diamétralement
opposés ont pu être amenés à
« pondre » des contributions similaires sur le
système démocratique
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