Comme souvent avec ce gouvernement, tout part d’une bonne intention (de celles qui pavent l’enfer), qui, exprimée sous la forme d’une idée simpliste, apportera bien sûr des conséquences catastrophiques. La réforme des Collèges, réclamée de vive-voix par absolument personne, va donc naître et Najat Vallaud-Belkacem en sera l’accoucheuse. Pour le moment, cela se présente par le siège et tout indique que la mère République, bien trop étroite, n’expulsera l’encombrant résultat qu’aux forceps et au bistouri.
Présentée comme une absolue nécessitée par un gouvernement qui a réussi à résoudre, avec un certain brio on doit le reconnaître, les problèmes les plus prégnants du moment comme le chômage, les faillites d’entreprises, la fuite des cerveaux ou l’insécurité galopante, la ministre s’attendait donc à un large assentiment de la part de la population et de l’institution concernée puisque tout, maintenant, roule enfin comme sur des roulettes. Et à cette fin, depuis les aimables gribouillis dessinés d’une main maladroite d’un ancien rebelle devenu porte-parole du gouvernement, jusqu’aux longues tribunes de membres du gouvernement dans les journaux acquis à la cause, en passant par une efficace campagne sur les réseaux sociaux pour taxer d’imbéciles rétrogrades tous les opposants à la réforme, toutes les bonnes recettes d’obstétriciens gouvernementaux ont été utilisées pour s’assurer un vrai moment de bonheur.
Malheureusement, quelques grincheux d’outre-siècle n’y entendent rien. Voilà Finkielkraut ou Brighelli qui vitupèrent ? Bah, Najat ne s’inquiète pas : ce ne sont que quelques pseudo-intellectuels ! Jack Lang est consterné ? Bof, même pas mal, Najat sait bien qu’il ne pouvait rien venir de bon de l’opposi… oh zut, c’est aussi un socialiste, mais baste, passons : alors que ces quelques épiphénomènes se font vaguement entendre, les soutiens de la ministre, eux, se multiplient comme aiment à le répéter certains journaux.
Et quels soutiens ! Du sociologue qui cogne, du professeur en sciences de l’éducation qui tache, de l’inspecteur d’académie qui envoie du steak, c’est du lourd qui ne rigole pas et qui permet à la petite ministricule d’avancer crânement sans tenir compte des jérémiades ridicules des vieux croûtons cacochymes. D’ailleurs, ils ont d’autant moins de crédibilité à ses yeux qu’ils ronchonnent depuis bien trop d’années, de façon sottement impartiale devant le naufrage de l’institution scolaire dans le pays, sans tenir compte de l’alternance au pouvoir qui devrait pourtant servir de guide évident : quand la réforme vient de la drouate, c’est une abomination, mais lorsqu’elle vient de gôche, c’est enfin un pas de géant dans la bonne direction, pardi !
En tout cas, pour le Camp du Bien, c’est certain : ceux qui rouspètent, ce sont des vieux conservateurs, qui ne comprennent plus rien au monde moderne où l’apprenant vitaminé bondit de tablette en smartphone, ne s’encombre ni de latin, ni de grec, ni même d’allemand, fait jouer la transversalité des savoirs d’un cours à l’autre et développe une nouvelle forme de culture qui lui sera utile pour décrocher un baccalauréat d’autant plus solide qu’il est maintenant distribué à tout élève sachant écrire son nom et son prénom, proprement en haut d’une feuille.
Bon.
Tout ceci est bel et bien bon et promet déjà une rentrée 2015-2016 assez malicieuse à côté de laquelle celle de 2014-2015, placée sous le sceau de la gentille réforme des rythmes scolaires, fera figure d’amusante galéjade. En effet, lorsqu’on interroge d’autres personnes que celles qui n’auront pas à subir les conséquences de cette nouvelle et énième réforme, on découvre un autre discours. Même en prenant les moins virulents des enseignants, on a bien du mal à trouver un franc enthousiasme pour les mesures proposées par Najat et son cortège fleuri de sociologues trucs, professeurs en sciences bidules et inspecteurs machins.
À bien y regarder, en fait, la majeure partie du corps enseignant est soit particulièrement circonspect (pour ne pas dire crispée) devant cette réforme, soit carrément hostile, au point de déclencher l’un de ces mouvements de grève qui sont devenus une habitude à l’Éducation Nationale – à ce propos, on peut regretter le nombre un peu trop conséquent de ce genre de mouvements épidermiques, qui atténue d’autant la force de ceux, plus rares, qui s’avèrent indispensables.
S’ajoutent aux professeurs les parents d’élèves qui – étonnement, surprise, stupeur – n’entendent pas tous laisser le collège partir en sucette alors qu’ils ont encore des moutards qui y trainent. Là encore, si l’on recherche auprès de la presse subventionnée les témoignages de parents, on retombe systématiquement sur les mots doux de la FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves), courroie de transmission du PS auprès de ses adhérents. Sur les réseaux sociaux, en revanche, les réactions sont nettement plus tranchées et pas franchement favorables. Et quand l’un ou l’autre média demande son avis aux internautes, …
L’accumulation récente des soutiens à Najat semble en réalité répondre à l’inquiétude du gouvernement qui se rend compte que sa réforme laisse plus qu’une impression désagréable aux personnels concernés, et les articles tiédasses de la presse, hésitante à prendre ouvertement parti, peinent à jouer leur rôle thérapeutique tant auprès de la population que des ministres qui sentent bien que l’affaire tourne au vinaigre.
Et ce, d’autant plus que si les uns et les autres montrent de plus en plus vocalement leur désaccord, ce n’est pas, loin s’en faut, pour les mêmes raisons. Parents, élèves, enseignants, politiciens, syndicats et intellectuels s’élèvent contre la réforme mais pour des raisons variées. Les syndicats, par exemple, fustigent l’augmentation d’autonomie des collèges, ce qui n’est pas exactement la raison majeure du courroux des parents (qui goûtent peu à la disparition de certaines filières d’excellence), des enseignants (qui sentent bien que certains postes sont menacés) et des élèves (qui vont devoir subir, une fois encore, un nivellement par le bas assez spectaculaire).
Le gouvernement, néanmoins, joue sur du velours. Grâce au calendrier, il sait pertinemment que les protestations des uns et des autres ne seront pas beaucoup suivies, les grandes vacances approchant. Elles seront même l’occasion de faire passer le projet en loucedé et sans aucune modification, comme la plupart des précédentes réformes. De surcroît, comme pour le mariage pour tous, comme pour la réforme des rythmes scolaires (dont l’impact, encore mal estimé, fut assez catastrophique pour le rythme des plus jeunes), Vallaud-Belkacem et Valls ont clairement indiqué qu’ils ne cèderont jamais.
Démocratie, souplesse, adaptation, écoute du peuple et de ses revendications, rien de tout cela ne sera mis en pratique par un gouvernement au désespoir de trouver quelque chose à présenter au crédit du bilan d’un quinquennat jusqu’à présent cataclysmique. Le principal souci, c’est qu’au contraire des précédents entêtements gouvernementaux où le clivage se marquait assez clairement entre les conservateurs d’un côté et les progressistes de l’autre (pour schématiser), cette réforme provoque des boutons autant d’un côté que de l’autre de l’échiquier politique et coûtera cher en voix pour le parti socialiste. Voilà qui promet d’intéressants développements.
Belle réforme, en vérité ! Les intellectuels ne sont pas contents, les syndicats ne sont pas contents, les parents ne sont pas contents, les élèves ne sont pas contents, les profs ne sont pas contents, … mais les sociologues, les journalistes des organes officiels, les pédagos et les ministres, eux, sont contents.
C’est le principal, non ?
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