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La France est un beau pays qui vit au rythme des saisons. En été, il fait
chaud, en hiver, il fait froid et comme il ne faudrait pas perturber
l’écosystème fragile et délicat du ronflement charmant d’une population
quasiment devenue servile, au bac’ donné à tout le monde s’ensuit immanquablement
la rentrée.
On s’était quitté un peu en froid avec Madame le ministre, qui avait
imposé par décret une énième couche de réformite sur l’usine à gaz du second
degré et qui n’avait pas franchement besoin qu’on en rajoute une.
On n’avait pas bien aimé qu’elle passe le décret en force le lendemain de
la première grève. Après tout si nous nous étions mis en grève, ce n’était
pas parce que nous avions jugé cette réforme satisfaisante, ni même
pertinente et c’est donc dans un délire parfaitement schizophrène que Madame
Vallaud-Belkacem piaille un peu partout qu’elle nous « consulte », prouvant
dans le même temps qu’elle s’en fiche éperdument et comme de sa première
paire de chaussettes.
On n’avait pas trop aimé le calendrier tout court qui prouvait sa volonté
manifeste de passer en force, et qui montrait clairement qu’elle espérait,
entre deux attaques subtiles sur un prétendu méchant zintellectualisme des
professeurs, que nous oublierions pendant les vacances et que pouf, miracle,
à la rentrée, nous ne parlerions plus de la réforme, laquelle se mettrait en
place dans l’indifférence généralisée.
C’est bien connu, les professeurs n’ont pas de mémoire, et puisque les
élèves oublient tout durant les vacances, nous serions bien aimables d’en
faire autant.
Sauf que le professeur est rarement coopératif quand il sait que le
gouvernement veut mettre en place une réforme qui nuira directement aux
élèves et nous avons passé l’été à leur envoyer des cartes postales pour bien leur rappeler que non, non,
décidément, nous n’oublions pas et sommes déterminés.
Nous n’avions pas beaucoup aimé, non plus, lorsque nous avions décidé de
continuer à taper du poing sur la table, un peu plus fort en perturbant les
épreuves et les corrections du diplôme national du brevet, que la presse ne
parle que de la grève des taxis. Sans doute aurions-nous dû aller devant
Acadomia, renverser des poussettes.
C’est à ce moment-là que nous nous sommes dit qu’il fallait peut-être
changer d’approche, ne serait-ce que parce que nous ne pouvons pas multiplier
les grèves indéfiniment. Le professeur aussi à besoin de manger, bien qu’une
collègue se soit carrément mise en grève de la faim en signe de protestation :
l’institution n’a pas bronché, comme elle n’a pas daigné broncher suite au
recours déposé devant le Conseil d’État.
Dans cette optique, quelques collègues de lettres classiques, mais pas
seulement, ontréalisé un calendrier afin d’attirer l’attention de la
presse. L’opération a été un succès puisqu’elle aura permis quelques passages
media et qu’au lieu des quarante exemplaires prévus, ce sont 2 600
exemplaires qui auront été écoulés. Une initiative qui n’aura pas plu au
rectorat qui aura tôt fait de convoquer certains collègues pour rappeler
qu’en tant que gentils fonctionnaires, il faudrait sauter de joie et affirmer
haut et fort que la réforme c’est le bien parce que c’est comme ça.
Plus médiatisé, mais finalement, pas tant que cela au regard du scandale
absolu dont il s’agit, on remarquera le cas de Romain Vignest, président de l’Association des
professeurs de lettres, assez représentatif de l’autoritarisme
caractéristique de ceux qui savent qu’ils tressent plus des colliers de
nouilles qu’ils ne disent la vérité. Suite à un pamphlet, certes pas très
sympathique à l’égard d’une réforme qui n’a que ce qu’elle mérite, ce
professeur se fera très vite remonter les bretelles par son supérieur
hiérarchique, le directeur académique des services de l’Éducation nationale
en charge des professeurs au rectorat de Paris, qui ira jusqu’à remettre en
cause la qualité de ses cours au motif de « violence » envers la réforme.
Il semble tout de même qu’une telle crispation est éminemment suspecte de
la part de personnes vertueuses, soucieuses de la formation intellectuelle
des citoyens, lesquelles proposent une réforme véritablement innovante – les
Itinéraires de découverte ou l’Accompagnement personnalisé n’ayant, en
réalité, jamais existé et n’ayant pas encore fait preuve de toute l’étendue,
si ce n’est de leur nuisance, de leur vacuité – et qui ne rencontrent de
résistance que chez ceux qui n’ont pas compris les textes.
Ou alors, s’ils sont effrayés à la vue de 2600 exemplaires d’un calendrier
plutôt potache ou par le pamphlet d’un professeur, c’est parce qu’ils savent
très bien que leur réforme va conduire encore plus d’élèves dans un mur et
souhaitent à tout prix ne pas réveiller les parents d’élèves, pour certains
déjà bien réveillés par une réforme des rythmes scolaires catastrophique à
tous les niveaux, à laquelle s’ajoutera le nouveau calendrierdécidé en concertation avec
absolument tous les acteurs de l’éducation, c’est-à-dire essentiellement les
ministres et les professionnels du tourisme. Dans l’indifférence la plus
totale, certains enfants vont avoir des périodes de cours allant jusqu’à onze
semaines, soit presque le double du rituel « six semaines de cours et deux de
vacances » : c’est long, surtout pour les plus petits, surtout en fin
d’année.
On comprend, dès lors, que Madame le ministre, accompagnée du Président, est allée très mollement faire son discours de rentrée
dans l’école maternelle et élémentaire de Pouilly-sur-Serre, prestigieux lieu
de l’éducation comptant cinq cents âmes, ce qui minimise grandement les
risques de se faire accueillir sous les sifflets, voire une volée de tomates
un peu mûres. La colère est grande et bien que le gouvernement tente de
sauver les apparences en racontant à qui veut l’entendre que tout ceci n’est
qu’un malentendu, que les contestataires ne sont qu’une minorité zélitiste,
derrière, toute l’institution se crispe et grince.
Par exemple, lorsque le ministre se rend dans un collège de Douai, elle demande carrément
que l’on retire toutes les affiches mentionnant l’enseignement du latin,
probablement pour éviter certaines questions qui pourraient déranger.
Alors bon, dans ce contexte, nous avons refait grève, dans un esprit de
détermination ; et c’est joyeusement qu’elle nous a sorti, le soir même, le
baratin de la dictée, du calcul mental, du retour aux fondamentaux, histoire
d’implanter dans l’inconscient collectif l’idée qu’avec la réforme, c’en est
fini du laisser-aller et qu’on va enfin se mettre au boulot, alors qu’en
réalité, l’idée des EPI c’est juste l’exact opposé : on ne peut pas mettre
l’interdisciplinarité avant le savoir disciplinaire, c’est juste du bon sens.
Nous n’étions pas contents du tout mais je salue l’opération de
communication.
D’une, ce genre de propos, ce n’est pas son travail, ni sa responsabilité,
rien. Mes pratiques et celles de mes collègues sont nos pratiques, cela nous
regarde et à la rigueur, c’est quand même moi qui suis le mieux placé pour
juger des élèves et de ce qui leur convient. Ce n’est pas du haut de ses
études à sciences po’ qu’elle va m’apprendre à faire un cours de philosophie.
Mais surtout, ça se fait déjà, les dictées et le calcul mental, même si trop
souvent les inspecteurs réprimandent les collègues parce que c’est méchant.
Enfin, et point non négligeable, la dictée est un outil de contrôle des
apprentissages, tant qu’on ne reviendra pas à la méthode syllabique, rien ne
changera.
Ces affirmations ne sont donc ni de son ressort, ni utiles, et elles sont
même franchement inutiles. Bravo. Joli coup, mais coup-bas.
D’autant qu’elle ne précise pas de quel type de dictées il s’agit : dictée
d’un texte d’un grand auteur ? Dictée littérature jeunesse ?
Auto-dictée ? La réponse sera donnée par le
président du CSP : la dictée, ce sera une consigne d’art plastique.
Car oui, le français n’est pas une vraie matière, c’est transversal. La
preuve : on l’utilise même en mathématiques et c’est d’ailleurs pour cette
raison que ce n’est pas si grave de perdre des heures pour en faire des EPI.
Bref, la mascarade et la poudre aux yeux, c’est mignon mais cela ne leurre
qu’un temps. Alors, le 10 octobre, j’irai perdre, non mon salaire, mais mon
temps et mon énergie, à battre le pavé pour demander l’abrogation d’un texte
nuisible qui en devient odieux à force de pressions internes et
d’humiliations publiques.
Reformatio
delenda est.
Billet aussi repris sur
l’excellent site du camarade H16!!!