Résumé :
Les analystes et décideurs politiques devraient faire preuve
d’humilité en analysant le rapport entre dette publique et
croissance.
L'eau bout à 100 degrés Celsius. Tout
le monde apprend cela dès le plus jeune âge, à
l’école ou à la maison.
C’est pourtant inexact.
L'eau bout à des températures
différentes en fonction de la pression atmosphérique : son
point d'ébullition baisse à une altitude supérieure et
vice versa. Donnez-moi votre altitude et je vous dirai à quel
degré votre eau bout.
Tout le monde
fait des erreurs
Fréquemment citée par ceux qui
dénoncent le poids de la dette publique en Europe et aux États-Unis,
une étude datée de 2010 concluant que la croissance
économique baisse quand la dette publique dépasse 90 % du PIB
est actuellement fortement critiquée. Ses auteurs, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, ont
été les cibles de soudaines invectives.
Trois chercheurs de l'Université du
Massachusetts ont publié une étude qualifiant le travail de Reinhart et Rogoff de
« mauvais » et rendu caduc par « l’exclusion
sélective des données disponibles et la pondération non
conventionnelle de statistiques établissant à tort un lien de
causalité entre la dette publique et la croissance du
PIB ». En plus de cela, les auteurs ont fait une erreur assez
embarrassante dans l’utilisation du tableur Excel.
Tout le monde fait des erreurs. Trouver et corriger
ses erreurs fait partie du processus de recherche. Bien sûr, faire des erreurs
est embarrassant mais ce n’est pas déshonorant. Se tromper est
nécessaire pour progresser.
Reinhart et Rogoff répondent à certaines de ces charges
en maintenant que leur recherche continue de montrer des épisodes
historiques ou une dette publique plus élevée est
associée a un « très
grand » impact cumulatif sur la croissance économique.
Mais est-ce une relation causale, et si oui dans
quel sens ? La relation entre la dette publique et la croissance économique
varie-t-elle en fonction d'autres variables économiques telle que la
capacité d'un État à emprunter dans sa propre monnaie ? Qu’arrive-t-il
quand la dette publique sert à financer des niveaux plus
élevés de dépense publique ?
La recherche
comme élément de langage politique
Ces questions méritent d’être
posées. Le souci, c’est que les hommes d’État et
les personnes impliquées dans le débat d’idées cherchent
à utiliser la recherche universitaire afin d’illustrer, de
justifier leur cause.
Le fait que l’équipe politique A cite une étude pour justifier une politique
publique -X et que cette étude comprend une erreur ne signifie pas que
l’équipe politique A ait tort et que l’équipe
politique B ait raison de se faire le chantre de la politique +X. Votre
opinion n’est pas forcément valide s’il est prouvé
que l’équipe adverse a avancé un argument faux. Le croire
serait faire preuve d’un manque de nuance, voire même
d’humilité.
C’est pourtant ce manque d’humilité
qui est illustré quand Robert Pollin et
Michael Ash, deux des économistes ayant
relevé l’erreur de Reinhart et Rogoff, font cette affirmation catégorique et sans
fondement dans un article publié dans le Financial Times : « le déficit budgétaire du
gouvernement reste l'outil le plus efficace pour lutter contre le chômage
de masse provoquée par les graves récessions ».
Vraiment ?
Il existe pourtant un très grand nombre
d’études contradictoires sur l'impact et l'efficacité des
mesures de relance budgétaire.
Prudence et
humilité devant la complexité
Je souhaite à chacun beaucoup de courage pour
tenter de déterminer l’impact pluriannuel d'un plan de relance
sur une économie alors que dans le même temps la banque centrale
est engagé dans une politique monétaire expérimentale,
que l’État met en œuvre des révisons
règlementaires dans des secteurs très importants comme la
finance, les retraites ou la santé et que le changement technologique
transforme les secteurs de l’énergie et des communications.
L'économie n'est pas une science – du moins
pas comme la chimie ou la physique. Il est difficile de réaliser des
expériences économiques contrôlées. Le
comportement des gens est beaucoup plus difficile à analyser et
prédire que celui des molécules d'eau. Les efforts pour
appliquer des méthodes scientifiques à l’économie peuvent
donner des résultats décevants.
Par conséquent, le fait que la relation entre
deux variables économiques importantes comme la dette publique et la
croissance économique puisse apparaitre comme inextricable ne devrait
surprendre personne.
Pour les décideurs, la réponse
appropriée à cette réalité n’est ni la paralysie
politique, ni les appels instinctifs à stimuler ceci ou cela, mais la
prudence et l'humilité. C'est la grande leçon à tirer de
l'imbroglio Reinhart-Rogoff.
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