À
la grande fébrilité des marchés correspond celle des
responsables européens, du moins ceux qui ne sont pas en vacances.
Avec à la clé des réunions, quelques rencontres et coups
de téléphones et beaucoup de déclarations à la
presse, pour mettre finalement en évidence qu’ils n’ont
rien dans les mains.
Ils
ne disposent comme réponse à la montée impétueuse
des taux obligataires, des spreads, ou bien
à la chute des bourses, que de l’exhortation à appliquer
au plus vite les décisions du dernier sommet, pourtant
déjà dépassées par l’ampleur de ce que
représenterait l’entrée de l’Espagne et de
l’Italie dans la zone des tempêtes.
Qu’on
en juge… Silvio Berlusconi déclarait hier devant les
députés, tout en en restant là dans l’immédiat :
« La situation nous impose de donner une réponse encore
plus forte, immédiate et visible sur le plan de croissance qui rendra
crédible [l’assainissement des finances publiques]« . José Luis Rodriguez Zapatero
appelait Herman Van Rompuy à appliquer
« au plus tôt » le plan destiné à
la Grèce et José Manuel Barroso à
« accélérer au maximum [son]
application », afin de donner aux marchés un signal de
confiance. Dans un courrier adressé aux chefs d’État,
ce dernier leur écrit d’ailleurs : « Je saisis l’occasion
(sic) pour inviter à une rapide réévaluation des
éléments relatifs au Fonds européen de stabilité
financière (FESF) et au mécanisme appelé à lui
succéder, afin de s’assurer qu’ils sont proprement
équipés pour gérer des risques de
contagion ».
Plus
alarmiste, le président de la Commission européenne a
également reconnu dans ce courrier que « nous ne sommes
plus dans la gestion d’une crise limitée uniquement à la
périphérie de la zone euro », et que
« les décisions audacieuses prises lors du sommet de la
zone euro le 21 juillet n’ont pas eu les effets escomptés sur
les marchés ».
Le
FESF étant en effet encore loin d’être opérationnel
et de disposer des engagements suffisants des États membres, tous les
regards se sont tournés vers la BCE, qui tenait opportunément
une réunion de son Conseil des gouverneurs ce jour même. Dans
l’espoir qu’elle fasse la soudure le temps nécessaire,
d’ici au moins fin septembre, et relance son programme d’achats
de titres obligataires suspendus il y a 18 semaines afin d’obliger les
États a prendre sa
succession.
Une
courte et légère accalmie intervenait aujourd’hui, avant
que les bourses repartent à la baisse en raison des résultats
de deux émissions obligataires espagnoles. Montrant l’ampleur
des dégâts, elles concédaient 4,813 % à trois ans
et 4,984 % à quatre ans, ne parvenant à lever que deux fois le
montant demandé, contrairement à trois à quatre fois
d’habitude.
Selon
la presse espagnole, le Trésor avait pris ses petites
précautions en obtenant préalablement
d’établissements financiers espagnols qu’ils couvrent
à hauteur des 2/3 des objectifs des émissions. On retombe dans
le schéma dangereux et d’une grande fragilité qui
amène les banques d’un pays à majoritairement le
financer, comme c’est le cas en Italie.
Le
financement des banques espagnoles elles-mêmes devient très
problématique avec la montée en flèche des taux. Avant
leur baisse ce jour même, les spreads
(la prime de risque représentant l’écart entre les taux
à 10 ans allemand et espagnol) ont grimpé à un niveau
proche d’être insoutenable. Ce qui conduit LCH Clearnet, la chambre de compensation qui garantit les
emprunts à court terme des banques, à réclamer 15 % de
marge supplémentaire pour les autoriser, avec comme collatéral
des obligations d’État. Ce qui ne pourrait, par ricochet,
qu’accroître leur dépendance aux liquidités
dispensées par la BCE, dont elles avaient commencé à se
défaire, seules source possible de financement.
La
banque centrale n’est donc pas au bout de ses peines, en dépit
de ses intentions initiales de désengagement, surtout si la même
situation était enregistrée pour les banques italiennes.
À destination des banques, elle va lancer une opération
d’allocation illimitée de crédit, à taux fixe et
à six mois, tout en prolongeant l’allocation à trois mois
jusqu’au début de l’année prochaine. En direction
des États, Jean-Claude Trichet à joué aujourd’hui les sibyllins :
« Vous verrez ce que nous allons faire ! »
s’est-il contenté de déclarer, précisant
qu’il n’avait « jamais dit que le programme de rachats
d’obligations était interrompu », pour finir par
convenir : « Je ne serais pas surpris si quelque chose se passait avant
la fin de cette conférence de presse ». Cela a
été vite confirmé.
Les
signaux se succèdent, qui montrent l’imminence d’une crise
possible. Les dépôts de liquidité des banques à la
BCE ont doublé et atteint leur plus haut depuis cinq mois, en
dépit du fait qu’ils y sont rémunérés
en-dessous du prix du marché, une solution considérée
préférable à celle consistant à les prêter
sur le marché interbancaire. Acquérir des dollars est devenu
plus cher pour les banques, en raison de la nécessité de se les
procurer sur le marché faute de pouvoir faire aussi aisément
qu’à l’habitude appel aux Money market
funds.
Le
sujet récurrent des banques n’est pas propre aux pays au bord de
la zone des tempêtes. Le BaFin,
l’organisme de régulation allemand, vient de reconnaître
qu’en dépit des résultats des stress tests –
totalement oubliés dans la bataille – « le
marché bancaire allemand reste vulnérable ». « Il
est possible que la prochaine crise apparaisse dans un secteur que nous
n’avons pas examiné de très près »,
admet Raimund Rösseler
dans les colonnes du Handelsblatt, sous-entendant celui des obligations
d’État. Les résultats de Deutsche Bank, phare des mégabanques, avaient il y a quelques jours par
ailleurs marqué le coup, exprimant une tendance
générale.
Même
les banques françaises, qui se sont forgé une réputation
usurpée d’invulnérabilité, sont
touchées. Baudouin Prot, directeur
général de BNP Paribas, tout en annonçant des
résultats encore confortables en dépit des pertes
provisionnées sur les titres grecs, continue de batailler avec les
futures exigences de Bâle III, « fondamentalement
injustifiées ». « Nous sommes toutefois
légitimistes » a-t-il cru toutefois devoir rappeler, comme
si cela n’allait pas de soi, pour admettre que sa banque les
appliquerait malgré son désaccord. « La gestion de
nos risques est tout à fait rigoureuse », a-t-il affirmé,
mettant en garde contre les effets de cette « pénalisation
[allant] affecter le financement de l’économie ».
L’annonce
de mauvais résultats de la Société
Générale, sous la forme d’un avertissement sur
résultat, a été quant à elle lourdement
sanctionnée par le marché. Ceux qui venaient d’être
publiés à l’occasion de la fin du deuxième
trimestre avaient déjà enregistré un recul du
résultat d’un tiers.
Chacune
à sa manière, les deux principales banques françaises,
comme toutes leurs consœurs européennes, expriment une
fragilité qu’elles tentaient il y a peu encore de nier. Intesa Sanpaolo a
enregistré une diminution de 28 % de ses résultats, Unicredit de 25 % et Santander de 18 %.
Les
unes après les autres, elles empruntent le même chemin et
taillent dans leurs effectifs pour limiter la baisse de leur rentabilité.
Au Royaume-Uni, c’est Lloyds Banking Group
(LBG), qui vient de plonger dans le rouge et annoncé la suppression de
15.000 postes de travail, après en avoir déjà
supprimé 35.000 ces deux dernières années.
Nouveauté
dans ce paysage, les compagnies d’assurance entrent dans la danse alors
qu’elles se faisaient discrètes. Henri de Castries, le Pdg d’AXA, qui a pris sa modeste part du sauvetage
grec à hauteur de 92 millions d’euros net, n’a
« pas de raison » de réduire son exposition
à la dette italienne et espagnole, affectant la
sérénité. Leader mondial de la réassurance,
Munich Re, a fait entendre un autre son de cloche. Nikolaus vom Bomhard, son Pdg, a fait part
de ses inquiétudes sur la crise de la dette mondiale. Commentant les
récents événements, tant en Europe qu’aux
États-Unis, il a déclaré que « il est clair
pour tout le monde qu’on ne traite que les symptômes »
sans toutefois préciser son diagnostic.
Le
paysage est en train d’évoluer. La dette publique ne peut plus
être présentée comme source de tous les maux alors
qu’il apparaît de plus en plus ouvertement que les banques sont
atteintes elles aussi. Placées devant la nécessité de
renforcer leurs fonds propres, elles le sont aussi devant le risque de devoir
assumer des pertes qu’elles avaient jusqu’à maintenant
réussi à masquer.
De
nouvelles restructurations de dette rendraient inévitable la
recapitalisation d’un certain nombre d’acteurs financiers, et
l’on pense déjà au rôle que le FESF pourrait
être amené à jouer. Suivant davantage le mode d’un TARP
américain que d’un FMI européen, comme on a
voulu le présenter avantageusement. Mais il va falloir financer
celui-ci…
Il
va être difficile d’éviter, dans le contexte
européen, que les actionnaires ne prennent pas leur part de
l’effort, craignent les analystes qui cherchent à anticiper
sur la question. La rentabilité des banques ne sera plus en tout
état de cause ce qu’elle était, c’est
confirmé. Les banques européennes sont à leur tour entrées
dans une zone de grande turbulence.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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