|
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Les
marchés
n’auront pas attendu pour saluer à leur manière
l’émission obligataire grecque de lundi. Ce mardi matin, le taux
des obligations grecques sur 10 ans grimpaient brutalement à 6,416%,
contre 6,289% lundi soir.
Paradoxalement,
le gouvernement grec n’a pas cessé d’afficher sa
satisfaction depuis le sommet européen de la semaine dernière,
aux résultats pourtant jugés finalement très
décevants, une fois le texte de l’accord de sauvetage financier
connu et analysé. Georges Papaconstantinou,
le ministre grec des Finances, a même qualifié la nouvelle
émission de succès. Comment le comprendre ?
L’argumentation
du ministre repose sur l’idée que les taux vont se
détendre et, explique-t-il, qu’il n’y a plus que 10
milliards (ou 12 milliards, selon une autre source grecque) a trouver dans
l’immédiat sur les marchés, d’ici à
la fin mai (compte-tenu des réserves de l’Etat). Il poursuit :
« Ce serait une grave erreur de penser que l’écart de
taux chuterait juste après la décision du sommet de
l’UE ». Ne donnant par ailleurs aucune information sur les
raisons qui lui permettent de prévoir cette détente
ultérieure des taux.
Sauf,
peut-on penser, pour tout simplement gagner du temps, car le ministre fait
naturellement de la politique et en connait les ressources. Dans
l’impasse, demander aujourd’hui une intervention du seul FMI,
seule solution pour obtenir un taux notablement réduit par rapport
à celui qu’offrent les marchés, aurait deux
conséquences non souhaitables. Cela ouvrirait à nouveau au sein
de la zone euro une plaie qui vient à peine d’être
refermée, augurant d’autres difficultés pour la
Grèce, et cela enclencherait surtout une dynamique de sortie de la
zone euro, ce qui serait sans doute la pire des solutions pour le pays.
D’autant que les Allemands sont de plus en plus
soupçonnés d’avoir en tête une reconfiguration de
la zone euro, dont les grecs seraient exclus ainsi que d’autres
« petits pays ».
Des
analyses commencent à sortir qui montrent pourquoi l’Allemagne
n’a pas les moyens de laisser la crise se généraliser. En
raison des engagements de son système bancaire, déjà si
mal en point, mais aussi parce qu’elle réalise une part
très importante de ses exportations, et plus encore de ses
excédents commerciaux, au sein de celle-ci. Il est donc logique
qu’elle ait privilégié l’intervention du FMI, afin
d’éviter que la Grèce puisse faire défaut, et
réaffirmé par ailleurs sa vocation à défendre l’euro
attaqué.
Après
l’OCDE, le FMI vient d’ailleurs de revoir à la baisse ses
prévisions de croissance de l’Allemagne. Pour 2010, le PIB ne
devrait croître que de 1,2% (au lieu de 1,5% de ses prévisions
précédentes de février), et pour 2011 de 1,7% (au lieu
de 1,9%). Assortissant ses données d’un commentaire sur les
« risques notoires » encourus par le pays, en
particulier « la faiblesse persistante des banques et la
possibilité d’échanges internationaux plus faibles que
prévu ».
Si les
dissensions les plus apparentes se sont tues au sein de la coalition
gouvernementale allemande, il semble que d’importants désaccords
subsistent en son sein à propos de la conduite des affaires
économiques, budgétaires et fiscales. Car ce que l’on
appelle le modèle allemand va se révéler ne plus
être la voie royale qu’il a été et va devoir
être adapté à une nouvelle donne qui n’est pas
encore sur le tapis. D’une manière ou d’une autre, cela va
impliquer de s’appuyer davantage sur le marché intérieur
allemand.
Sans
entrer encore dans ce débat, Wolfgang Schäuble,
le ministre des finances, vient de déclarer à Die Zeit :
« Nous avons besoin de plus de coordination, d’un
gouvernement économique, même si nous n’aimons pas
beaucoup le terme ». Refusant toute analogie avec le
système fédéral allemand, en raison de son degré
d’intégration, le ministre n’en a pas moins fait
référence à une conception fédérale
nouvelle, sans la préciser. Etant, de ce point de vue,
d’équerre avec sa proposition de Fonds monétaire
européen.
Un rien,
toutefois, suffira à déjouer les meilleurs calculs. Il
s’appelle au choix Portugal, Italie, Irlande ou surtout Espagne. Car
pas plus qu’il n’en existe encore pour les mégabanques,
les pays de la zone euro n’ont pas établi de testament vif
(living will) au cas où il leur arriverait
malheur. Nul ne sait comment gérer en catastrophe la sortie d’un
pays de la zone euro sans risquer d’en subir de sérieuses
conséquences, notamment en raison des engagements financiers pris du
temps de l’insouciance par les mégabanques
européennes.
L’Allemagne,
la France et le Royaume-Uni sont comme Trois Grâces qui ne se
tiendraient plus la main et se tourneraient même le dos si elles en
avaient les moyens. Dans ces conditions, si elles devaient en venir à
finalement s’engager dans la mise sur pied d’une sorte de gouvernement
économique, quelle orientation commune appliqueraient-elles ? Le
respect du Pacte de stabilité, pour les deux premières
d’entre elles qui l’ont signé, n’est pas en soi une
politique. La défense de l’industrie financière
qui en tient lieu pour la troisième non plus.
Sur ces
entrefaites, on a appris que l’agence Fitch
vient de maintenir la note AAA pour la dette souveraine française,
assortis de sombres considérations sur de possibles
« dérives budgétaires ». Quant à
lui, le chancelier Alistair Darling promet au Royaume-Uni du sang et des
larmes pour 2011, afin de préserver la notation équivalente du
pays. Il faut espérer que les agences de notation vont bientôt
accéder, de plein droit, au G20 où des sièges leur
seront attribués.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
|
|