Est-ce une si bonne chose que
les Etats-Unis aient été perçus, au cours des décennies qui ont suivi la
Guerre froide, comme la puissance économique suprême ? Regardez ce que
nous avons fait de ce privilège : commis plus de maladresses qu’un
ivrogne à la panse trop pleine, occupé une nation étrangère après l’autre,
cassé beaucoup de choses, et tué beaucoup de gens – sous le prétexte fabriqué
de guerre contre le terrorisme.
En quoi la voie choisie par
l’Ukraine nous regarde-t-elle ? Elle a été dans l’orbite de la Russie
pendant des centaines d’années, sous une administration comme sous une autre.
Sommes-nous désormais déçus que Kiev refuse de répondre aux eurocrates
troublés de Bruxelles ? N’était-il pas irréaliste de penser qu’elle
puisse choisir de le faire ? La meilleure solution qui s’offre à
l’Europe de l’est est un retour de l’Ukraine à son rôle de paillasson
silencieux de la Russie, traversé par les pipelines de gaz et de pétrole dont
a tant besoin l’Occident. L’idée que les Etats-Unis puissent fournir du
pétrole à l’Europe n’est qu’une fantaisie grotesque. Ceux qui se demandent si
l’Ukraine pourrait envoyer ses troupes confronter les forces armées russes
qui auraient été déployées sur ses frontières devraient réfléchir à la
manière dont ces soldats ukrainiens pourront être payés.
Je suis persuadé que la Russie
ne peut pas se permettre d’annexer l’intégralité de l’Ukraine. Elle a déjà
peine à entretenir ses rues pavées. Il ne fait aucun doute qu’elle ne puisse
pas non plus se permettre d’abandonner les ports et bases navales qu’elle
loue à la Crimée, malgré les discours anti-russes
du gouvernement de Kiev depuis la révolution. L’annexion de la Crimée ne
change rien à la disposition des forces militaires russes dans la région.
Elles étaient déjà là avant. Compte tenu la taille de la force navale de la
Russie par rapport à celle des nations alentours, la mer Noire ressemble
depuis longtemps à la baignoire de la Russie. Le fanfaron du Département
d’Etat n’a-t-il découvert cela qu’il y a deux semaines ?
L’idée qu’il puisse exister
des endroits où les Etats-Unis ne peuvent exercer leur influence semble aussi
choquer le Deep State américain – nom que l’on
donne à la matrice bureaucrate toxique qui prétend pouvoir tout contrôler et
ne parvient qu’à se mettre en position embarrassante dans un monde qui se
sépare de plus en plus de toute forme de centralisation. Partout, les nations
se divisent, et pour le moment, il n’existe aucun débat public cohérent quant
aux possibles ramifications. Venise a voté sa sécession – c’est-à-dire
qu’elle ne désire plus envoyer de recettes fiscales à Rome. Voilà qui devrait
s’avérer intéressant. Qu’en sera-t-il du vote pour l’indépendance de l’Ecosse
qui se tiendra en septembre ? A en juger par les journaux anglais,
personne ne s’en inquiète. Et puis viennent les Etats qui ont échoué,
l’Egypte, la Syrie, le Yémen, et près de la moitié des nations
sub-sahariennes, qui n’ont pas d’économie ou de système politique viable et
dont les populations souffrent de la pauvreté. Ce sont là des régions qui
soit ne se développeront pas soit ne se redévelopperont pas. Dans cent ans,
plus personne ne s’y rendra, et elles ne seront rien de plus que des étendues
de savane et de jungle.
Les Etats-Unis feraient bien
mieux de s’occuper de ce qui les regarde. Détroit est en banqueroute.
Pourquoi envoyer des millions de dollars à Kiev ? Les infrastructures
urbaines américaines – réseaux d’eau, d’eaux usées, de gaz et d’électricité –
tombent en ruine. Nous n’avons aucune idée de la manière dont nous pourront
gérer nos activités économiques d’ici dix ans, une fois que se seront
évaporés les mythes du pétrole et du gaz de Schiste, que nous n’aurons plus
d’industrie aérienne, que les Américains n’auront plus les moyens d’avoir de
voitures, Qu’il n’y aura plus assez de diesel pour faire tourner les grosses
fermes de l’Iowa, ni assez de fertilisants à base de pétrole ou de gaz à
déverser dans les champs ou encore assez d’électricité pour que puissent
fonctionner les arroseurs là où la prairie rencontre le désert. Dans de
telles conditions, comment les Américains pourront-ils manger, boire, se
rendre d’un point A à un point B, ou encore mettre un toit au-dessus de leurs
têtes ?
Personne ne parle de ces
choses-là, et le paysage politique des Etats-Unis n’est qu’un désert de
mirages et de monstres de poussière. C’est là la vraie faiblesse des
Etats-Unis d’aujourd’hui. Nous sommes incapables de voir ce qui ne va pas
chez nous. Pourquoi nous soucier des autres ?