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« Au-delà de la
manifestation du talent éclatant de ses auteurs et de ses
interprètes, le succès de The Artist
témoigne de la vitalité exceptionnelle de notre cinéma
et de la réussite de la politique conduite par les pouvoirs publics
(…) » Nicolas
Sarkozy, UMP
«Cette victoire à
Hollywood est la preuve de la vitalité créative du
cinéma français (…) Les politiques publiques, via le
Conseil national du Cinéma (CNC), et le soutien des chaines de
télévision sont nécessaires à cette
création exceptionnelle » Pierre
Laurent, PCF
Cherchez
l’erreur. Dès l’annonce du triomphe de « The Artist » aux Oscars, les communiqués
des hommes politiques ont poussé comme des champignons. Que ce soit
Nicolas Sarkozy, François Fillon, François Hollande ou Pierre
Laurent, ils ont tous trompété le même air : le
succès international du film serait un hommage à
l’exception culturelle française. Seul problème :
l’exception culturelle française n’est strictement pour
rien dans l’aventure de « The Artist ».
Le
Ministère de la Culture eût-il été englouti par un
tsunami que ce film aurait quand même vu le jour. Le plus clair des
financements provient de maisons de production indépendantes. Il y a,
certes, France 3. Mais rappelons que les télévisions
françaises ont l’obligation, imposée par l’État,
de soutenir financièrement l’industrie cinématographique.
Et en l’absence de cette loi, rien ne dit qu’elles
n’auraient pas spontanément coproduit une comédie
proposée par un réalisateur à succès (Michel Hazanavicius) avec une immense star en tête
d’affiche (Jean Dujardin). Même muette et en noir et blanc.
Les
défenseurs de la « filière culturelle »
n’ont visiblement pas pris la peine de se renseigner : la
distribution du film dans les salles du territoire français est
assurée par… la firme américaine Warner Bros. Notre Centre National du Cinéma, quant
à lui, avait refusé toute avance sur recettes à « The
Artist », qui en avait fait la demande. Le
producteur Thomas Langmann, un brin rancunier
peut-être, ne s’est d’ailleurs pas privé de le faire
savoir aux journalistes. Le CNC, piqué au vif, s’est
foulé d’un petit démenti officiel, brandissant plus de deux
millions d’aides, mais sans préciser en quoi elles auraient
consisté… Quant à l’exception française,
elle n’est pas si exceptionnelle que cela puisque la très
progressiste Californie, où fut tourné le film, possède
aussi un système de soutien aux œuvres dont la production
espérait bénéficier. Or là aussi, « The
Artist » a été
boudé par les financeurs publics. Mais le comble de l’absurde
consiste à se féliciter de la planification culturelle au
lendemain d’un triomphe made in the
USA qui doit tout… à une colossale campagne de communication,
orchestrée par un des nababs d’Hollywood, Harvey Weinstein. Si la cérémonie des Oscars se
tenait dans un pays où la culture est planifiée, les Oscars
s’appelleraient… les Césars, il y aurait tout un tas de « comédies
dramatiques » avec des migrants malades surendettés, et le
monde entier s’en ficherait comme d’une guigne. Dans ces
conditions, si le triomphe de « The Artist »
est un hommage au modèle culturel français, peut-on en
déduire que l’Oscar attribué à « Une
Séparation » constitue un hommage au modèle culturel
iranien ?
Pour financer
« le cinéma » français misérabiliste,
revendicatif et assommant, il y a certes l’exception culturelle
française. Mais pour financer les films, il y a les capitalistes. Dont
Thomas Langmann. Un producteur unique en son genre
et par sa surface financière mais qui en l’occurrence a pris un
risque important. Après tout il lui était arrivé de se
tromper et de perdre de l’argent. Son propre argent, à l’instar
de ce qui arrive au héros du film, George Valentin. Nos hommes
politiques semblent avoir des idées bien arrêtées sur le
monde du cinéma. Mais il se trouve que « The Artist » nous parle justement du monde du cinéma
et, chose étrange, dans cet univers dépeint avec amour par Michel
Hazanavicius, il n’y a ni CNC, ni exception
culturelle, ni ministère de la culture, ni subventions à gogo.
Son seul critère est la loi du marché qui récompense le
talent. Heureusement pour le héros, même s’il a l’accent
frenchie et qu’il approche la cinquantaine,
il en a à revendre. À cinquante ans, on n’est pas foutu…
Comment se peut-il qu’un président de droite, dont c’est
pourtant le leitmotiv, n’ait pas relevé le message foncièrement
libéral et aimablement conservateur du film ? Entre la
liberté et la responsabilité individuelle des deux
protagonistes, l’optimisme et la bonne volonté de Peppy Miller, le courage et la loyauté sans faille
du vieux majordome... il y avait fort à dire. En lieu et place, nous
avons donc eu droit à un couplet sur les subventions au cinéma…
Ça fait rêver.
Accompagné
d’un producteur audacieux et d’un comédien inimitable, Michel
Hazanavicius a eu le génie d’utiliser
les dernières technologies (seul l’équipement
numérique des salles, aujourd’hui généralisé,
permet de projeter le film au vieux format 3/4) pour faire redécouvrir,
l’espace d’un film, le charme du mime, la magie du muet, secrets
de l’universalité de Charlot. Heureusement pour Michel Hazanavicius, après un tel triomphe, il n’aura
plus à se poser ces questions byzantines sur le modèle culturel
français. Comme il le confie à l’AFP : «L’énorme chance pour un
réalisateur, c’est de devenir international
(…) Vous devenez moins
dépendant des modes de financement traditionnels, comme les
télévisions, donc vous gagnez en liberté. Et c’est
ce qu’on recherche tous».
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