En
annonçant chercher une « trêve », et en
dépit de toutes les dénégations, les ministres des finances
du G7 puis du G20, qui sont réunis avec les banquiers centraux en
Corée du Sud, ont entériné que la guerre des monnaies
est bien déclarée. Guerre ou guérilla, elle va se
poursuivre, une fois le flot de paroles apaisantes prononcées et de
bonnes intentions déclarées.
La
politique de la chaise vide adoptée par les Brésiliens, qui ont
sonné l’alarme initiale, exprime on ne peut plus clairement ce
qu’ils attendent de ces réunions. Autre symbole, les
Coréens du Sud, hôtes du G20, étudieraient la mise en
place de mesures de contrôle de l’entrée de capitaux afin
de se protéger, le Brésil et l’Indonésie les ayant
devancés dans une perspective similaire.
Un
projet de communiqué final du G20 proclamerait l’engagement de
« s’abstenir de toute dévaluation compétitive »,
une déclaration de non belligérance destinée à
calmer le jeu et les pays émergents. Réaffirmant que le
G20 « va se diriger vers un système de taux de changes
davantage déterminés par le marché », et que
l’objectif est de « minimiser les effets adverses
d’une volatilité excessive et de mouvements
désordonnés » de ceux-ci.
Dans
une lettre adresse au G20 Finances, Tim Geithner a
appelé le FMI à surveiller les engagements monétaires
pris par les pays du G20 et demandé des rapports trimestriels.
« Les pays du G20 doivent s’abstenir d’appliquer des
politiques de taux de change destinées à leur conférer
un avantage compétitif », écrit le secrétaire
d’Etat. A contrario, les pays ayant des déficits commerciaux
doivent augmenter leur épargne en adoptant « des objectifs
budgétaires de moyen-terme crédibles » et en
renforçant leurs exportations.
S’en
tenir à un simple rappel des principes, sous forme d’injonction,
c’est reconnaître qu’il n’y a pas de solution en vue.
Dans
une interview au Wall Street Journal destinée à
améliorer le climat, Tim Geithner
s’efforçait la veille de préciser les intentions
américaines, déterminantes pour la suite. Il évoquait
une durée de 3 à 5 ans comme nécessaire pour que chacun
parvienne à mesurer « ce qui est dans son propre intérêt ».
Regrettant que la situation ne soit pas mûre pour que soient
signés de nouveaux accords du Plaza.
Appelant à ce que soient déterminées des directives
communes à propos des taux de change des monnaies – un
« ensemble de normes », dit-il plus loin – ce qui
sonne étrangement quand on est censé s’en remettre au
seul arbitrage du marché.
L’idée
explorée par les Américains serait non pas d’intervenir
sur les taux de change mais sur les déficits des comptes courants, les
Chinois réduisant leur excédent commercial en demandant
à des organismes et entreprises publiques de développer leurs
acquisitions à l’étranger. Ce que la Bank of China (qui
n’est pas la banque centrale) vient précisément de
proposer dans une étude. Un changement de politique que les banques
chinoises pourraient suivre, en prenant la précaution de ne pas
heurter les intérêts occidentaux et en dirigeant leurs
investissements prioritairement vers les pays émergents. Les
Américains espèrent que cette nouvelle base serait favorable
à une réévaluation du yuan.
Prudent,
Tim Geithner prend bien garde de préciser
que les Etats-Unis ne soulèvent aucune objection à
l’égard des pays qui se protègent des afflux de capitaux
en levant des taxes à l’entrée, afin de ne pas se mettre
tous les pays émergents à dos. Il laisse entendre
qu’une dépréciation
« délibérée » du dollar
n’est pas à l’ordre du jour, voulant sans doute dire que
la prochaine relance de la planche à billets par la Fed n’est
pas effectuée dans ce but. Cela peut laisser penser, comme vient de le
suggérer James Bullard, un dirigeant de la
Fed, que celle-ci pourrait procéder par paliers et tranches
successives, afin de ne pas inonder le marché de dollars et
brutalement le dévaluer.
A
la suite des Brésiliens, le premier ministre indien Manmohan Singh a publiquement exprimé sa
préoccupation vis-à-vis des dérèglements du
marché des changes. La Banque Mondiale s’est de son
côté inquiétée du fait que « des afflux
massifs de capitaux ont provoqué une forte montée des
devises » en Asie, renchérissant la valeur des monnaies de
la région de 10 à 15% par rapport à leur niveau
d’avant la crise, et créant des risques de bulles
financières.
Pascal
Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC), a très diplomatiquement estimé que
« le chemin laborieux vers la stabilité et la reprise
tirée par le commerce pourraient être sérieusement
menacés par des comportements monétaires
non-coopératifs ». Quel jargon ! Enfin, donnant la mesure
de l’alarmant afflux croissant de capitaux en Asie, la banque centrale
de Taïwan a enregistré l’arrivée de 12 milliards de
dollars américains dans le pays, venus anticiper une hausse du dollar
taïwanais et prendre ensuite leur bénéfice.
Le
G20 tentera autant que faire se peut de sauver les apparences, mais rien ne
va avancer. Un compromis de dernière minute à propos
d’une redistribution des sièges au conseil
d’administration du FMI, fort symbolique, permettra dans le meilleur
des cas de faire illusion. Pourtant, à l’occasion d’une
allocution prononcée au Royaume-Uni, Mervyn King, le gouverneur de la
Bank of England, a prévenu qu’il
pourrait résulter de la situation actuelle « un
effondrement catastrophique de l’activité mondiale, comme dans
les années 30″.
Chrisitian Noyer, gouverneur de la Banque de
France, s’est voulu positif dans une interview accordée aux
Echos : « La seule solution, c’est le dialogue : il faut
rechercher ensemble les mesures concertées pour renouer avec une
croissance mondiale plus équilibrée, en favorisant la demande
interne de certains pays et en la freinant dans d’autres ».
Nul doute que munis de ce précieux viatique les membres du G20 vont faire des étincelles une fois retournés
chez eux !
Négocier
en douceur et en prenant son temps une réforme progressive du
système monétaire international est un programme de travail
ambitieux que peuvent se donner les dirigeants réunis dans le G20.
Obtenir que les investisseurs qui échangent tous les jours 4.000
milliards de dollars sur le marché monétaire viennent à
résipiscence est une autre paire de manches.
L’autre
grand dossier de Séoul va être celui de la régulation
financière, donnant plus matière à de bienvenus effets
d’annonce. Les décisions déjà prises par le
Comité de Bâle vont permettre de donner l’impression que
la régulation progresse alors qu’elle piétine. Car des
détails décisifs manquent toujours à l’appel,
notamment à propos de l’éligibilité de certains
actifs aux fonds propres des établissements bancaires. Et, surtout,
parce que l’étape finale, la fabrication de la bonde qui doit
permettre de fermer hermétiquement le tonneau, n’est toujours
pas au point. Le Conseil de stabilité financière (FSB), qui a
mandat du G20 pour faire des propositions anti-systémiques, a
annoncé avoir besoin de six mois de plus, afin de se donner du champ.
Certains
sont franchement pessimistes à ce sujet. C’est le cas de Vitor Constâncio,
vice-président de la BCE, qui considère que définir un
mécanisme permettant d’éviter la faillite des banques
d’importance systémique pourrait s’avérer mission
impossible. Charles Goodhart, ancien membre du
comité de politique monétaire de la Bank of England,
a remarqué que « nous ne savons pas comment
reconnaître qu’un établissement est systémique, pas
plus que nous ne savons mesurer l’instabilité financière
d’un établissement donné ou résultant de ses
interconnexions avec d’autres ». Avant de conclure ainsi :
« Tout ce dont nous disposons, pour mesurer la stabilité
financière, c’est de constater que nous sommes en temps de
guerre ou de paix ».
Accroître
la surveillance des banques systémiques, comme le promet le FSB,
c’est donc vite promis, puisqu’il faudrait préalablement
clairement identifier ce que l’on surveille et qui l’on observe.
Sans
sourciller, le FSB étudie néanmoins trois options, dont aucune
n’est dans la pratique satisfaisante, sans parvenir à
générer l’indispensable consensus d’un monde
bancaire aux intérêts contradictoires. Augmenter les fonds
propres « durs » pour les établissements
systémiques (après avoir défini ce qui les distingue des
autres), accepter des obligations contingentes convertibles (Cocos) pour
garnir le coussin supplémentaire dont elles devront être
pourvues, ou bien fignoler une procédure de
« bail-in » (par opposition à « bailout »), afin de faire assumer par les
dirigeants, actionnaires et créanciers le coût du sauvetage
d’une banque, sans faire appel aux fonds publics.
Non
seulement chacune de ces méthodes suscite de nombreuses objections, ou
des interrogations sur la réponse que les marchés
apporteraient à leur adoption, mais il est craint que trop
réglementer et charger la barque pourrait inciter les banques à
diriger vers des filiales réfugiées dans la shadow
economy leurs activités sensibles,
rendant caduque toute régulation…
Les
besoins en capitaux qui résultent de la réglementation risqueraient
par ailleurs d’avoir deux effets indésirables : une
augmentation des taux sur le marché, aboutissant à baisser le
rendement des banques ; l’assèchement du marché par les mégabanques au détriment des plus petites,
qui ne pourraient alors plus suivre sur un marché à la hausse
où les grandes se seraient servies en premier.
Quand
aux Cocos, c’est terre inconnue, car elles sont également
susceptibles d’être assujetties à des taux
élevés, vu le risque que les investisseurs prendront, leurs
obligations pouvant être sans crier gare converties en actions
d’une banque en péril. Enfin, les procédures de
« bail-in » mettraient ces mêmes investisseurs
dans une désagréable position, un premier
« bail-in » pouvant les inciter à participer
à un reflux général des établissements bancaires
afin de ne pas subir le suivant, et précipiter ainsi une gigantesque
crise.
Qu’il
est donc difficile de se préparer à faire payer les
actionnaires ou les investisseurs en cas de coup dur, le doux confort
procuré par les renflouements sur fonds publics écartés
! Quel langage va-t-il falloir tenir : celui de la théorie, qui
veut que les crises sont inévitables ? Ou celui leur assurant que
toutes les précautions ont été prises pour que cela
n’intervienne pas ?
Que
vaudra tout l’échafaudage de la régulation, si le
dispositif qui doit le chapeauter ne parvient pas à être
conçu et adopté ?
Décidément,
quel que soit le grand dossier ouvert – relance économique,
stabilité monétaire ou régulation financière
– rien ne fonctionne comme on souhaiterait, tout file entre les doigts.
Billet
invité : François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Paul Jorion est un
« journaliste presslib’ » qui vit
exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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