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Les couloirs du
Congrès sont pleins de représentants de l'industrie X.
L'industrie X est malade ! L'industrie X est mourante ! Il faut
sauver l'industrie X ! On ne peut la sauver que par un tarif protecteur,
une élévation des prix ou une subvention. Si on la laisse
mourir ses ouvriers seront jetés à la rue ; leurs
propriétaires, leurs bouchers, leurs boulangers, leurs tailleurs et
leurs cinémas perdront des clients et la dépression
s'étendra à un cercle toujours plus étendu. Mais si,
grâce à l'intervention immédiate du Congrès,
l'industrie X est sauvée, ah ! alors, elle va acheter du
matériel aux autres industries ; des ouvriers seront
employés en plus grand nombre et ils créeront de la
prospérité pour des bouchers, boulangers, installateurs de
publicité lumineuse au néon, et cette prospérité
se propagera à des groupes chaque jour plus étendus.
Il est bien entendu que
ceci n'est qu'un schéma généralisé du cas que
nous venons de considérer. Tout à l'heure, l'industrie X,
c'était l'agriculture. Mais il y a une infinité d'industries X.
Deux des exemples les plus remarquables en ces dernières années
ont été l'industrie du charbon et les mines d'argent. Pour
"sauver l'argent" le Congrès a fait au pays un tort considérable.
L'un des arguments avancés en faveur du plan de sauvetage était
que ce plan aiderait "l'Orient". L'un de ses résultats
réels fut de provoquer une déflation de la monnaie en Chine -
où l'argent était l'étalon monétaire - et de forcer
la Chine à l'abandonner.
Le Trésor
américain fut forcé d'acquérir à des prix
ridicules, bien supérieurs aux cours du marché, une montagne
d'argent absolument inutile qu'il entreposa dans ses caves. Les
"Sénateurs de l'Argent" auraient tout aussi bien atteint
leur but essentiel, et à moindres frais, s'ils s'étaient contentés
de faire payer ouvertement une subvention aux propriétaires des mines
argentifères ou à leurs ouvriers, mais le Congrès ni le
pays n'auraient jamais approuvé une franche transaction de cette
sorte, non accompagnée du "boniment" sur le rôle
essentiel de l'argent dans l'économie monétaire du pays.
Pour sauver l'industrie
charbonnière, le Congrès vota la loi Guffey, qui non seulement
permettait aux propriétaires de mines de houille de s'unir, mais
même les mettait en demeure de le faire, afin de s'opposer à
l'abaissement du prix du charbon en deçà d'un certain minimum
fixé par le Gouvernement.
Bien que le Congrès
eût commencé par fixer le prix du charbon, le Gouvernement se
vit bientôt contraint (eu égard à des différences
de taille des blocs extraits, de l'existence de milliers de mines, du
transport du charbon en mille lieux différents par voies
différentes : terre, mer et même rivières et canaux)
de fixer 350 000 prix différents pour le charbon [1].
Un des résultats de
cette tentative pour maintenir les prix du charbon au-dessus des cours
réglés par le marché de l'offre et de la demande fut
d'accentuer chez les consommateurs la tendance déjà existante à
substituer au charbon d'autres sources de chaleur ou d'énergie :
tel le gaz, le pétrole ou l'énergie hydroélectrique.
2
Mais il n'entre pas dans
notre propos de dénombrer les conséquences des efforts faits
pour sauver telle ou telle industrie particulière. Nous voulons
analyser quelques-unes des conséquences qui résultent
nécessairement de tout effort fait pour sauver une industrie
quelconque.
On peut soutenir qu'il est
indispensable de créer ou de sauver telle industrie donnée pour
des raisons de défense nationale ; on peut dire aussi que telle
industrie est ruinée par les impôts ou par un taux de salaires
disproportionné à celui des autres industries ; ou bien,
s'il s'agit d'une industrie de service public, qu'elle est forcée de
travailler à des tarifs, ou de supporter des charges, qui ne laissent
pas une marge de bénéfices suffisante. De tels arguments
peuvent être ou ne pas être justifiés dans tel ou tel cas
particulier. Ceci ne nous concerne point. Ce qui nous intéresse, c'est
l'examen du seul argument généralement mis en avant pour sauver
l'industrie X, à savoir que, si on la laisse péricliter ou
périr par le jeu de la libre concurrence (que les défenseurs de
cette industrie représentent toujours, en pareil cas, comme le
"laisser faire", l'anarchie, la guerre au couteau, la bataille de
chiens, la loi de la jungle, etc.), sa perte entraînera la faillite de
l'économie publique, tandis que si on la maintient en vie
artificiellement, sa survie aidera tout le monde.
Ce dont nous parlons ici
n'est autre chose qu'une généralisation de l'argument mis en
avant pour obtenir la "parité" des prix agricoles, ou
l'établissement d'un tarif protecteur en faveur d'un certain nombre
d'industries X. Nos objections contre l'inflation artificielle des prix
s'appliquent, bien entendue, non seulement aux produits agricoles, mais
à n'importe quel produit, de la même façon que les
raisons que nous avons fait valoir contre l'établissement de tarifs
protecteurs pour une industrie est valable pour toutes les autres.
Mais il se présente
toujours un très grand nombre de systèmes pour sauver
l'industrie X. En dehors de ceux que nous avons déjà
examinés, il en est deux principalement qui méritent une rapide
analyse. Le premier consiste à soutenir que l'industrie X est déjà
surpeuplée, et à essayer d'empêcher d'autres industriels
ou d'autres ouvriers d'y entrer. Le second consiste à affirmer que
l'industrie X a besoin d'être aidée par une subvention directe
du Gouvernement.
Or, si l'industrie X est
véritablement surpeuplée, il est clair qu'il n'y a nul besoin
de mesures coercitives de la part du Gouvernement pour empêcher de
nouveaux capitaux ou de nouveaux ouvriers d'y venir. Les capitaux ne
s'empressent pas d'affluer dans les industries qui, de toute évidence,
sont en train de mourir. Les capitalistes ne s'acharnent pas à vouloir
investir leur argent dans des affaires où ils courent les plus grands
risques et les plus faibles espoirs de dividende. Et les ouvriers, eux non
plus, tant qu'il leur reste la possibilité de faire autrement, ne vont
pas vers les industries où les salaires sont les plus bas et les
possibilités d'un emploi stable les plus réduites.
Si de nouveaux capitaux et
une main-d'oeuvre nouvelles se trouvent, par force, éloignés de
l'industrie X, soit par suite de l'existence de cartels, de monopoles, soit
par l'effet d'une politique syndicaliste ou par celui d'une
législation particulière, cette industrie - capital et
main-d'oeuvre - se voient privés de la liberté de disposer
d'eux-mêmes. Il s'ensuit donc une diminution de la production, qui doit
se traduire par une abaissement du niveau de vie général. Cet
abaissement du niveau de vie général résulter soit d'un
abaissement des salaires, qui sans cela eussent existé, soit d'une
augmentation du coût de la vie, soit de l'un et de l'autre (le
résultat exact dépendra de la politique monétaire du
moment).
A cause de ces mesures
restrictives, le rendement du capital et de la main-d'oeuvre, à
l'intérieur de l'industrie X, pourra bien être maintenu à
un taux plus élevé, mais le rendement dans les autres industries
subira forcément une diminution injustifiée. L'industrie X ne
sera bénéficiaire qu'aux dépens des industries A, B et
C.
3
Toute tentative pour sauver
l'industrie X en lui accordant une subvention directe du Gouvernement
aboutira au même résultat. Elle ne sera rien de plus qu'un
transfert de richesse ou de revenu dans l'industrie X. Le contribuable y
perdra précisément dans la mesure où ceux qu'emploie
cette industrie en bénéficieront. Le grand avantage d'une
subvention, du point de vue du public, est qu'en ce cas au moins la situation
est claire. Elle offre une moindre occasion de se livrer à ce travail
d'obscurantisme intellectuel qui accompagne toute augmentation sur les
tarifs, les prix minima et les monopoles exclusifs.
Dans le cas d'une
subvention, il est évident que le contribuable doit perdre dans la
mesure même où l'industrie X gagne, et il devrait être
également évident, par voie de conséquence, que les
autres industries perdront dans la même proportion : elles auront
en effet à payer les taxes nécessaires au financement de la
subvention accordée à l'industrie X. Et parce qu'ils paient des
impôts destinés à aider l'industrie x, les consommateurs
auront d'autant moins d'argent à dépenser pour acheter d'autres
produits. Il en résultera que l'accroissement de l'industrie X
obligera nécessairement d'autres industries à restreindre leur
production.
Mais le résultat de
cette subvention ne consiste pas seulement en un transfert de capital ou de
revenu, ou dans le fait que d'autres industries se retreignent dans la mesure
même où grandit l'industrie X. Il en résulte aussi (et
c'est là ce qui constitue une perte sèche pour la nation
considérée dans son ensemble) que le capital et la
main-d'oeuvre sont détournés d'industries dans lesquelles elles
auraient pu s'employer efficacement, vers une industrie où elles s'emploient
moins utilement. La richesse ainsi créée est moindre, et le
niveau moyen de vie inférieur à ce qu'il eût
été autrement.
4
Les arguments qu'on invoque
pour obtenir une subvention en faveur de l'industrie X impliquent
virtuellement toutes les funestes conséquences que cette subvention
entraînera. Cette industrie se meurt ou s'étiole,
prétendent ses amis. Pourquoi alors vouloir la maintenir en vie
grâce à une respiration artificielle ? Croire que dans une
économie saine toutes les industries doivent être
prospères en même temps est une erreur profonde. Pour que des
industries nouvelles se développent rapidement, il est
nécessaire que quelques industries périmées
dépérissent ou meurent. Il est nécessaire qu'il en soit
ainsi afin de libérer le capital et la main-d'oeuvre pour les
industries nouvelles. Si nous avions essayé de conserver
artificiellement l'industrie des cabriolets, nous aurions ralenti la
croissance de l'industrie automobile et des industries connexes. Nous aurions
abaissé l'accroissement de la richesse publique et retardé le
progrès scientifique et économique.
cependant, c'est exactement
ce que nous faisons lorsque nous essayons d'empêcher une industrie de
mourir, en vue de protéger la main-d'oeuvre déjà
adaptée à la servir ou le capital qui y est investi. Si
paradoxal que cela puisse paraître à certains, la santé
d'une économie dynamique exige que les industries mourantes soient
abandonnées à leur sort, comme il est nécessaire de
laisser grandir les industries florissantes. Le premier procédé
est aussi essentiel que le second. Il est aussi vain d'essayer de conserver
les industries qui périclitent que d'essayer de sauver les
méthodes de production surannées. En fait, ce n'est là
que deux façons différentes de décrire le même phénomène.
Des méthodes de production perfectionnées doivent constamment
prendre la place des méthodes surannées si l'on veut que des
procédés nouveaux s'adaptent aux besoins nouveaux.
Note
[1] Témoignage de
Dan Wheeler, Directeur du Bureau des Charbons et Bitumes, lors des
débats à propos de l'amendement sur la loi des charbons et
bitumes de 1937.
Remerciements
: Hervé de Quengo, et traduction par Mme Gaëtan Pirou
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