La moisissure se déplace de l’extérieur
vers l’intérieur, mais la maladie de l’intérieur vers l’extérieur. C’est ce
qu’il s’est passé dans le monde monétaire cette semaine, en raison du
maintien du prix mal évalué du crédit par les banques centrales, dirigées par
la Fed. J’ajouterai à cela qu’elles ont aussi mal évalué pratiquement tous
les prix imaginables – les actions, les biens immobiliers, les biens
alimentaires, les métaux précieux, l’art… Le prix du pétrole est aussi mal
évalué, mais à la baisse, puisque la production de brut ne fait que devenir
plus onéreuse et plus complexe et dépend d’une monnaie empruntée dont le coût
est mal évalué. Cette situation pourra être corrigée par la rareté à mesure
que les sociétés pétrolières réaliseront que le capital réel est
indisponible. Et puis le pétrole deviendra rare. Le « capital » qui
circule aujourd’hui autour du globe n’est qu’une substance molle et
gélatineuse appelée « liquidité ». Tout ce que fait cette
liquidité, c’est obstruer les marchés. Mais les choses finiront un jour par
se débloquer.
Entre temps, la moisissure de
mauvaise évaluation s’exprime sous forme d’un effondrement des devises et des
économies qu’elles sont censées représenter : Inde, Turquie, Argentine,
Hongrie. L’Italie, l’Espagne et la Grèce pourraient faire partie de la liste
si elles avaient chacune leur propre devise. Pour l’instant, elles se
contentent de se passer de conduire et de mettre le feu à leurs meubles pour
se chauffer. L’usage de voitures en Italie est revenu à son niveau de 1970 en
termes de kilomètres parcourus.
D'ici peu de temps, comme en Ukraine,
les gens sortiront dans les rues pour se confronter à la police. Ils auraient
déjà dû le faire il y a longtemps, mais leur inaction ne peut être expliquée rationnellement
puisque les retournements du sentiment public sont sujets aux mêmes forces
qui poussent les volées d’oiseaux et les bancs de poissons à changer de
direction sans pour autant sembler communiquer.
Comment pourrait-on expliquer
autrement l'extraordinaire placidité du public américain pour ce qui ne relève
pas du cirque et du Super Bowl ? La nuit
dernière, il se disait insulté par des publicités pour des voitures Maserati.
Voici, citoyens sur-nourris brandisseurs de cartes SNAP, les fruits de la richesse
et de la célébrité ! Savourez votre insignifiance devant les jeux
olympiques de Sotchi et la nuit des Oscars ! Mais ce qu’il se passe en
périphérie pourrait interrompre la transe dans laquelle s’est laissé emporter
le centre. Le diable hante les marchés dérégulés des devises et des swaps de
taux d’intérêt.
Les grosses banques sont
embourbées jusqu’au plafond de leurs suites exécutives. Les banquiers sautent
de fenêtres, se pendent dans les arrière-salles et se font sauter la cervelle
sur le bas-côté de la rue. N’est-il pas étrange que personne ne divulgue ce
qui est écrit sur leur lettre de suicide, si tant est qu’ils en laissent une
derrière eux ? Et n’est-il pas logique de penser qu’ils ne partent pas
tous sans explication ? L’un d’entre eux, William Broeksmit,
gestionnaire de risque chez Deutsche Bank, aurait été impliqué dans le
déploiement de positions représentant plus de 70 trillions de dollars de
swaps. Le PIB de l’Allemagne est de 3,4 trillions de dollars. Notre pauvre M.
Broeksmit a-t-il sombré
dans le désespoir ?
Le physicien Steven Hawking a déclaré la semaine dernière que les trous noirs
ne sont pas exactement ce que les gens pensent qu’ils sont. Certaines choses
en ressortent. Ce sera tout aussi vrai pour les échanges de produits dérivés,
quand la richesse associée aux swaps disparaîtra dans un horizon de mauvaise
foi et que des signes de leur existence passée referont surface dans le cadre
d’affaires de banqueroute et de bouleversements politiques.
Cet horizon de mauvaise foi
représente le moment où les crédules de notre ère découvriront que les
banques centrales n’ont jamais fait que prétendre être des agences de régulation
et qu’elles sont à la tête d’un marasme dont plus personne n’a vraiment le
contrôle. L’illusion de contrôle est ce qui a gouverné le monde depuis l’incident
Lehman en 2008. Nous avions désespérément besoin de
croire que les autorités étaient là pour nous soutenir. Elles ne se
soutiennent même pas elles-mêmes.
Le monde monétaire en est-il
arrivé à ce point de non-retour ? Une chose est claire : personne
ne pourra sauver les devises en détresse. Leur maladie deviendra infectieuse
à mesure que le moteur du monde toussera. Qui écrira alors les lettres de
crédit qui rendent le commerce international possible ? Qui fera
confiance à qui ? Quand les gens commenceront ils à avoir faim et aller
chercher leur fourche ? Quand l’action se déplacera-t-elle de Kiev à
Londres, puis New York, Francfort et Paris ?