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Suite de la troisième
partie
Mythe 6. Les libertariens croient que les individus sont
les meilleurs juges de leurs propres intérêts.
Tout
comme l’accusation précédente soutenait que les
libertariens croient que tous les hommes sont parfaitement bons moralement,
ce mythe accuse les libertariens de croire que tous les individus sont
parfaitement raisonnables. Dans la mesure où la plupart des gens ne le
sont pas, les critiques du libertarianisme affirment donc que
l’État doit intervenir.
Mais
les libertariens ne supposent pas plus la sagesse absolue qu’ils supposent
la perfection morale. Certes, affirmer que la plupart des gens sont meilleurs
juges que des tiers de leurs propres besoins et de leurs propres
objectifs relève du bon sens. Mais le libertarianisme ne suppose pas
que cela soit toujours le cas. Les libertariens soutiennent plutôt que
tous les individus devraient avoir le droit de poursuivre leur propre
intérêt comme ils l’entendent. Les libertariens
défendent la liberté d’action dans la limite du respect
des droits de propriété d’autrui, mais n’affirment
pas que toutes les actions sont nécessairement raisonnables.
Il
est vrai, en revanche, que sur le marché libre, les gens sont libres
de s’orienter vers des experts capables de leur donner des conseils sur
la façon dont poursuivre au mieux leurs intérêts. Comme
nous l’avons vu plus haut, les individus ne sont pas des êtres
socialement isolés, hermétiquement séparés les
uns des autres. Car sur le marché libre, si les individus doutent de
ce que pourrait être leurs propres intérêts, ils sont
libres d’embaucher ou de consulter des experts, qui, en raison de leurs
compétences, seront capables de les orienter. Sur le marché
libre, les individus peuvent faire appel à ces experts, et
continuellement tester la justesse et l’utilité de leurs
conseils. Par conséquent, sur le marché, les individus tendent
à se tourner vers les experts dont les conseils sont les plus
efficaces. Le marché libre récompensera les bons
médecins, les bons avocats, les bons architectes, et dévalorisera
les moins compétents. L’expert de l’État, en
revanche, acquiert ses revenus par l’imposition des contribuables.
Aucun filtre marchand n’existe pour évaluer sa capacité
à conseiller chacun dans le sens de ses véritables
intérêts. La seule compétence qu’il doit
posséder, c’est celle qui consiste à obtenir le soutien
de l’appareil coercitif de l’État.
L’expert
privé aura d’autant plus de succès qu’il satisfera
les besoins des gens, alors que l’expert de l’État aura
d’autant plus de succès qu’il parviendra à obtenir des
faveurs politiques. Par ailleurs, l’expert de l’État
n’a aucune raison d’être plus vertueux que les
autres ; sa seule supériorité résidant dans ses
capacités à obtenir les faveurs de ceux qui exercent le pouvoir
politique. Mais il existe une différence cruciale entre les
deux : des incitations pécuniaires poussent l’expert
privé à prendre soin de ses clients ou de ses patients. Aucune
incitation de cette sorte n’existe pour l’expert de
l’État ; il obtient ses revenus quels que soient ses
résultats. Par conséquent, pour le consommateur individuel, le
marché libre est un arrangement économique préferable.
J’espère
que cet essai a contribué à réfuter les mythes et les
idées reçues qui entourent le libertarianisme. Les
conservateurs (et les autres) doivent comprendre que les libertariens ne
croient pas que les individus sont tous moralement bons ou meilleurs juges de
leurs propres intérêts, ni qu’ils sont socialement
isolés les uns des autres. Les libertariens ne sont pas nécessairement
hédonistes ou libertins, ils ne sont pas non plus forcément
athées ; ils croient à l’existence de principes
moraux. Procédons désormais à un examen précis du
libertarianisme, tel qu’il est réellement, sans que notre
jugement soit biaisé par ces mythes et ces légendes. Examinons
objectivement les arguments en faveur de la liberté. Je crois
fermement que, lorsque cela sera fait, cette philosophie verra le nombre de
ses adhérents croître de façon importante.
Notes
- John Kenneth
Galbraith, The Affluent
Society (Boston: Houghton Mifflin, 1958); F. A. Hayek,
"The Non-Sequitur of the ‘Dependence
Effect,’" Southern Economic Journal (Avril,
1961), pp. 346-48.
- Irving Kristol,
"No Cheers for the Profit Motive," Wall Street Journal (21
Fev., 1979).
- Pour une defense de
l’application des critères éthiques universels
à l’État, voir Pitirim A. Sorokin et Walter A.
Lunden, Power and Morality: Who Shall Guard the Guardians? (Boston:
Porter Sargent, 1959), pp. 16-30.
- Frank S. Meyer, In Defense of
Freedom: A Conservative Credo (Chicago: Henry Regnery, 1962), p.
66.
- Thomas E. Davitt, S.J.,
"St. Thomas Aquinas and the Natural Law," in Arthur L.
Harding, ed., Origins of the Natural Law Tradition (Dallas,
Tex: Southern Methodist University Press, 1954), p. 39
- A. P.
d'Entrèves, Natural Law (London: Hutchinson
University Library, 1951), pp. 51-52.
- Karl Wittfogel, Oriental
Despotism (New Haven: Yale University Press, 1957), esp. pp.
87-100.
- Sur ce sujet et sur la question
des sectes chrétiennes en général, voir Norman
Cohn, Pursuit of the Millenium (Fairlawn, N.J.:
Essential Books, 1957).
- Dale Vree, "Against Socialist
Fusionism," National Review (8 décembre,
1978), p. 1547. L’article de Heilbroner se trouve dans Dissent,
été 1978. Pour davantage d’informations au sujet de
l’article de Vree, voir Murray N. Rothbard, "Statism, Left,
Right, and Center," Libertarian Review (Janvier
1979), pp. 14-15.
- Journal of Political
Economy (December 1938), p. 869. Cité in Friedrich A.
Hayek, The Road to
Serfdom (Chicago: University of Chicago Press, 1944), p. 152.
- "The Forester's
Letters, III,"(orig. in Pennsylvania Journal, Apr.
24, 1776), in The Writings of Thomas Paine (ed. M. D.
Conway, New York: G. P. Putnam's Sons, 1906), I, 149-150.
- F. A. Harper, "Try
This On Your Friends", Faith and Freedom (Janvier,
1955), p. 19.
- F. A. Hayek, Individualism
and Economic Order (Chicago: University of Chicago
Press, 1948). Hayek a mis à nouveau l’accent sur ce point
dans son essai "Why I Am Not a Conservative," The
Constitution of Liberty (Chicago: University of Chicago
Press, 1960), p. 529.
Traduction française : Geoffroy Le Gentilhomme
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