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Suite de la seconde
partie
Mythe 5. Les libertariens sont des utopistes. Ils croient que tous les individus sont
vertueux, et que, par conséquent, le contrôle étatique
n’est pas nécessaire. Les conservateurs ajoutent souvent que,
puisque l’Homme est naturellement malveillant (au moins partiellement),
une forte régulation étatique est socialement
nécessaire.
Cette
croyance à propos du libertarianisme est fort répandue. Il est
pourtant difficile d’en comprendre l’origine. Rousseau, le
principal défenseur de l’idée que l’homme est bon
par nature mais corrompu par ses institutions, n’était
guère libertarien. Hormis les écrits romantiques de quelques
anarcho-communistes, que je ne considérerais en aucun cas comme
libertariens, je n’ai jamais rencontré d’auteurs
libertariens (ou libéraux classiques) qui aient défendu cette
idée. Au contraire, la plupart des auteurs libertariens soutiennent
que l’homme est à la fois moralement bon et mauvais, et que, par
conséquent, il est important pour les institutions sociales
d’encourager les conduites morales et de décourager les
conduites immorales. L’État est la seule institution sociale
capable d’utiliser la violence pour obtenir son revenu et sa richesse ;
toutes les autres doivent soit vendre des produits ou des services sur le
marché, soit recevoir des dons volontaires. L’État est
également la seule institution capable d’utiliser les ressources
provenant du vol organisé pour réguler la vie économique
et contrôler la propriété des individus. Par
conséquent, l’institution étatique est, pour les
escrocs, un moyen sanctifié et socialement
légitimé de commettre des vols légalisés et
d’exercer un pouvoir dictatorial. L’étatisme exhorte donc
l’immoralité et le caractère criminel de l’homme.
Comme Frank Knight l’a dit d’un ton incisif : « la
probabilité que les gens au pouvoir soient des individus averses
à la possession et à l’exercice du pouvoir est à
peu près équivalente à la probabilité
qu’une personne extrêmement affectueuse et attentionnée
ait pour fonction de fouetter les esclaves dans une plantation. »
Une société libre, ne mettant pas de moyens
légitimés à disposition des hommes pour commettre des
exactions, décourage les tendances criminelles de la nature humaine et
encourage les échanges pacifiques et volontaires. La liberté et
l’économie de marché découragent le racket et encourage
l’harmonie sociale et les bénéfices mutuels des
échanges volontaires, qu’ils soient économiques, sociaux
ou culturels.
Puisqu’un
système de liberté encouragerait les échanges
volontaires, découragerait les actes criminels, et supprimerait la seule
voie légitimée pour commettre des crimes et des agressions,
nous pourrions nous attendre à ce qu’une société
libre soit moins affectée par les crimes et la violence que nos
sociétés actuelles, bien que l’on ne puisse pas affirmer
qu’ils disparaîtraient complètement. Ce n’est pas de
l’utopie, c’est la conséquence, relevant du bon sens, du
changement de ce qui est perçu comme socialement légitime et du
changement de la structure sociale des récompenses et des punitions.
Envisageons
notre thèse sous un autre angle. Si tous les hommes étaient
bons et qu’aucun d’eux n’avait de penchants criminels,
l’État serait superflu, comme les conservateurs le
reconnaissent. Mais si, à l’inverse, tous les hommes étaient
malveillants, alors, la défense de l’État n’en serait
pas moins délicate : pourquoi supposer que les membres du
gouvernement, ceux qui détiennent les armes et le pouvoir
d’agression, seraient-ils par extraordinaire exempts de ces
vices ? Tom Paine, un libertarien classique, dont les positions sur la
nature humaine sont souvent considérées comme naïvement
optimistes, a réfuté l’argument reposant sur la
malveillance humaine avancé par les conservateurs pour justifier un
État fort. Selon lui « Si la nature humaine est corrompue,
il est superflu de renforcer la corruption en mettant sur le trône une
succession de rois, qui, quelle que soit leur légitimité
sociale, sont désignés pour gouverner » Et Paine
d’ajouter : « Aucun homme depuis la Chute n’a
été suffisamment vertueux pour assumer la charge du
pouvoir. » Et comme le libertarien F.A. Harper
l’écrivit un jour :
« Le principe
selon lequel l’autorité politique est nécessaire en
raison de la malveillance humaine implique que cette autorité soit
étendue à toutes les sphères de l’activité
humaine. La société entière serait ainsi dirigée
par un seul homme. Mais qui officierait alors en tant que dictateur ?
Puisque tous les individus sont malveillants, il n’y a aucune raison
pour que le dictateur ne le soit pas, quelles que soient les procédures
qui le désignent. La société serait alors dirigée
par un tyran totalement malveillant, entre les mains duquel seraient
concentrés tous les pouvoirs. Comment serait-il alors possible que cet
arrangement n’engendre pas de déplorables
conséquences ? En quoi un arrangement de cette sorte pourrait-il
être meilleur qu’une société sans aucune
autorité politique ? »
Enfin,
puisque, comme nous l’avons vu, les hommes sont en
vérité à la fois bons et mauvais, une
société libre encourage le bien et décourage le mal,
tout du moins au sens où le volontaire et le mutuellement
bénéfique sont bons, et où le criminel est mauvais.
Aucune théorie de la nature humaine, qu’elle suppose la vertu,
le vice, ou un mélange des deux, ne peut justifier
l’étatisme. Le penseur libéral F.A. Hayek, au cours
d’une argumentation visant à nier son conservatisme, souligna
que : « L’attrait principal de l’individualisme,
[que défendaient Adam Smith et ses contemporains] est
d’être un système au sein duquel les hommes mauvais
peuvent le moins nuire. C’est un système social dont le bon
fonctionnement ne dépend pas de la valeur morale des hommes qui le
composent, mais qui fait usage des hommes dans toute leur
variété et leur complexité.
Il
est important de souligner ce qui différencie les libertariens des
utopistes (au sens péjoratif du terme). Le libertarianisme n’a
pas pour but de remodeler la nature humaine. En revanche, l’un des
objectifs principaux du socialisme est de créer (en pratique en
utilisant des méthodes totalitaires) l’Homme Nouveau acquis au
socialisme, un individu dont la fin ultime serait de travailler avec
diligence et altruisme au service du collectif. Le libertarianisme est une
philosophie politique qui affirme que, quelle que soit la nature
humaine, un système politique moral et efficace ne peut être
fondé que sur la liberté. Le libertarianisme, autant que
n’importe quel autre système politique, sera bien sûr
d’autant plus efficace que les gens qui le composent seront pacifiques
et peu enclins aux activités criminelles ou agressives. Les libertariens,
comme la plupart des gens, aimeraient vivre dans un monde sans criminel et
peuplé d’individus bienveillants. Mais cela n’est pas
l’élément constitutif de la doctrine libertarienne, qui
affirme que, quelque moral ou immoral que puisse être l’homme,
la liberté est préférable.
Vers
le Quatrième Mythe
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