On sait aujourd’hui que certaines entreprises achètent des données sur la santé des Suisses, y compris « à l’étranger »…
Oui, les données médicales des Suisses sont bel et bien en train d’être transformées en marchandises. Ceci grâce à l’introduction – discrète mais efficace – du « dossier électronique du patient » (DEP). De quoi supposer que le « projet-pilote » MonDossierMedical.ch est bien plus avancé qu’il n’y paraît !
Certains lobbys économiques mènent une véritable « offensive » pour s’approprier les données médicales des Suisses. Et les milieux politiques ne s’opposent nullement à ces revendications, dont les conséquences pourraient être économiquement désastreuses pour les personnes qui présentent des risques de santé…
Tel est le constat pour le moins alarmant que dressait récemment le grand quotidien suisse Tages Anzeiger. Et le média de référence d’évoquer une « rencontre secrète » entre des membres du gouvernement suisse et des représentants des « milieux économiques » (UBS, Roche, Swisscom, Google…) :
« La rencontre ne figure pas à l’agenda officiel de la Confédération. Le 25 octobre 2018, [les ministres] Doris Leuthard et Johann Schneider-Ammann discutaient avec le comité consultatif « Transformation Digitale » […] de la digitalisation du secteur de la santé. Un sujet explosif. […] La révolution digitale promet beaucoup […] mais elle présente également des dangers. […]
Le procès-verbal de la séance […] montre que les milieux économiques augmentent la pression sur les politiciens pour qu’ils leur donnent accès aux données de santé des Suisses. Ce document révèle aussi à quel point les représentants de la Confédération sont désireux de répondre à ces exigences – si possible par des incitations, si nécessaire par la contrainte. »
Une occasion de plus de prendre conscience du fait que certaines entreprises collectent déjà – sans leur accord – des informations sur la santé des Suisses… et que ces données sont « en partie achetées à l’étranger » !
Et le lobbyiste en chef de « Transformation Digitale » de réclamer « un concept de libre commerce » pour aller « au-delà du dossier électronique du patient » !
Pourtant, les pratiques actuelles de certains milieux économiques suisses vont déjà bien au-delà de ce que la plupart des gens peuvent encore s’imaginer…
Facebook, Google & Co. comme sources d’information sur votre état de santé
Pour qui n’est pas familiarisé avec le fonctionnement de l’intelligence artificielle, l’idée que les réseaux sociaux (et autres moteurs de recherche) puissent fournir des informations pertinentes sur notre état de santé peut sembler fantaisiste. Il n’en demeure pas moins que diverses assurances-maladie suisses recourent aujourd’hui précisément à ces sources d’informations pour évaluer les risques que représente tel ou tel client.
Côté européen, la plateforme MyHealthMyData s’appuie elle aussi sur les réseaux sociaux pour alimenter les dossiers médicaux électroniques des habitants de l’UE. Une information on ne peut plus officielle !
« MyHealthMyData a vocation à créer un véritable marché de l’information […] entre les citoyens de l’UE, les hôpitaux, les centres de recherche et les entreprises. » (myhealthmydata.eu)
On peut ainsi comprendre ce à quoi fait référence cette analyse parfaitement pertinente du Tages Anzeiger :
« La révolution digitale promet beaucoup : des diagnostics plus précis, de meilleurs traitements, des coûts plus bas et des percées dans la recherche. Mais elle présente également des dangers. Les patients laissent des traces de plus en plus visibles sur leur état de santé. Les données sont souvent mal protégées. Et les progrès de la technologie permettent des analyses toujours plus fines […] Une personne […] risque de se voir retirer à l’avenir sa couverture-santé [privée], parce que son patrimoine génétique présente de trop grands risques. Cela peut se produire dans dix, vingt ou cinquante ans. Contrairement aux données bancaires, les données de santé peuvent avoir une valeur prédictive d’une génération à l’autre. »
Si l’avènement des dossiers médicaux électroniques est une fatalité, le réel enjeu se situe dans la manière dont ces technologies prometteuses seront encadrées (ou pas) par le législateur. Il pourrait en effet être bon d’éviter les discriminations abusives et de protéger encore un semblant de vie privée…
C’est d’ailleurs ce qu’expliquait récemment Me. Sebastien Fanti au quotidien Le Temps, dans un article qu’il convient de lire de toute urgence.
« Actuellement, le système de santé est basé sur un principe de solidarité assurant un catalogue de soins pour tout le monde dans l’assurance de base. Mais ce principe va bientôt s’effondrer. Ceux qui participent à ces actions des caisses [applications sportives] ne se rendent pas compte qu’à la fin, tout cela va déboucher sur un nouveau système de bonus-malus dans l’assurance maladie. […] Les gens qui donnent ces informations n’ont pas compris que le principe de solidarité va disparaître. »
On l’aura compris : la partie est encore loin d’être gagnée.
Par Vincent Held. Thématique tirée du livre « Après la crise », disponible par exemple chez Decitre, à La Fnacou chez Payot (Présentation de l’éditeur)
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