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Margin Call,
pour appel de marge, l’injonction d’un
intermédiaire financier d’apporter des fonds ou des
collatéraux en garantie supplémentaires que reçoit un
intervenant sur les marchés lorsqu’il est en perte potentielle :
tel est le titre du nouveau film de fiction sur Wall Street qui vient de
sortir. L’histoire d’une grande banque d’affaires au sein
de laquelle il est fortuitement découvert, le jour où est
décapité le service non productif de gestion du risque, que le
modèle de gestion utilisé a induit en erreur et que les pertes
potentielles sur lesquelles la banque est assise vont au-delà de sa
capitalisation… Elle ne pourrait pas répondre à
l’injonction et coulerait aussitôt.
Réuni
à la hâte et en pleine nuit, l’état-major de la
banque décide alors de se débarrasser le matin même et dans
la précipitation des produits structurés toxiques qu’elle
détient. Trompant par la même ses contreparties (ses partenaires
et clients) en leur vendant ceux-ci pour faire la part du feu afin de ne pas
devoir assumer le risque. Décidant de se griller sur le marché
plutôt que de faire faillite, dans l’espoir de se relever
ultérieurement une fois la tempête passée, quitte
à précipiter les autres dans ce à quoi elle a
échappé. Car les dirigeants savent que c’est Wall Street
qu’ils vont mettre en péril pour se sauver, mais ils
n’hésitent pas…
L’histoire
n’est pas sans rappeler plusieurs épisodes récents de
Wall Street et met en scène le déroulement de la crise vu de
l’intérieur de la banque. Une sorte de huis clos dont on ne sort
que pour fumer une cigarette sur le parvis ou sur les toits, pour se
détendre en allant prendre un café dans la rue et se
défouler entre collègues dans les bars et les boîtes d’escort girls. Le film se concentre sur la «
human touch » et
sur l’attitude de la hiérarchie de la banque pour mettre en
évidence ses ressorts. Peu de passion affichée mais la mise
à nu des rapports de force et des calculs, avec un zeste de cynisme
quand il le faut, qui se traduit par la conviction que tout cela est dans la
nature des choses, à chacun son devoir et ses petites compensations,
car c’est ainsi que fonctionne le monde et qu’il faut bien
quelqu’un pour faire le boulot. Autant en profiter ! Par
également la vision que les dirigeants de la banque s’en
remettront, tout du moins ceux qui ne seront pas laissés sur le
côté. Mais ils sont épinglés au passage, pour
reconnaître qu’ils ne comprennent rien au travail de leurs
traders ou de leurs « quants », en leur
réclamant à plusieurs reprises de s’expliquer avec des
mots simples, animés par une seule et unique motivation : sauver leur
peau et préserver leurs gains. Convaincus de pouvoir rebondir car
c’est dans les situations de crise que se font les meilleures affaires.
Le
tableau des motivations des uns et des autres s’efforce
d’être le plus fidèle possible, la seule touche
véritablement humaine mais morbide est donnée par la mort
symbolique du chien de l’un des grands cadres de la banque. Ce dernier,
touché par cette disparition plus que par le désastre auquel il
a contribué et auquel il répugnait de procéder, est la
pièce opérationnelle maîtresse du sauvetage de la banque
; il ne résout pas à démissionner comme il en avait
l’intention une fois sa mission accomplie, pour des raisons
d’argent piteusement avouées ; il reste non sans avoir
reçu de son président un gros chèque dans les toilettes,
ce lieu où l’on se retrouve devant le miroir ou pour
libérer en cachette son angoisse. C’est le cas d’un jeune
trader qui craque, coupable d’aimer son métier et dans l’attente
de son licenciement annoncé. Nombreux sont les autres cadres qui
trouvent leur consolation dans les primes de licenciement mirobolantes qui
leur sont versées pour acheter leur silence. Survivent enfin ceux qui
se sont déchargés de leurs responsabilités en licenciant
sans états d’âme leurs subalternes, car il faut bien des
boucs émissaires.
Une
tranche de vie à Wall Street, sans qu’il soit besoin d’en
faire une charge, ce qui lui donne d’autant plus de force.
Billet rédigé par
François Leclerc
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