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Sur les écrans, Margin Call

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Published : May 03rd, 2012
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Category : Editorials

 

 

 

 

Margin Call, pour appel de marge, l’injonction d’un intermédiaire financier d’apporter des fonds ou des collatéraux en garantie supplémentaires que reçoit un intervenant sur les marchés lorsqu’il est en perte potentielle : tel est le titre du nouveau film de fiction sur Wall Street qui vient de sortir. L’histoire d’une grande banque d’affaires au sein de laquelle il est fortuitement découvert, le jour où est décapité le service non productif de gestion du risque, que le modèle de gestion utilisé a induit en erreur et que les pertes potentielles sur lesquelles la banque est assise vont au-delà de sa capitalisation… Elle ne pourrait pas répondre à l’injonction et coulerait aussitôt.


Réuni à la hâte et en pleine nuit, l’état-major de la banque décide alors de se débarrasser le matin même et dans la précipitation des produits structurés toxiques qu’elle détient. Trompant par la même ses contreparties (ses partenaires et clients) en leur vendant ceux-ci pour faire la part du feu afin de ne pas devoir assumer le risque. Décidant de se griller sur le marché plutôt que de faire faillite, dans l’espoir de se relever ultérieurement une fois la tempête passée, quitte à précipiter les autres dans ce à quoi elle a échappé. Car les dirigeants savent que c’est Wall Street qu’ils vont mettre en péril pour se sauver, mais ils n’hésitent pas…


L’histoire n’est pas sans rappeler plusieurs épisodes récents de Wall Street et met en scène le déroulement de la crise vu de l’intérieur de la banque. Une sorte de huis clos dont on ne sort que pour fumer une cigarette sur le parvis ou sur les toits, pour se détendre en allant prendre un café dans la rue et se défouler entre collègues dans les bars et les boîtes d’escort girls. Le film se concentre sur la « human touch » et sur l’attitude de la hiérarchie de la banque pour mettre en évidence ses ressorts. Peu de passion affichée mais la mise à nu des rapports de force et des calculs, avec un zeste de cynisme quand il le faut, qui se traduit par la conviction que tout cela est dans la nature des choses, à chacun son devoir et ses petites compensations, car c’est ainsi que fonctionne le monde et qu’il faut bien quelqu’un pour faire le boulot. Autant en profiter ! Par également la vision que les dirigeants de la banque s’en remettront, tout du moins ceux qui ne seront pas laissés sur le côté. Mais ils sont épinglés au passage, pour reconnaître qu’ils ne comprennent rien au travail de leurs traders ou de leurs « quants », en leur réclamant à plusieurs reprises de s’expliquer avec des mots simples, animés par une seule et unique motivation : sauver leur peau et préserver leurs gains. Convaincus de pouvoir rebondir car c’est dans les situations de crise que se font les meilleures affaires.


Le tableau des motivations des uns et des autres s’efforce d’être le plus fidèle possible, la seule touche véritablement humaine mais morbide est donnée par la mort symbolique du chien de l’un des grands cadres de la banque. Ce dernier, touché par cette disparition plus que par le désastre auquel il a contribué et auquel il répugnait de procéder, est la pièce opérationnelle maîtresse du sauvetage de la banque ; il ne résout pas à démissionner comme il en avait l’intention une fois sa mission accomplie, pour des raisons d’argent piteusement avouées ; il reste non sans avoir reçu de son président un gros chèque dans les toilettes, ce lieu où l’on se retrouve devant le miroir ou pour libérer en cachette son angoisse. C’est le cas d’un jeune trader qui craque, coupable d’aimer son métier et dans l’attente de son licenciement annoncé. Nombreux sont les autres cadres qui trouvent leur consolation dans les primes de licenciement mirobolantes qui leur sont versées pour acheter leur silence. Survivent enfin ceux qui se sont déchargés de leurs responsabilités en licenciant sans états d’âme leurs subalternes, car il faut bien des boucs émissaires.


Une tranche de vie à Wall Street, sans qu’il soit besoin d’en faire une charge, ce qui lui donne d’autant plus de force.


Billet rédigé par François Leclerc


 

 



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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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