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Les escrocs du climat offrent des visages versatiles. Les
climato-sceptiques n’ont certes pas disparu mais ils se font plus discrets,
au moins en France. Ces tristes sires méritent assurément notre dédain, mais
au moins, ils affichaient la couleur. Nous savions clairement à quoi nous en
tenir. Avec les imposteurs du climat, les frontières se brouillent, les
ennemis avancent masqués.
A mesure que progresse la perspective d’une dislocation des équilibres vitaux
et sociaux, l’heure est à la conversion. Tout le petit monde de la politique
franchouillarde est subitement devenu « écologiste », je mets ce mot entre
guillemet, bien sûr. Pas un programme qui n’ait son boniment sur la planète,
la transition énergétique, etc. Qu’importe que ce baratin soit une coquille
vidée de toute substance par son insignifiance ou son télescopage avec des
mesures productivistes et technophiles. Ce qui compte, c’est d’avoir l’air.
Il y a, dans cette entourloupe, des degrés différents, et il serait utile,
à l’occasion, d’établir une typologie des enfumeurs du climat. J’aimerais ici
m’arrêter sur trois d’entre eux : les illusionnistes de la neutralité
carbone, les fanatiques de l’innovation numérique, les adeptes de l’industrie
du renouvelable.
La neutralité carbone pour commencer. Comme tous les nouveaux concepts de
la technocratie triomphante, celui-là est propice à la confusion. Nicolas
Hulot, alors ministre, l’avait inscrit dans son plan climat. A première vue,
l’idée pourrait sembler intéressante. Viser un équilibre entre ce que l’on
émet et ce que l’on absorbe, ne serait-ce pas une solution ? A regarder de
plus près, c’est une tout autre réalité qui apparaît. Car il y a plusieurs
voies pour atteindre cette neutralité. La baisse des émissions de gaz à effet
de serre d’une part, la compensation et la géo-ingénierie d’autre part. Sauf
à être doté d’une naïveté confondante, il est clair que la première solution
a peu de chance d’être sérieusement retenue.
Reste donc à compenser, à l’image du lobby des transports aériens dont
l’objectif est d’être neutre en carbone. Imagine-t-on qu’ils vont réduire
leur trafic ? Evidemment non. Pareil pour la Norvège, qui ambitionne cette
neutralité pour 2030 tout en développant ses projets pétroliers en Arctique.
Comment réussir ces tours de passe-passe ? En achetant des forêts, des quotas
de carbone, autrement dit des droits à foutre en l’air le climat, à expulser
des communautés de leur lieu de vie et à polluer à tout va. Après les
climato-sceptiques, les climato-cyniques. On progresse. Vous voulez dévaster
une forêt pour planter des palmiers à huile, pour installer des industries
minières, un aéroport, un complexe de loisirs, un centre d’activités
commerciales ? Un crédit carbone fera l’affaire. Une petite compensation
concoctée par un bureau d’étude choisi et payé par le bétonneur, et le tour
est joué. Il suffit de payer. Le climat est à vendre. Spéculateurs, à vos
tablettes ! Tout est déménageable, substituable, monnayable. Les arbres, les
mares, les grenouilles… La nature est obsolète. Place au capital naturel, aux
unités de compensation, aux réserves d’actifs naturels, aux coefficients de
valeur, aux services éco-systémiques… Bientôt, les chants d’oiseaux auront un
prix, et les abeilles, et la beauté. Bientôt, plus rien ne sera gratuit.
C’est fou ? Ça l’est. Comme si l’on pouvait réduire la complexité du
vivant à un chiffre, à des fonctions interchangeables. Comme s’il y avait
équivalence entre la restauration d’un milieu, par nature lente, et le
saccage d’un habitat, fulgurant grâce aux moyens techniques modernes. Comme
si l’on pouvait stocker indéfiniment du carbone sans que les forêts saturent,
les océans s’acidifient dangereusement. Comme si tout était comparable, la
destruction irréversible et la protection temporaire – les baux des lieux
compensés ont une durée de vie de 30 ans maximum. Comme si une forêt primaire
pouvait être convertie en une monoculture d’eucalyptus.
Autre entourloupe aux effets imprévisibles et potentiellement dévastateurs
: la manipulation du climat. Capter, séquestrer, enfouir le carbone, épandre
de la poussière de silicate sur la terre et dans les mers, reproduire la
photosynthèse naturelle dans une feuille artificielle, pulvériser du souffre
dans la stratosphère, déplacer l’orbite de la Terre pour l’éloigner du
soleil… Rien n’est impossible pour les apprentis-sorciers de la
géo-ingénierie.
Pour prolonger ces questions, un recueil d’entretiens qui m’a apporté de
précieuses informations pour l’écriture de ce texte : « La nature comme
marchandise », d’Antoine Costa , publié par Le monde à l’envers, remarquable
petit éditeur aux textes décapants.
Dans un autre genre, les fanatiques du numérique se posent un peu là dans
l’imposture. Cette industrie, que l’on nous a présentée comme dématérialisée,
est un accélérateur foudroyant du cataclysme écologique et humain, qu’il
s’agisse d’internet, des gadgets informatiques en tous genres (smartphone,
tablettes, puces, objets connectés et j’en passe), des drones, de l’école
numérique, des mouchards intelligents, des caméras de surveillance, des
infrastructures gigantesques… Comme si tout cela ne suffisait pas, voici
qu’arrivent la 5G et ses milliards de connexions à nos frigos, nos brosses à
dents, nos machines à laver, nos caméras de contrôle, nos véhicules sans
conducteur, nos robots agricoles… Pas plus que les précédentes innovations
morbides, celle-là n’est soumise à un examen sérieux, à un grand débat
quelconque. Démocratie ? Foutaise. Plus un endroit du territoire n’échappera aux
rayonnements délétères des antennes et des satellites. Ce monde est en train
de devenir un gigantesque four à micro-ondes et nous voilà réduits à l’état
de molécules s’agitant dans tous les sens pour le faire fonctionner ou pour
tenter désespérément de s’en protéger. Quid des conséquences sur les oiseaux,
les abeilles, tout le vivant dont nous sommes ? Grâce à cette industrie
énergivore, nous aurons le chaos climatique, la pollution, la surveillance,
la pénurie administrée et les pathologies liées aux ondes nocives.
Enfin, derniers acteurs de cette funeste trilogie *, les forcenés des
industries renouvelables qui voudraient nous faire croire que leurs énergies
vertes sont vertueuses, propres et respectueuse du climat et des droits
humains. Métaux rares, acier, plastique, béton, pétrole, camions, grues,
pollutions… tous ces ingrédients sont consubstantiels aux industries
éoliennes et photovoltaïques. Quant aux grands barrages, ils ont provoqué le
déplacement de 80 millions de personnes dont des peuples menacés d’ethnocide,
ils perturbent la faune et la flore des bassins versants, fragmentent le
cours des rivières, noient des forêts primaires… Ces énergies pour quoi ?
Pour faire fonctionner une industrie destructrice. La boucle est bouclée.
Il y eût un temps où l’écologie incarnait – et incarne encore pour
certains – une rupture avec la civilisation industrielle, avec l’ordre
économique du monde. Elle visait – vise – une émancipation des servitudes et
des nuisances modernes : le consumérisme, la croissance, la servitude
technologique, la puissance extravagante des multinationales. Elle appelait –
appelle – à une réduction drastique des productions et des consommations de
biens matériels, à une modification profonde de nos modes de vie.
L’écologie dont les usurpateurs se gargarisent est tout autre. Elle est un
rouage de la société technicienne. Un lubrifiant de la machine. Une
technocratie qui fait semblant. Alors oui, faisons tomber les masques. Leur
vrai visage ? Le nom qu’ils pourraient porter sans risquer le déshonneur ?
J’en vois un, pour ma part. Escrologistes.
* à laquelle on pourrait ajouter les nucléocrates au secours du climat,
les zélateurs du glyphosate au service de la séquestration carbone permise
par le non-labour, les dogmatiques de la croissance verte et de son cortège
funèbre, les psychopathes du transhumanisme qui vont nous fabriquer un
homme-machine adapté à un monde dévasté (lire à ce sujet l’excellent essai de
Pièces et main d’œuvre : « Manifeste des chimpanzés du futur, contre le
transhumanisme », chez Service compris.
Sur les escrocs du
climat (par Frédéric Wolff)
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