Lorsqu’un ancien membre du
KGB devenu autocrate se met à donner des leçons de pacifisme,
je lève un sourcil.
L’article signé par Vladimir Poutine et publié dans le New York Times le 11 septembre 2013 a
fait couler beaucoup d’encre. Certains commentateurs n’ont pas
hésité à souligner l’ironie de cet appel à
la diplomatie venu d’un ancien agent secret soviétique et
adressé à un prix Nobel de la Paix. D’autres l’ont
même applaudi.
Penchons-nous plutôt sur ce
que Vladimir Poutine passe sous silence dans sa tribune.
Le Président russe ne
mentionne pas les crimes odieux commis par le gouvernement syrien et
largement documentés par la Commission d'enquête des Nations
Unies, les groupes locaux et internationaux de défense des droits de
l’Homme et de nombreux journalistes : homicides
délibérés et aveugles de dizaines de milliers de civils,
exécutions, torture, disparitions forcées et arrestations
arbitraires.
Après avoir fort habilement
attiré l’attention du lecteur sur le rôle des
extrémistes islamiques ayant eux aussi commis de multiples
atrocités dans le conflit syrien, Vladimir Poutine omet de mentionner
qu’à l’origine de la guerre civile actuelle, c’est
bien le gouvernement syrien qui a fait tirer sur des manifestants pacifiques
et qui a détenu et torturé leurs leaders.
Plus loin dans sa tribune, le dirigeant
russe soutient les deux propositions contradictoires suivantes : (i) ce
n’est pas le régime syrien mais les rebelles qui ont utilisé
des armes chimiques et (ii) encourageons Bachar
el-Assad à renoncer à ses armes chimiques (sans mentionner les
rebelles).
Le président russe affirme ensuite
que « selon le droit international actuel, l’usage de la
force n’est autorisé qu'en cas de légitime défense
ou suite à une décision du Conseil de sécurité
des Nations Unies. Tout autre usage est inacceptable en vertu de la Charte
des Nations Unies et constituerait un acte d'agression », ce qui
est absolument vrai. Il s’agit-là d’un vrai dilemme pour
le président américain, celui-ci ayant tenté de
présenter une possible intervention militaire en Syrie comme une
façon de faire respecter le droit international qui interdit l'utilisation
d'armes chimiques.
Pourtant, il y a seulement cinq
ans, Moscou s’est lancé dans une guerre contre la
Géorgie. Vladimir Poutine dirait certainement que cette guerre
était justifiée mais cette dernière n’a jamais
été approuvée par le Conseil de
sécurité des Nations Unies.
Le plaidoyer du Président
russe en faveur de l’utilisation du Conseil de sécurité
des Nations Unies pour résoudre le conflit sonne doublement faux :
dès le début de ce conflit, l’État russe a
opposé son veto ou bloqué toute action du Conseil visant soit
à porter secours à la population civile syrienne, soit à
traduire en justice les hommes forts du régime. Moscou est allé
jusqu’à utiliser son veto pour ne pas que soit publié un
communiqué de presse condamnant l’usage d’armes chimiques dans
le conflit syrien.
Vladimir Poutine semblant soudainement
désireux de faire respecter le droit international, on peut se
demander pourquoi la Russie reste donc farouchement opposée au renvoi du
régime syrien devant la Cour pénale internationale, une action
qui permettrait d’enquêter sur les abus commis par les deux
parties dans ce conflit.
Il ne fait pas non plus mention du
transfert continu d’armes russes au régime syrien depuis deux
ans et demi, ce qui est un peu fort lorsque l’on se fait soudain le
champion de la non-intervention.
Enfin, la sincérité
du discours du Président russe sur les valeurs démocratiques
est difficile à prendre au sérieux lorsque dans le même
temps, le régime russe jette des opposants politiques en prison,
menace de fermer les ONG opérant sur son territoire et multiplie les
lois liberticides et discriminatoires.
Tout indique que Moscou souhaite
que Damas écrase totalement les rebelles, comme Hafez el-Assad
l’a fait à Hama en 1982.
Vladimir Poutine devrait donner
plus de crédit à son auditoire : l’État russe sera
jugé sur ses actes, tant sur la scène nationale qu’internationale.
Aucun dirigeant au monde n’est mieux placé que le président
russe pour persuader Bachar el-Assad de
s’assoir à la table des négociations.
Or, la Russie n’a
été jusqu'à présent qu’un obstacle majeur sur
la route menant à la fin des souffrances en Syrie. Un rôle plus
constructif serait le bienvenu. Mais une compilation de
demi-vérités et d’accusations ne semble pas le moyen
idéal de signaler un tel revirement.
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