Je m’étais promis de discuter de la manière dont fonctionne
le système bancaire commercial et des implications que son fonctionnement
pourrait avoir sur une ruée sur l’or, mais me suis aperçu qu’avant de
discuter les facteurs qui affectent une ruée sur l’or des banques, je devrais
me pencher sur les types d’actifs liés à l’or qu’une banque commerciale est
susceptible de posséder. Ce n’est qu’en les connaissant que nous pourrons
comprendre les risques qui leur sont associés et les dynamiques d’une panique
sur l’or des banques (non, je n’avais pas prévu de le faire à l’avance).
Dans le cas du prêt d’or, il y a deux types
d’emprunteurs, puisqu’il n’y a que deux choses qui peuvent être faites avec
de l’or emprunté (personne n’emprunte de l’or pour le garder chez soi et le
contempler) :
1. Ceux qui l’intègrent dans leur inventaire (bijoutiers, ateliers monétaires)
2. Ceux qui le vendent (occupent une position à découvert pour profiter de sa
baisse de prix), soit
2a. les investisseurs et spéculateurs (hedge
funds et individus), ou
2b. les sociétés minières
Si vous êtes insolvable, ce qui ne veut rien dire de plus
que le fait qu’une banque commerciale estime pouvoir vous faire confiance en
matière de remboursement de prêts, alors une banque commerciale vous
demandera une garantie susceptible d’être saisie si vous ne la remboursez
pas. Un exemple de ce système est le prêt immobilier que vous contractez pour
acheter « votre » maison.
Pour le cas de l’or, la banque commerciale peut s’assurer
que vous disposiez de l’or nécessaire au remboursement de votre prêt et mette
en place un contrat de type prêt immobilier contre vos inventaires physiques
ou d’autres actifs. Il y a toujours un risque qu’une société fasse faillite
et que son or soit vendu et ne soit pas remplacé, ou que ses propriétaires le
volent. Je pense toutefois que l’emprunteur qui vend à découvert représente
un risque accru, pour plusieurs raisons :
- prêter
aux entreprises et les surveiller est le travail des banques, travail
qu’elles font généralement bien, et tant que le marché de l’or présente
un intérêt, le risque de défaut de ces entreprises est très bas (si le
marché de l’or entamait un marché baissier, la situation serait
différente)
- il
y a bien plus d’emprunts destinés à la vente à découvert qu’aux
inventaires des entreprises
- ni
la banque commerciale ni l’emprunteur qui a vendu à découvert ne possède
d’or, puisque ce dernier a été vendu.
Les spéculateurs à découvert peuvent représenter un risque
limité dans le sens où les banques commerciales commencent généralement par
vous prêter de l’or puis insistent à le vendre pour vous et conservent
l’argent tiré de sa vente comme garantie. Puisque l’or est volatile, la
banque commerciale vous demande une marge additionnelle. Elle dispose donc de
l’argent de la vente et d’une marge de couverture.
Les sociétés minières sont un peu comme les bijoutiers et
les ateliers monétaires, puisqu’elles sont des entreprises, mis à part que
leur or est dans le sol plutôt que dans un atelier. Elles présentent plus de
risques que les autres entreprises liées à l’or puisqu’elles pourraient ne
pas être capable d’extraire leur or du sol à des coûts raisonnables ou
rencontrer des problèmes opérationnels. Elles présentent plus de risques
qu’un spéculateur, puisque les sociétés minières utilisent leur argent pour
payer leurs factures ou acheter du matériel. Il ne leur reste donc rien à
utiliser comme garantie (si ce n’est leur matériel, mais la revente de ce
dernier n’est pas nécessairement efficace).
Si vous êtes solvable, alors la banque acceptera de vous
accorder un prêt sans marge ou collatéral, au moins jusqu’à la limite de
solvabilité qu’elle aura déterminé. C’est bien évidemment beaucoup plus
risqué qu’accorder un prêt garanti.
J’ai également mentionné hier qu’une banque commerciale
peut aussi se prêter de l’or à elle-même afin de créer des produits dérivés.
Ce point peut être expliqué par deux exemples :
Disons que beaucoup de spéculateurs veuillent vendre des
contrats à terme. Une banque commerciale crée un marché pour leurs contrats
et occupe une position à la vente sur les contrats à terme. Si elle les
conserve jusqu’à maturité, elle peut recevoir de l’or physique. En
compensation, elle emprunte de l’or (aux dépôts à vue) et le vend. Elle peut
utiliser l’argent issu de la vente pour payer ses contrats à terme une fois livrés,
et rendre leur or à leurs déposants à vue. Entre temps, les comptes à vus
sont « garantis » par les contrats à terme de la banque.
Un autre exemple plus complexe est que quelqu’un désire
acheter un put sur l’or (qui lui donne la possibilité de vendre de l’or à une
banque commerciale). Si la banque commerciale vend un put, alors elle a une
obligation potentielle d’acheter de l’or dans le futur. Elle contrebalance
cette obligation en empruntant de l’or et le vendant. De cette manière, le
compte à vue est « garanti » par l’option put vendu par la banque.
(note technique : avec les options, la quantité d’or vendue par la
banque varie en fonction de la volatilité du prix de l’or. Par exemple, pour
une option put de 1000 onces, la banque peut ne vouloir vendre que 500 onces
d’or – c’est ce qu’on appelle le delta
hedging)
A partir de ce que nous avons vu, nous pouvons établir une
liste des différents actifs que peut détenir une banque commerciale :
- Ventes
à découvert non sécurisées des sociétés minières
- Ventes
à découvert non garanties des spéculateurs
- Prêts
en or non-sécurisés
- Ventes
à découvert sécurisées des sociétés minières
- Ventes
à découvert sécurisées des spéculateurs
- Prêts
en or sécurisés
- Contrats
à terme (à la vente)
- Options
(options put vendues, options à vue achetées)
- Autres
dérivés
- Or
non-alloué placé auprès d’autres banques commerciales ou banques
centrales
- Or
alloué placé auprès d’autres banques commerciales ou banques centrales
- Or
physique qui demeure sous leur propre contrôle
En plus de cela (à l’exception des trois derniers points,
qui sont à vue), ces actifs arrivent à maturité à des dates diverses,
c’est-à-dire que la date à laquelle la banque commerciale récupère l’or
diffère (ce qui représente la moitié de la transformation de maturité que
j’ai mentionnée hier).
Vous devez désormais comprendre que ces
« actifs » présentent un certain risque. Il faudra analyser plus
tard en quoi ils sont risqués, et pourquoi les banques commerciales et les
banques en général sous-estiment ces risques. Le livre de Nassim Taleb,
« Antifragile », nous sera utile à cet
égard.