La récente détente des taux d’emprunt des États comme la France ou l’Allemagne
est interprétée par certains analystes comme une marque de
confiance des investisseurs et un témoignage de regain de
solidité de de l’économie de ces pays.
Cette opinion est pourtant erronée. Les taux
d’intérêt sont des prix, fruit d’une offre et
d’une demande. Ils sont largement influencés par la politique de
la banque centrale qui gère la zone monétaire concernée,
les prix étant d’autant plus faussés que
l’interventionnisme est important. Or la période récente a
été marquée par une création monétaire
massive de la part des banques centrales (le bilan de la Banque centrale
européenne (BCE) représente désormais environ un
tiers du PIB de la zone euro), ce qui pousse artificiellement les taux
d’intérêt à la baisse. L’interprétation
de l’évolution du niveau des taux d’intérêts en
devient donc assez hasardeuse.
Une fois évacuée la problématique de la
création monétaire, qui d’ailleurs n’est pas
l’apanage de la banque centrale et provient aussi des banques
commerciales, quels autres paramètres influencent les taux
d’intérêt ?
On peut considérer que ce taux d’intérêt est
la somme de trois composantes. La première est la préférence
temporelle, c’est-à-dire le choix de renoncer à consommer
son capital aujourd’hui pour l’épargner sur une
durée contractuelle et obtenir une rémunération en
échange. Sans quoi le prêteur n’a aucun avantage à
l’opération : il peut tout aussi bien thésauriser
son capital.
La seconde composante est l’inflation, ou plus exactement
l’anticipation de l’inflation future. L’investisseur
souhaite ainsi se couvrir contre la perte du pouvoir d’achat de la
monnaie (augmentation de la masse monétaire). L’investisseur demandera
un taux d’intérêt d’autant plus élevé
qu’il anticipe une forte dégradation de celui-ci. Par exemple la
masse monétaire (M3) de la zone euro a augmenté de 120% depuis
la création de l’euro (janvier 1999) et il aurait fallu un
rendement annuel de 6,2% sur son capital pour compenser l’inflation.
Enfin, la dernière composante est la perception par
l’investisseur du risque de crédit représenté par
l’emprunteur. Les deux premières composantes étant
considérées comme relativement stables dans le temps, il
s’ensuit que les variations de taux d’intérêt sont
principalement interprétées comme une conséquence de
l’évolution des avis des investisseurs sur la solidité de
l’emprunteur. Ainsi, une baisse des taux est interprétée
comme la résultante d’une prime de risque moins
élevée.
Si l’on s’intéresse aux dettes souveraines des 12
fondateurs de la zone euro (la Grèce n’a en fait rejoint les 11
autres pays qu’en 2001 au lieu de 1999, faute de remplir les
critères de Maastricht…), on obtient les conditions suivantes pour
l’emprunt à 10 ans :
Sources : Eurostat, Reuters et Bloomberg
Exemple de lecture pour la
France : le taux d’emprunt à 10 ans de la France
s’élève à 2,75% en mai 2012 contre 3,08% en mai
2010, soit une baisse de 0,33%.
On voit qu’en mai 2010 un groupe de 7 États bénéficiait
de conditions d’emprunt relativement favorables par rapport aux autres,
communément dénommés les PIIGS (Portugal, Ireland, Italy, Greece et Spain). Sur ces deux dernières
années (et surtout ces six derniers mois), alors que la situation
économique s’est considérablement dégradée,
les conditions d’emprunt se sont donc améliorées de
manière très significative pour six d’entre eux, seule la Belgique ayant vu ses
conditions d’emprunt se détériorer.
C’est ce qu’on appelle en finance le phénomène dit de flight to quality :
en période de forte incertitude les investisseurs se réfugient
vers les actifs considérés plus sûrs. Mais
l’univers des actifs éligibles n’est pas illimité,
et le caractère risqué ne s’entend pas dans l’absolu,
mais par rapport aux autres
signatures. Le risque souverain du groupe de pays en question est donc moins
mauvais que celui des autres mais la question de savoir s’il est bon,
reste entier.
Or, il existe un autre outil permettant une mesure isolée du risque
de défaut : les Credit Default Swap (CDS). Ces
instruments sont en effet utilisés pour se couvrir contre le risque de
défaut de crédit d’un prêteur (entreprise ou État).
Le fonctionnement est de type assuranciel : en échange du
paiement d’une prime par X à Y, Y s’engage à verser
la partie du capital non recouvrée à X. Les primes de CDS
permettent donc d'estimer les probabilités de défaut
anticipées par les marchés.
Voici les niveaux des CDS 10 ans sur les mêmes États que
précédemment :
Et la conclusion est sans appel : le risque de défaut
s’est accru pour l’ensemble des États.
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