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Une des
controverses souvent soulevée par mes contradicteurs concerne l'héritage.
Nombreux sont ceux qui voudraient que l'héritage soit lourdement
taxé pour "gommer les inégalités"
matérielles affectant les individus du fait de leur naissance, pour
que "ce ne soient pas toujours les mêmes" qui occupent les
meilleures positions matérielles et sociales.
"Taxer
l'héritage, une condition nécessaire de l'égalité
des chances" ?
Ils soulignent que des pays de tradition
relativement libérale -
même si les évolutions récentes laissent souvent à
désirer de ce point de vue - comme les USA ont toujours
maintenu un impôt sur les gros héritages élevé, et
que leur capitalisme n'en est pas mort. L'impôt sur l'héritage,
selon certains, devrait être confiscatoire, pour favoriser la
"mobilité sociale" entre générations.
C'est ce raisonnement que tenait, par exemple, François de Closets
dans son ouvrage "anti-privilège" à succès des
années 80, "Toujours plus". Selon lui, l'éthique du
capitalisme concurrentiel, "que le meilleur gagne", est
incontestable à condition que la taxation de l'héritage corrige
à chaque génération les inégalités
formées par la génération précédente.
Voyons pourquoi ces raisonnements sont fortement critiquables, tant du point
de vue moral que du point de vue de l'efficacité économique et
sociale*.
Faut il interdire le
Loto ?
Commençons par regarder le problème par le petit bout de la
lorgnette. Un gros héritage n'est pas dans son principe
différent d'un gros gain au loto. On peut même dire que le
gagnant du loto doit sa bonne fortune uniquement à la chance, alors que
le héritier, s'il n'a pas de mérite personnel à son
héritage, n'en est pas moins le destinataire naturel des fruits du
mérite de ses parents. D'une façon générale, il
s'agit de gros transferts d'argent vers des gens qui ne les ont pas
"mérités", au sens premier du terme.
Ceux qui
voudraient appliquer aux gros héritages une taxation confiscatoire au
motif qu'un tel gain serait injuste pour ceux qui n'en
bénéficient pas sont ils favorables à l'interdiction des
jeux de hasard ? S'ils répondent non, ou s'ils valident
régulièrement leur petit bulletin à un comptoir de la
française des jeux, alors ils sont incohérents.
Assez
joué, intéressons nous à des arguments ô combien
plus essentiels.
Le patrimoine, une
inégalité parmi d'autres
Les
inégalités matérielles ne sont pas les seules auxquelles
font face les individus. Certains hommes courent plus vite que d'autres et
peuvent se servir de ce talent pour vivre. D'autres sont doués pour un
sport. D'autres sont plus intelligents, et d'autre plus beaux.
Or, ces deux
dernières caractéristiques ont souvent une influence
déterminante sur le parcours social des personnes concernées.
Des tests grandeur nature ont montré, notamment, que les femmes ou
hommes gros ou physiquement disgracieux avaient plus de difficulté à
obtenir des entretiens d'embauche que les autres, et que la
probabilité, pour une femme considérée comme belle, d'épouser un
homme riche, était plus élevée**.
On peut même affirmer que les
personnes "défavorisées de par leurs acquis
générationnels", comme c'est bien dit, seront plus souvent
en concurrence frontales avec des gens de condition matérielle proche,
mais plus beaux-grands-forts-intelligents qu'eux mêmes, qu'avec des
nobliaux nés avec une cuiller dorée dans la bouche. Les
inégalités "naturelles" risquent donc, dans la vie de
tous les jours, de se révéler bien plus cruelles que les
inégalités matérielles.
Faut il taillader le visage des belles femmes pour parvenir à
l'égalité devant le physique ? Couper un pied aux sprinters ?
Lobotomiser les gens aux aptitudes intellectuelles supérieures ?
Attacher des poids aux pieds des bons nageurs ? Tout le monde pourra je
pense admettre que ce seraient là des formes particulièrement
odieuses de compensation des supposés désavantages naturels de
certains.
De même, les enfants qui naissent dans un milieu social aisé
tendent à recevoir une éducation leur permettant
d'accéder en moyenne à des emplois mieux
rémunérés que les autres. Les enfants d'enseignants, de
ce point de vue, sont en France dans une situation particulièrement
privilégiée : faut il séparer de force les enfants
d'enseignants de leur famille pour "rétablir
l'égalité des chances" ? Quiconque proposerait une telle
réforme serait à juste titre taxé de Pol-potisme et
voué à la marginalisation éternelle.
S'il parait choquant de vouloir corriger de façon coercitive les
inégalités devant les aptitudes physiques, intellectuelles, ou
parentales, pourquoi serait-il plus juste de vouloir y parvenir en prenant
par la force le patrimoine qu'une génération a bâti,
souvent en vue de le transmettre à ses enfants ?
Le
"handicap" n'est pas insurmontable
L'héritage pécuniaire n'agit-il pas comme un obstacle à
l'ascension sociale de ceux qui n'en bénéficient pas ? C'est ce
qu'affirment certains défenseurs de leur forte taxation.
Les personnes qui reçoivent un héritage financièrement
moins intéressant que d'autres, lorsqu'elles sont volontaires,
développent souvent des capacités autres qui leurs permettent
de surmonter ces différences. Certains sont plus travailleurs,
d'autres développent leur intelligence alors que ceux qui vivent dans
la facilité tendent à la laisser en friche, certains se
cultivent, d'autres développent des aptitudes innées à saisir
les opportunités, d'autres transforment une passion en métier,
etc... Bien sûr, certains n'y arriveront pas. Mais certains "mieux
nés" vont également gaspiller leurs avantages initiaux:
paresse, vie dissolue, mauvais choix...
Le riche
établi est il l'ennemi du riche en devenir ?
Bref, sous réserve que la
société ne dresse pas de barrières de type
"féodales" ou "nomenklaturistes" à ceux qui
naissent "moins bien dotés", avoir plus - d'argent, de beauté,
de capacités cognitives, d'amour parental - au départ n'est
absolument pas une garantie de réussite, et les personnes moins
dotées au départ peuvent malgré tout espérer de
belles progressions sociales et matérielles. Et quelle doctrine est la
plus favorable à l'éradication de ces barrières, sinon
la doctrine libérale ?
Car le patron
riche ou le politicien qui voudra préserver sa position sociale sans
accepter de la confronter à tout instant à des
compétiteurs aura intérêt à rechercher les faveurs
de l'état pour se faire voter des lois sur mesure: privilèges
nobiliaires ou "nomenklaturistes", octroi de monopoles, de
subventions généreuses, ou réglementations trop
coûteuses pour une start up... Toutes sortes d'interventions que seul
un état peut garantir, et que les libéraux combattent avec
acharnement.
Ajoutons au
contraire que nombre de "possédants" se muent
généralement en capital-risqueurs ou en mécènes
qui vont investir dans des projets de jeunes entrepreneurs dynamiques mais
sans moyens, lesquels créeront à leur tour emplois et pouvoir
d'achat... Le riche, dans une société libérale, n'est
pas un obstacle à l'apparition de nouveaux riches, bien au contraire.
Seule une société réglementée, fragmentée
en castes plus ou moins formelles, bref, une société
anti-libérale, peut placer un plafond de verre hermétique sur
les aspirations à l'élévation sociale des moins bien
lotis par la naissance.
Pourquoi attendre la mort pour
spolier, si spolier est acceptable ?
Ajoutons que compte tenu de la croissance de l'espérance de vie des
individus, et notamment des gens riches, la spoliation des gros
héritiers par l'impôt risque de se produire alors qu'ils auront
profité de la richesse du père ou de la mère pendant de
très nombreuses années. Faudrait-il dans ce cas, pour corriger
cette inégalité flagrante, interdire aux riches d'élever
leurs enfants ? Ou "mieux", interdire la richesse ?
Hormis quelques paléo-marxistes attardés, tout le monde
admettra que les sociétés qui prétendaient imposer
l'égalité matérielle par la force ont entrainé
plus de 85% de leur population dans la grande pauvreté, seules les classes dirigeantes
s'exonérant des contraintes finalement
indésirables de l'égalité dans la pauvreté...
Si vous garantissez à tous que personne ne pourra s'enrichir par son
mérite, pourquoi vouloir s'élever, créer, inventer ?
Celui qui s'enrichit honnêtement, dans une société
libérale, est celui qui trouve des moyens d'améliorer l'existence
de ses semblables, au point que ces derniers sont prêts à payer
pour ces moyens, volontairement. Les sociétés
prétendument sans classes que les pays de l'est ont
expérimentées des décennies durant ont montré
combien l'absence de cette motivation à rechercher à
améliorer la vie des autres avait plongé ces pays dans la
misère et la décrépitude. Bref, interdire la richesse
n'est pas une option, et disloquer les cellules familiales à haut
potentiel non plus.
Vouloir taxer lourdement l'héritage au motif qu'il donnerait à
certains des avantages de départ trop importants est donc
tautologique, à partir du moment où l'on accepte qu'il existe
des gens qui s'enrichissent par leur mérite: l'enfant du riche
profitera de toute façon pendant longtemps de la richesse de ses
parents, de mille et une façons possibles. Et il n'y a aucun moyen non
extrême d'empêcher cela.
Vouloir sur-taxer l'héritage est donc totalement incohérent
dans l'optique de la recherche de l'égalité. Les
défenseurs d'une telle surtaxe ne peuvent donc se cacher qu'il ne
s'agit que d'un racket fiscal supplémentaire dirigé contre ceux
qui réussissent. Peut-on justifier cette spoliation sur des bases
économiques et sociales ?
La spoliation n'est
pas efficace socialement
Prendre de l'argent à des familles dont les ancêtres ont
prouvé qu'ils pouvaient créer de la valeur pour le donner
à l'agent économique le plus inefficace et gaspilleur qui soit,
l'Etat, est totalement contre productif. Quand bien même l'on rencontre
des héritiers qui sont moins compétents que leurs aïeuls,
qui dilapident l'héritage familial, il y a peu de chance pour que
collectivement, les héritiers de grandes fortunes puissent faire un
plus mauvais usage de cet argent que l'état.
Si les héritiers réussissent à faire fructifier
l'héritage reçu, cela veut dire que leurs entreprises ont
continué à bien satisfaire les besoins de la population, se
sont adaptées au progrès, à l'évolution des
besoins, etc... Si ils dilapident leur fortune, celle ci profitera
également à d'autres. Dans tous les cas, l'état touchera
sa part d'impôts.
Mais si vous prenez tout de suite l'argent pour le donner à
l'état, quand bien même celui ci le redistribue, alors vous
coupez toute chance pour que les héritiers puissent faire fructifier
le patrimoine familial, et vous irez sponsoriser un important pourcentage de
dépenses inconséquentes, quand bien même une partie de la
dépense publique puisse se révéler utile.
Taxer les flux
plutôt que le stock, c'est bon pour les classes moyennes
Une objection courante est que la vente du patrimoine à un autre
investisseur pour pouvoir payer la succession ne fait que changer le
propriétaire dudit patrimoine, et que le nouveau management aura tout
autant à coeur que l'héritier de le faire fructifier.
Certes. Mais le repreneur, s'il est lui même soumis à un fort
risque d'imposition sur l'héritage, ne sera guère tenté
de donner de la valeur à ce patrimoine. Il y a donc de fortes chances
que le repreneur, si repreneur il y a soit soit étranger, ou
domicilié à l'étranger, ou encore qu'il ait
organisé longtemps à l'avance sa vie pour pouvoir programmer
une évasion fiscale en règle en cas de malheur.
"A la bonne heure",
direz vous, "l'impôt
sur l'héritage attire du capital étranger dans les caisses de
l'état". Il n'y a pas de quoi s'en féliciter.
En contrepartie, les riches français - et même les "petits
riches" - auront tendance à vouloir, de leur vivant, aller
mettre leur capital à l'abri, en développant leurs avoirs dans
des pays à faible taxation du patrimoine et de l'héritage,
voire en s'y installant. Et les repreneurs des actifs français
n'auront pas les mêmes vélléités de
développer la valeur de leurs acquisitions sur notre sol.
Or, la vraie
richesse d'une population réside dans sa capacité à
posséder des actifs de valeur. Si ces actifs changent de pavillon sans
que l'émergence de nouvelles entreprises ne compense ces fuites, alors
à terme nous serons une nation de salariés, salariés
dont l'avenir sera suspendu en grande partie à des centres de
décisions lointains et éloignés de nos
préoccupations. J'ai beau être un défenseur
acharné de la mondialisation, je ne vois aucun avantage à ce
que nous ne soyons pas capables de conserver une part
prépondérante des actifs que nos ancêtres ont
contribué à bâtir.
Lorsque ceux qui savent fructifier la richesse
ne peuvent le faire, ce sont au final les salariés, dont les
entreprises n'ont pas assez d'argent pour développer leur appareil
productif, qui en pâtissent: qui dit appareil de production moins
performant dit moindres rémunérations, et, au final, chômage.
Et au final, la base taxable de l'état est très loin de grandir
autant que si la taxe n'avait pas existé. Capital et travail,
capitalistes et salariés ne
sont pas ennemis l'un de l'autre, ils sont
indispensables l'un à l'autre.
Un autre impôt sur le capital, l'ISF, a tellement fait fuir de gens
capables de créer de la valeur que certaines études ont
estimé de façon très conservatrice qu'il rapportait 4
à 8 fois moins que ce qu'il coûtait en recettes perdues pour la
France. Et qui doit payer, dans ce cas, les impôts nécessaires
au train de vie l'état ? Les classes moyennes,
celles qui ne peuvent pas contourner l'impôt !
Supprimer les impôts sur le capital, et notamment l'ISF et les droits
de succession, permettrait non seulement de maintenir en France des fortunes
existantes, mais d'attirer en France nombres de fortunes aujourd'hui
installées ailleurs, et enfin et surtout de faire fructifier
prioritairement chez nous ces capitaux de départ. Et les
surcroît d'impôts engendrés sur les flux d'argent (revenus
et TVA), plutôt que sur le stock de patrimoine constitué,
créditeraient le trésor public de bien plus de recettes que le
millefeuille fiscal actuel, taxant à la fois le revenu, l'accumulation
de capital, et la transmission du capital, un cumul qui favorise toutes les
évasions.
Laisser à
l'ascendant le choix du légataire
La loi
française prévoit à la fois une forte taxation des gros
héritages, une taxation encore plus forte des héritages hors
ligne directe, et ne laisse pas libre l'ascendant du choix de ses
légataires.
Il va de soi que
l'aïeul, déjà fort lourdement taxé de son vivant
sur les revenus qui ont permis la constitution de ce patrimoine, devrait
être libre d'affecter l'héritage à qui bon lui semble - Et tant pis pour ses enfants s'ils
n'ont pas su se faire aimer de leur ancêtre, ou s'il ne les juge pas
compétents pour reprendre l'affaire de famille -, sans que
l'état ne vienne se repayer sur la bête après son
décès, surtout s'il préfère transmettre un
patrimoine à un cousin ou une oeuvre de charité plutôt
à qu'à un fils.
Reconnaître
le droit de propriété dans sa pleine et entière acception
devrait pousser les états à avoir la décence de laisser
ceux qui ont su former du patrimoine et le faire fructifier choisir à
qui ils transmettront leur héritage lorsqu'ils en jugeront le moment
opportun, au décès, ou avant.
Conclusion
Ni
l'égalitarisme, ni l'efficacité économique et sociale,
ne donnent à l'impôt sur l'héritage de justification
irréfutable, et encore moins si cet impôt vient à se
révéler confiscatoire.
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* Je précise
qu'ayant moi même aucune perspective d'héritage
conséquent, je ne suis pas en train de plaider pour ma paroisse.
** Ce genre de remarque
politiquement incorrecte vous fait généralement passer pour un
dangereux machiste réactionnaire. Mais que voulez vous, ce n'est pas
parce qu'une vérité est déplaisante à certains
bien pensants qu'elle cesse d'être vraie.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France,
"Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement à
l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il ose
proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
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